Tinder: faux diplôme, faux voyages et problèmes d’argent

Quebec - Mireille victime de fraude amoureuse - 14/03/2023 - le 14 mars 2023 -

Les arnaqueurs ne sont pas seulement dans les documentaires sur Netflix. Une femme de Québec se relève tout juste d’un cauchemar achevé il y a quelques semaines. Faux diplôme, faux voyages et problèmes d’argent louches : l’homme qu’elle avait rencontré sur Tinder n’était pas celui qu’il prétendait être.


Mireille affirme ne pas raconter son histoire dans un désir de vengeance. Elle ne cherche pas non plus, dit-elle, à pourrir la vie de celui qui a partagé son quotidien pendant trois mois.

«Il est très charismatique. Je n’ai aucun doute que d’autres femmes sont actuellement amoureuses de lui, ou en voie de l’être», lâche la femme de 38 ans, qui préfère taire son nom de famille.

Elle souhaite sensibiliser d’autres femmes, d’autres potentielles victimes de cet homme ou d’une autre personne. On dit que l’amour rend aveugle, l’expression est un cliché, mais elle est juste. Mireille espère que toutes les personnes en recherche d’amour seront prudentes lors de nouvelles rencontres.

«Je sais être une victime, mais le fait de ne pas avoir vécu de violence physique ou sexuelle me donne le sentiment que mes émotions ne sont pas valides. La violence psychologique subie par la manipulation et les mensonges répétés au quotidien est pourtant bien réelle.»

Des gestes qu’elle trouvait mignons au début de l’année sont devenus pour elle une forme claire de contrôle. Les explications qui semblaient avoir du sens sont maintenant devenues des inventions évidentes. Quelques semaines après la rupture, elle cherche encore à recoller les pièces du casse-tête.

Nous appellerons cet homme Simon, un nom fictif. Aucune accusation formelle n’a été portée contre lui. Mireille — un nom bien réel — et lui ont formé un couple du mois de décembre 2022 jusqu’à la fin du mois de février.

Le Soleil a essayé d’entrer en contact l’homme en question. Il n’a pas répondu à nos appels.

L’ingénieur

Mireille et Simon ont fait connaissance sur l’application de rencontres Tinder. Un seul rendez-vous a été nécessaire pour que les papillons apparaissent.

«Ça a été une rencontre incroyable. On se sentait amoureux, on le verbalisait. On était très à l’aise. On partageait la même intensité. C’était naturel de se revoir si vite. Mes proches qui l’ont aussi rencontré ont eu un bon pressentiment. Il parlait beaucoup et était intéressant et extraverti.»

Simon était un bel ingénieur de 39 ans de Québec qui travaillait pour un groupe de construction. Leur couple s’est officialisé après les Fêtes. Ensuite, les questions ont commencé à s’accumuler.

Le nouvel amoureux de Mireille «disparaissait» plusieurs jours pour «des voyages d’affaires». Les doutes ont commencé à apparaître, mais sans plus. Simon avait toujours les bons mots pour rassurer sa copine.

Au mois de février, l’ex-copine de Simon écrit à Mireille sur Facebook. «Elle me dit qu’il lui doit de l’argent et qu’il avait été dur avec elle pendant leur relation. Elle me dit : ‘‘sauve-toi’'. Ça m’a tellement marquée. Je ne pouvais pas chasser ça de ma tête», raconte Mireille.

La femme de 38 ans a donc demandé des preuves; les justifications ne suffisaient plus. Simon devant partir pour Calgary, Mireille a simplement demandé de voir les billets d’avion et de train et les factures d’hôtels. Après plusieurs jours, elle reçoit les documents, que Le Soleil a pu consulter et analyser.

Le billet de train avait un numéro de série dépassé. Une facture de restaurant indiquait des plats qui n’étaient plus sur le menu. Et l’hôtel qui figure sur le reçu n’était pas ouvert au moment du séjour.

«Tous les papiers avaient l’air vrais. Mais mes amis et moi, on a fouillé et on a bien fait. Il avait falsifié toutes les dates», affirme Mireille.

Simon a aussi transmis un diplôme de l’école Polytechnique, pour prouver qu’il était bel et bien ingénieur. Toutefois, son nom ne figure pas et n’a jamais figuré sur le tableau de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

Mireille a alors confronté son amoureux. Au pied du mur, il a avoué qu’il n’était jamais allé à Calgary, qu’il avait falsifié son diplôme et qu’il ne travaillait pas à l’heure actuelle. Mireille a ensuite coupé les ponts.

Pendant leur relation, Simon prétendait souvent avoir un problème avec sa carte de crédit. Mireille a donc payé pour lui à quelques reprises. Après deux mois, le supposé ingénieur devait lui rembourser un montant d’environ 350 $.

«C’est tellement peu. Mais il m’a remboursée. J’étais presque surprise, je ne pensais pas revoir cet argent-là. C’est pour ça que j’ai abandonné ma plainte à la police, mon dossier n’était pas fort et je voulais passer à autre chose», souffle Mireille, qui croit qu’on ne devrait pas sous-estimer les conséquences de la violence psychologique.

Une autre victime

Le Soleil est entré en contact avec l’ex-copine de Simon, qui désire conserver l’anonymat. Elle a rencontré elle aussi l’ingénieur sur Tinder et l’a fréquenté pendant quelques mois.

