Dans ce reportage, les noms de l’accusé et des plaignantes ont tous été modifiés. La Direction de la protection de la jeunesse est impliquée dans le dossier et, dans ce contexte, la loi interdit de divulguer tout renseignement permettant d’identifier un mineur.
La dernière conjointe
Hugues*, un ex-militaire âgé de 37 ans, est accusé de gestes de violence conjugale sur Julie*. Le 17 décembre dernier, une chicane éclate au sein du couple en instance de séparation, qui partage toujours la même maison au nord de Québec.
Selon les faits allégués présentés en cour, Hugues a saisi Julie par l’arrière du cou et l’a soulevée de terre. Il veut lui enlever son téléphone cellulaire. Le fils de Julie, âgé de 5 ans, assiste à la scène. La mère réussit à fuir et à s’enfermer au sous-sol avec ses deux enfants. De là, Julie téléphone à Alice*, la conjointe précédente de Hugues.
« Elle m’appelait pour que je vienne chercher ma fille, qui était avec eux cette fin de semaine-là, explique Alice en entrevue au Soleil. J’ai entendu des objets se casser, des enfants crier. Je lui ai demandé d’appeler la police. Elle me dit : “mon plus jeune a peur de la police”. J’ai compris que ce n’était pas la première fois que les policiers venaient chez elle. »
Les policiers feront bel et bien une intervention. Alice fera éventuellement une déclaration pour raconter ce qu’elle a entendu. Hugues est arrêté et libéré sous promesse de comparaître. En plus du voies de fait, l’ex-militaire sera accusé de possession d’une arme semi-automatique sans permis et de mauvais entreposage d’arme à feu.
Les policiers doivent revenir le lendemain après une autre crise de colère de Hugues. Ce jour-là, il aurait fait des menaces de mort à Julie.
Au cours des semaines suivantes, Hugues transmet des messages à Alice, la mère de sa fille. Hugues écrit: « Je veux vraiment pas en arriver là... Un animal coincé pris au piège qui n’a pu rien à perdre ça devient malin. ». Il ajoute que si Julie ne retire pas sa plainte, « ce ne sera pas le fun pour personne ».
Au début janvier 2023, Julie et Hugues refont vie commune, malgré l’interdiction de contact prononcée par un juge. Le 5 janvier, Hugues aurait arraché le cellulaire des mains de Julie. Lorsqu’elle a voulu le reprendre, l’homme l’aurait poussée au sol, sous les yeux de son fils.
En larmes, Hugues se dirige vers le garage où il fait une tentative de suicide avec une arme longue. Julie s’agenouille près de lui et lui retire son arme des mains. Un ami vient chercher Hugues. L’homme sera éventuellement arrêté et gardé détenu.
L’enquête sous remise en liberté
Pendant de longues heures, le 8 et 9 février, le juge Sébastien Proulx de la Cour du Québec entend la demande de mise en liberté provisoire de Hugues. Comme il a brisé les conditions de sa promesse, c’est son fardeau de convaincre le tribunal qu’il ne représente pas un danger.
La procureure de la Couronne Me Rosa-Lee Marchand s’oppose formellement à la mise en liberté provisoire. «
C’est un cas qui nous inquiète réellement à cause des nombreux facteurs de risque en violence conjugale », insiste Me Marchand. En plus de relater les faits allégués, la procureure dépose des courriels échangés par l’accusé, la plaignante Julie et l’ex-conjointe Alice.
Le dossier n’est « pas simple », concède le juge Proulx, avec plusieurs événements allégués.
En défense, l’avocate de Hugues, Me Myriam Tabet, rappelle que le tribunal est face à des versions contradictoires sur la violence alléguée.
L’avocate estime offrir des garanties sérieuses. Hugues ira rester à plusieurs heures de route dans une maison bigénérationnelle équipée de caméras avec son frère, aussi militaire, et sa mère. Les deux personnes qui agiront comme caution sont en télétravail. Elles pourront bien l’encadrer et dénoncer la moindre incartade, plaide l’avocate.
