La DPJ de la Mauricie-et-Centre-du-Québec à nouveau sous enquête

La DPJ de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec est à nouveau dans la mire de la CDPDJ.

Tandis que le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec convient du bout des lèvres que des enfants de moins de six ans peuvent être hébergés dans des foyers de groupe «de manière exceptionnelle», il semblerait que cela dépasse déjà les limites de l’acceptable aux yeux de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), qui place à nouveau la DPJ de la région sous enquête.


La CDPDJ dit avoir enclenché l’enquête de sa propre initiative, suivant des allégations voulant «que plusieurs jeunes enfants, dont un nourrisson, ont été hébergés dans des installations temporaires de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) dans la région de la Mauricie, dépassant ainsi la durée habituelle prévue pour de tels séjours».

On explique vouloir s’assurer que les droits des enfants n’ont pas été lésés. L’enquête ne revêt pas un caractère public, mais des recommandations «systémiques» pourraient être émises au terme de ses travaux, précise la Commission.



La démarche survient tandis que la CDPDJ mène toujours une enquête «systémique» sur les allégations de malveillance généralisée à la DPJ de Drummondville, également sous l’égide du CIUSSS MCQ.

Des moins de six ans, «en situation d’urgence», admet le CIUSSS

Le Nouvelliste avait contacté le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec à la mi-avril, après que des rumeurs selon lesquelles le foyer de groupe installé de manière temporaire à l’hôtel de La Maison de la Madone héberge des jeunes de moins de six ans. L’établissement avait évoqué ses lignes directrices, se gardant toutefois de parler de cas avérés.

Un foyer de groupe temporaire est installé à l'hôtel de La Maison de la Madone, à Trois-Rivières.

«Les 0-3 ans, lorsqu’il va y avoir un jeune dans ces lieux-là, ça va être pour des situations urgentes, pour sécuriser le jeune de façon très très temporaire, le temps qu’on trouve le milieu, ou que le lieu soit trouvé, mais qu’on l’adapte à l’arrivée d’un jeune», expliquait alors Guillaume Cliche, agent d’information pour le CIUSSS MCQ. «C’est de la prise en charge un pour un, il n’est pas mêlé avec le reste du groupe», insistait-il.

Il semblerait toutefois que les 4 et 5 ans fassent l’objet d’une évaluation qui ouvre la porte à un hébergement «de groupe», s’ils présentent un «niveau de maturité» qui le justifie, selon l’établissement. «C’est vraiment de l’évaluation du cas par cas... mais ça serait vraiment l’exception», pointait M. Cliche.



Si le CIUSSS parlait alors de situations exceptionnelles et «très très temporaires», Radio-Canada faisait état, un mois plus tard, d’informations voulant que «plusieurs enfants de moins de six ans, dont au moins un poupon», aient été hébergés pendant plus de dix jours dans des foyers de groupe temporaires de Trois-Rivières.

Invité à réagir au déclenchement de la nouvelle enquête de la CDPDJ, le CIUSSS convient maintenant avoir «aménagé un espace à la même adresse qu’un foyer de groupe existant». Cet espace, sans aires communes avec les autres enfants de la ressource, n’aurait été utilisé qu’à quatre reprises au cours des six derniers mois, assure-t-on. La durée moyenne des séjours est de moins de 72 heures, souligne-t-on encore.

Le CIUSSS continue d’invoquer «le nombre de famille d’accueil très limité pour les enfants de 0 à 5 ans» pour justifier les mesures d’exception. On avance qu’à l’heure actuelle, les quelque 1250 enfants qui nécessitent un hébergement en famille d’accueil dans la région ont tous une place à eux.

Quant à l’enquête elle-même, l’établissement indique qu’il collaborera avec la CDPDJ, «comme nous le faisons d’habitude».

À 4 ans, sous escorte policière

Pour Michelle Manseau, éducatrice spécialisée impliquée auprès de familles aux prises avec la DPJ, la situation qui prévaudrait à la Maison de la Madone n’a rien de surprenant. La Trifluvienne dit avoir elle-même «travaillé à sortir de là un enfant de quatre ans», placé là dans des circonstances pour le moins troublantes.

