Johanne Gagné, une femme de 65 ans de Saint-Félix-d’Otis, a été condamnée à 12 mois de prison par la juge Sonia Rouleau pour ce crime qui ne lui a valu aucune sympathie. Dans son jugement, la juge Rouleau n’a pas manqué de souligner les propos qu’elle a tenus, pour diminuer sa responsabilité, au moment où elle a enregistré ses plaidoyers de culpabilité l’hiver dernier, notamment que sa victime sans enfant, reconnaissante sans doute des soins prodigués, laissait entendre qu’elle en ferait son héritière. Quoiqu’il en soit, elle n’a pas attendu une éventuelle lecture de testament pour se servir dans son compte de banque. Elle avait aussi affirmé que sa patiente lui demandait souvent de signer des chèques à sa place, car elle était trop faible, ce qui a facilité, selon elle, la fraude, et elle a reproché à son employeur la précarité financière qui l’a motivée de passer à l’acte, car elle était «souvent payée en retard».
Entre octobre 2017 et le 17 octobre 2020, elle a fait 240 faux chèques du compte de la vieille dame, pour un total de 89 305$ en trois ans. C’est la directrice de la résidence qui s’en est aperçue quand elle a pris en charge les affaires de la victime à son décès et qu’elle a constaté que les 100 000 $ qu’elle avait en banque étaient disparus. Confrontée aux fait, elle avait avoué, d’où les accusations de fraude et fabrication de faux. L’accusée, qui s’était trouvé un nouvel emploi dans un salon funéraire, demandait de purger sa peine en société afin de conserver son emploi, avouant qu’elle n’avait pas informé ses nouveaux patrons des crimes qu’on lui reprochait.
Lors des plaidoiries sur sentence, son avocat, Julien Boulianne, n’avait pu plaider un éventuel remboursement pour diminuer la peine à venir, puisque les héritiers éloignés de la dame avaient renoncé à la succession sans valeur et il n’y avait donc plus personne à indemniser. De toutes façons, Johanne Gagné affirmait n’avoir aucune capacité financière et n’aurait pas été en mesure, non plus, de payer une amende de remplacement.
Des aînés à protéger de la malveillance
En analysant la gravité objective du crime, la juge Rouleau a rappelé que le vieillissement de la population est un défi pour les sociétés occidentales et il est essentiel que nous puissions protéger nos aînés.
«Cela est encore plus vrai lorsqu’ils souffrent d’une incapacité physique importante ou qu’ils font face à des défis importants reliés à leur santé mentale. La maltraitance financière ou matérielle est l’une des formes de maltraitance les plus répandues; 11,6% des personnels âgées ont été victimes de maltraitance financière.»
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Ces formes de violence, ajoute-t-elle, ne sont pas souvent dénoncées, surtout lorsqu’elles sont commises par des personnes proches et de confiance. «Les aidants naturels deviennent alors des malveillants naturels, a souligné la juge. Une procuration peut facilement se transformer en autorisation de voler.» Elle a aussi rappelé que le gouvernement du Québec a adopté trois politiques pour faire la lutte contre la maltraitance des aînés.
Par conséquent, elle estime que la dénonciation et la dissuasion doivent avoir la priorité dans l’élaboration d’une sentence. «Normalement, une peine de prison est imposée à moins de circonstances exceptionnelles. Les tribunaux doivent envoyer un message fort et clair que la maltraitance des aînés ne saurait être tolérée.»
En examinant les circonstances du crime, la juge a noté que pendant trois ans, la victime et l’employeur de l’accusée lui ont fait confiance alors qu’elle agissait envers une clientèle particulièrement vulnérable. «Deux cent quarante gestes permettent d’éluder près de 90 000 $, ce qui implique une grande turpitude morale, de la préméditation et un manque d’empathie significatif envers la plaignante déjà isolée, privée de proches et vivant une grande solitude en raison de sa situation. Atteinte d’un cancer, elle nécessitait davantage de protection, ce dont l’accusée a profité pour s’enrichir en usant de ses fonctions d’aidante en qui la victime avait entière confiance. Aucun remboursement n’est entamé, aucun don n’est versé. L’accusée a bénéficié entièrement de cet argent acquis illégalement», a résumé Sonia Rouleau, qualifiant le tout de particulièrement aggravant.
Enfin, la juge a reproché à l’accusée de n’avoir fait aucun effort pour chercher, par un cheminement thérapeutique, à comprendre pourquoi elle a agi ainsi, ni aucun effort financier pour dédommager la société. C’est d’autant plus grave que l’argent mal acquis n’était pas destiné à combler des besoins essentiels, mais se payer du luxe et des cadeaux aux proches. «Le tribunal constate aussi que son comportement actuel face à son employeur (qu’elle n’a pas informé) prouve sa priorisation de ses intérêts personnels, au détriment de l’honnêteté, la transparence et la résilience, qui prive son employeur d’un choix éclairé», ajoute la juge pour conclure que la peine de détention qui s’impose ne peut être purgée en société, mais derrière les barreaux.
À l’expiration de sa peine, Johanne Gagné ne pourra accepter d’emploi rémunéré ou bénévole qui lui permettrait d’exercer un pouvoir sur les biens ou argent d’autrui pour une période de 10 ans. Elle sera aussi soumise à une ordonnance de probation de deux ans pendant laquelle elle devra garder la paix et suivre les directives de son agent de probation en lien avec toute thérapie nécessaire. Elle ne pourra plus être préposée aux bénéficiaires auprès de personnes vulnérables.
L’accusée a écouté le prononcé de sa peine sans manifester d’émotion et est sortie menottée de la salle de cour.