Hugues, retraité des Forces depuis peu, explique vivre avec un diagnostic de choc post-traumatique depuis deux ans. Il voit un psychiatre et une travailleuse sociale. Il est prêt à suivre toute thérapie et à continuer à prendre sa médication.
L’accusé n’a pas d’antécédents criminels.
Le juge Proulx accepte de le remettre en liberté sous conditions, disant avoir pleinement confiance que les personnes qui se portent caution feront leur travail de surveillance. « Il faut regarder les faits allégués, mais aussi le filet de sécurité autour », note le juge.
En plus des montants d’argent déposés, Hugues doit être à sa résidence en tout temps, sauf s’il est avec ses cautions, et il lui est interdit de communiquer avec la plaignante, d’utiliser les réseaux sociaux et de posséder des armes.
«Un système défaillant»
Alice a été en couple avec Hugues entre 2014 et 2018 et a eu une fille avec lui. Elle a suivi l’enquête sous mise en liberté provisoire. Le juge Proulx a eu accès à sa déclaration à la police. Il en retient qu’Alice dit avoir subi de la violence et décrit l’accusé « comme une personne explosive et instable, qui a le profil du prochain féminicide au Québec, trop instable dans ses comportements », cite le juge.
Le système est vraiment défaillant, considère Alice. « À l’enquête sous remise en liberté, ils se permettent de faire témoigner les cautions, de les questionner pour se faire dire à quel point l’accusé est une bonne personne et qu’on a confiance en lui, mais ils ne font pas témoigner les victimes, souligne-t-elle. On devrait pouvoir permettre aux anciennes victimes de pouvoir dire ce qu’elles ont vécu et ça aiderait peut-être à éviter des drames. »
Ce qu’Alice aurait voulu expliquer, c’est que dès les débuts de sa relation avec Hugues, elle a subi de la violence psychologique et aussi physique. Elle garde encore des photos et vidéos dans son téléphone. Sur une vidéo, fournie à la police, Alice affirme que Hugues crie et charge son arme avec leur bébé tout près de lui. Des accusations ont été portées en lien avec cet événement.
Avant cela, Alice n’avait jamais porté plainte à la police. « C’était ma façon à moi de protéger ma propre fille, explique-t-elle. Je me disais que s’il n’est pas fâché contre moi, je ne serais pas inquiète de ce qui pourrait arriver à ma fille. »
Alice aurait aussi voulu parler d’un événement de septembre 2021 qui avait généré un signalement à la DPJ. Hugues aurait commis des manoeuvres qualifiées de rage au volant et aurait sorti un couteau, sous les yeux de sa fille.
« Cet homme-là est une bombe à retardement et j’ai peur pour la prochaine. »
— Alice, ex-conjointe
L’absence de traces du passé
Florence* a aussi été en couple avec Hugues. Ils ont eu une fille ensemble, qui est aujourd’hui adolescente. Les contacts entre le père et la fille sont très sporadiques.
Lors de leurs années de vie commune, Florence dit avoir aussi été victime de violence conjugale. Lors d’un des événements, Hugues l’aurait frappée avec sa baïonnette.
La jeune femme avait alors 21 ans, sans grand réseau familial autour d’elle. « Il me disait que j’allais nuire à sa carrière de militaire et moi, je voulais juste passer à autre chose, témoigne Florence, en entrevue. Le policier qui est venu m’a vivement encouragée à porter plainte, mais je ne l’ai pas fait. »
Les policiers interviendront à deux autres reprises, dont une fois où Hugues, complètement désorganisé, frappait dans les fenêtres, ulcéré que Florence ait un nouveau copain. « J’ai eu très peur et c’est là que j’ai décidé de porter plainte. » Cet événement n’a pas donné lieu à une accusation.