«Monsieur disparaissait assez souvent pendant la relation, pendant plusieurs jours. Il m’envoyait des photos de l’hôpital et disait qu’il était en arrêt de travail. Il me montrait qu’il était dans la misère. Je lui ai prêté 1300 $ pour son loyer ou l’épicerie.»

Après un an et demi, elle a renoncé à revoir un jour la couleur de son argent.

«Malgré les demandes, je n’ai pas de remboursement. Il avait toujours des raisons. Il me bloquait et me débloquait de temps à autre.»

Cette femme a écrit à Mireille d’abord pour avoir bonne conscience, elle souhaitait la mettre en garde.

«Je n’ai pas voulu pas embarquer dans une plainte à la police, je voulais tourner la page. Je suis à l’aise financièrement, je voulais qu’il me rembourse par principe. Je me sentais tellement niaiseuse d’être tombée là-dedans, je ne voulais pas qu’une autre femme vive ça. C’est une petite victoire de l’avoir prévenue», explique-t-elle.

Les deux femmes unissent leur voix pour lancer un message de sensibilisation. «On se dit que ça ne nous arrivera jamais, mais ça peut arriver, peu importe l’âge. Il faut être attentif aux signes de manipulation. Et rencontrer les amis ou la famille de l’amoureux avant de s’engager», soutient Mireille.

La femme de 38 ans espère que son histoire pourra sensibiliser ceux et celles qui souhaitent trouver leur âme soeur sur les applications de rencontre. Elles sont efficaces, mais il faut rester prudent, répète-t-elle.

Mireille raconte la terrible relation qu'elle a vécue en raison de Tinder dans le but de sensibiliser d'autres femmes.

A beau mentir qui vient de loin...

L’adage est juste : celui qui vient de loin peut raconter ce qu’il veut sans être contredit. La sociologue Madeleine Pastinelli s’y réfère pour discuter des relations amoureuses d’aujourd’hui.

«C’est exactement l’esprit que ça capture. Dans Tinder, c’est comme si tout le monde vient de loin… ça ne veut pas dire que tout le monde ment, mais la marge de liberté est plus grande», explique Mme Pastinelli, aussi professeure à l’Université Laval

À l’ère des réseaux sociaux et des applications de rencontres, il devient plus facile et possible de rencontrer quelqu’un qui ne partage aucun espace social, avec qui il n’existe aucune relation commune.

«Avec un espace social en commun, la présence de relations tierces, on n’a pas la même marge de liberté pour se présenter comme on veut. Ça existait avant, dans toutes les époques, mais c’était plus rare. On a de plus en plus de relations indépendantes les unes des autres», note la professeure, qui a analysé ces types de relations dans ses études.

«L’étranger peut aussi agir de manière odieuse sans avoir à rendre de compte», ajoute-t-elle, pour expliquer la plus grande facilité de mentir. Ces types de relations ne sont pas nées avec Tinder, au contraire. Mais l’application facilite assurément ce type de rencontres, indique Mme Pastinelli.

La professeure précise que «les cas d’affabulateur» comme Simon demeurent «rares», «mais ils existent». Il faut être conscient des différents contextes dans lequel on effectue les rencontres.

Acte punissable

L’école Polytechnique de Montréal ne peut infirmer ou confirmer l’authenticité d’un diplôme sans l’autorisation du principal intéressé.

Cependant, l’action de s’afficher faussement ingénieur sur les réseaux sociaux - même Tinder - est punissable par la loi. À la suite de vérifications, un signalement a été fait pour le cas de Simon et une enquête a été déclenchée. Il a depuis changé toutes ses descriptions sur les réseaux sociaux.

«Seules les personnes qui sont membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) peuvent exercer les activités réservées à la profession et se présenter comme ingénieur. Le titre réservé et les activités réservées visent à protéger le public», souligne Anne-Marie Beauregard, porte-parole de l’OIQ.

Pour chaque signalement ou dossier public porté à son attention, l’OIQ effectue les vérifications nécessaires. «Les contrevenants et contrevenantes coupables de pratique illégale peuvent s’exposer à des amendes comprises entre 2500 $ à 62 500 $ pour une personne physique et entre 5000 $ à 125 000 $ pour une personne morale», note Mme Beauregard.

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Fraude amoureuse, deuxième plus populaire

La fraude amoureuse est le deuxième type de fraude le plus populaire au pays. Selon le Centre antifraude du Canada, une fraude amoureuse survient lorsque le fraudeur entretient une relation virtuelle avec sa victime.

En 2022, 1415 plaintes ont été reçues pour ce genre de supercheries. Les fraudes ont fait 1056 victimes et les pertes totales s’élèvent à plus de 59 millions $.

La province de Québec a recensé de ce nombre 568 plaintes pour 508 victimes et plus de 21 millions $ en pertes.

«Les victimes ressentent une grande variété d’émotions différentes (culpabilité, honte, incrédulité, colère, tristesse, peur). Certaines victimes ont parfois de la difficulté à croire que leur relation amoureuse virtuelle était une supercherie. Elles doivent faire face à des pertes financières importantes, mais également à la perte d’une relation dans laquelle elles avaient investi beaucoup de temps, d’énergie et d’argent», souligne le Centre antifraude.