Suivant présumément le témoignage de l’enfant, vivant avec un trouble du spectre de l’autisme et des difficultés de langage, la DPJ aurait décidé de le retirer de son milieu, alléguant un événement de violence familiale.



Le couple, déjà aux prises avec la DPJ, choisit alors d’obtempérer, relate Mme Manseau. La mère se place volontairement sous la protection d’une maison d’hébergement, où on accepte aussi d’accueillir l’enfant.

Michelle Manseau, éducatrice spécialisée, ne s'étonne pas des allégations qui visent la DPJ à La Maison de la Madone.

Il semblerait toutefois que ça n’en soit pas assez au goût de la DPJ, raconte encore Michelle Manseau. Deux policiers sont dépêchés en urgence à la résidence familiale, à Drummondville, d’où l’enfant est emmené vers la Maison de la Madone, à Trois-Rivières, s’indigne l’éducatrice spécialisée.

Les événements étant survenus durant le congé pascal, Mme Manseau dit avoir fait des pieds et des mains pour «sortir l’enfant de là», craignant que la mesure temporaire s’éternise au-delà des délais prescrits. «Faire vivre ça à un enfant de quatre ans, autiste... au bien-être de qui on pense vraiment là-dedans? se demande-t-elle encore. Il est traumatisé par les policiers maintenant».

L’opposition évoque la tutelle, le ministre muet

Au bureau du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, on refuse de commenter cette deuxième enquête visant la DPJ de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec en moins de quatre mois. Plus loquace, Brigitte Garceau, porte-parole de l’opposition officielle pour la protection de la jeunesse, ne cache pas son inquiétude.

«Ce qui me préoccupe le plus, c’est que ce sont de jeunes enfants. Zéro à trois ans, zéro à cinq ans, on a des bébés, on a des poupons là-dedans... Qu’est-ce qui se passe dans ce CIUSSS-là?»

—  Brigitte Garceau, porte-parole libérale en protection de la jeunesse

Mme Garceau déplore qu’un poste de commissaire au bien-être et aux droits des enfants n’ai toujours pas été pourvu par Québec. La Commissaire Régine Laurent en avait pourtant fait une recommandation phare, dans son rapport de 2021, expose-t-elle.

À défaut d’agir en amont, et faute d’un commissaire, la critique libérale évoque sans détour la tutelle pour l’établissement.

Brigitte Garceau, députée libérale et porte-parole de l’opposition officielle sur les questions de protection de la jeunesse, évoque la mise en tutelle de la DPJ de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.

Les récentes statistiques, mettant en lumière la prise en charge disproportionnée d’enfants de 0-5 ans à la DPJ de Drummondville par rapport à la moyenne régionale, sont également source de préoccupation pour Mme Garceau. «La DPJ et le CIUSSS sont en train de créer des enfants d’État... Et je ne le dis pas légèrement», déclare-t-elle.

Ressources temporaires, équipes permanentes

Pendant qu’elle devra répondre des événements récents, il apparaît que les installations temporaires de la DPJ de Trois-Rivières, à la Maison de la Madone et à Plein Air Ville-Joie, soient en voie de se pérenniser.



«Les lieux ne sont pas permanents, mais les équipes qui sont en place sont considérées comme permanentes... C’est pas dit que ça ne changera pas de place», note l’agent de d’information Guillaume Cliche.

Les installations de Plein Air Ville-Joie et de la Madone comptent respectivement sept et 27 places, pour les moins de 18 ans

Dans le continuum de services, le foyer de groupe se situe entre la famille d’accueil et le centre de réadaptation, explique-t-on. «Ça dépend des besoins d’accompagnement de chacun des jeunes», détaille M. Cliche.

Il semblerait que le contexte social ait fait émerger une clientèle plus propice à un tel encadrement. Avant la pandémie, le CIUSSS MCQ ne comptait que six places en foyer de groupe, pour toute la région. «Les besoins sont grands, mais les besoins évoluent aussi, malheureusement à la hausse», fait valoir M. Cliche.