Pourquoi tous ces événements ne deviennent-ils pas une trame, utile pour le juge qui a à décider du sort d’un individu, se demande Florence. « Dans le réseau de la santé, le médecin va voir l’historique de consultation du patient, dans les services sociaux, on voit qu’il y a eu une demande de services, énumère Florence. Comment ça se fait qu’au niveau de la justice, on ne voit pas cette récurrence-là? »
Florence croit elle aussi que si les anciennes conjointes étaient consultées, la cour aurait un portrait plus clair pour prendre une décision. « Moi, je connais l’historique familial, je sais le type de relation qu’il a avec sa mère ou sa soeur », soumet-elle.
Une ex-conjointe pourrait aussi remettre les pendules à l’heure, croit Alice. Quand la mère de Hugues affirme qu’elle n’était pas au courant des comportements violents de son fils, c’est faux, dit-elle. « Je me rappelle très bien du jour où je lui ai dit ce que je vivais avec son fils, soumet Alice. Elle m’a même parlé de gestes qu’elle a elle-même subis de la part de son conjoint. »
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Chicane avec la caution
Le 1er juin 2023, Hugues est réincarcéré et de retour devant le tribunal. Les policiers ont dû intervenir après une violente engueulade entre l’accusé et son frère qui agit comme caution.
Le frère de Hugues décide de se retirer comme caution. « On était pleines d’espoir qu’il aille en thérapie fermée, explique Alice. On allait enfin pouvoir respirer. »
La soeur de Hugues et son conjoint acceptent de prendre le relais comme caution. Hugues est donc libéré pour aller vivre chez sa soeur. Selon Alice, les chicanes y sont nombreuses entre l’accusé et sa soeur. « Ma fille est encore exposée à des situations de violence », dit-elle.
Alice reste avec ses craintes au fond du coeur. « Ce qui me fait le plus peur, c’est quand il a des moments de désorganisation, comme quand il a fait des gestes de suicide. Qu’est-ce qui va arriver si les enfants sont avec lui la prochaine fois? Est-ce qu’il va les emporter dans sa folie ou il va partir seul devant elles? »
Risque homicidaire et suicidaire, selon la DPJ
Deux semaines avant cette seconde remise en liberté, la chambre de la jeunesse rendait une ordonnance pour que les contacts de Hugues avec sa fille de sept ans se fassent désormais à un rythme mensuel et de façon supervisée, pour une période de 12 mois.
« Il importe de préciser que monsieur présente plusieurs facteurs de risque du passage à l’acte suicidaire et homicidaire, tels qu’une jalousie excessive, des idéations suicidaires, un non-respect de ses conditions au criminel, le désespoir de la fin de sa relation », peut-on lire dans le rapport d’évaluation et orientation préparée pour la DPJ et déposé en chambre de la jeunesse.
Les antécédents de menace à l’endroit de sa conjointe et des enfants de celle-ci, le fait d’avoir été violent verbalement, psychologiquement et physiquement, les diagnostics au niveau de sa santé mentale ainsi que l’accès à des armes à feu « sont également d’importants facteurs de risque dont il faut tenir compte dans l’analyse du niveau de danger », ajoute l’auteure du rapport.
Ce rapport, daté du 8 mai 2023, n’a évidemment pas pu être présenté à l’enquête sous cautionnement en février. Il ne l’a pas non plus été le 1er juin. Les preuves déposées en jeunesse ne peuvent pas être utilisées automatiquement en chambre pour adultes. Elles doivent d’abord être déclarées admissibles par un juge.
En thérapie
Au moment d’écrire ces lignes, Hugues est en thérapie pour traiter son choc post-traumatique. « Tant mieux, mais il faut aller plus loin que le syndrome de choc post-traumatique, espère Florence. C’est important qu’il aille à la source de son agressivité, qui était présente avant ses missions, sinon rien ne va changer. »
Au-delà de ses émotions à elle, Florence souhaite que son ex reçoive tout le soutien nécessaire, bien après cette thérapie. Et pas seulement lui. Les femmes, les enfants et les familles plongées dans une dynamique de violence conjugale devraient être mieux soutenues et informées à chaque étape du processus judiciaire, ajoute l’ex-conjointe.
* Prénoms fictifs
SOS Violence conjugale : 1 800 363-9010 — 24/7