Les associations étudiantes, comités et médias étudiants se relèvent péniblement de la pandémie. Après de dures années où les regroupements étaient impossibles, l’implication étudiante reprend tranquillement son souffle dans les établissements d’enseignement supérieur du Québec. Mais le coronavirus, l’école à distance et la pénurie de main-d’œuvre auront eu raison de dizaines de comités et d’associations, pourtant florissantes il y a quelques années à peine.
C’est le cas de la radio étudiante, du comité plein air et du comité artistique du cégep Garneau, qui n’ont jamais repris vie depuis la pandémie. D’autres comités plus populaires, dont les comités queer, cinéma, féministe et environnemental, ont su recruter de nouveaux membres, mais n’ont toujours pas retrouvé l’énergie d’avant.
À l’Université Laval, le quart des associations étudiantes parascolaires ont été victimes de la pandémie, selon la Direction des services aux étudiants.
Au retour de la pandémie, 80 associations parascolaires avaient repris leurs activités, soit 75 %. L’année dernière, ce nombre a grimpé à 91 et l’Université Laval espère revenir à 100 % dans la prochaine année.
« L’année universitaire 2023-2024 étant à nos portes, nous avons bon espoir d’assister à d’autres retours d’associations parascolaires, et même à la création de nouvelles », a indiqué l’Université Laval.
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Rebâtir de zéro
Dans la dernière année, l’implication étudiante a retrouvé un peu de vigueur, mais garde des cicatrices. Pendant la pause forcée par la pandémie, les comités et associations se sont vidés de leur expérience, sans réussir à la renouveler.
Le comité Univert Laval, qui s’intéresse aux enjeux écologiques sur le campus universitaire, a été maintenu à bout de bras par Jonathan Tedeschi pendant la pandémie, alors qu’il était coordonnateur de l’association. Il a fait survivre le comité à lui seul jusqu’à la rentrée 2022, où de nouveaux membres se sont joints. « On a rebâti un nouvel exécutif et j’étais le seul ancien. On est repartis à zéro », témoigne-t-il.
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« J’avais la sensation vraiment plate que si je partais, ça mourait. »
— Jonathan Tedeshchi, ex-coordonnateur général d'Univert Laval
L’association parascolaire Univert Laval a recruté une dizaine de nouveaux étudiants qui s’impliquent dans le comité exécutif. C’est quand même moins que les seize personnes qui siégeaient au comité exécutif 2018 à 2020. Le nombre de projets menés par Univert Laval sera donc limité par ses effectifs, conviennent les responsables.
Manouka Roy et Samuel Boutin, de l’Association étudiante du cégep Garneau (AGÉCFXG) ont aussi dû repartir à neuf. « Il y a eu une coupure. On repartait à zéro et on n’avait pas de mentors, raconte Manouka. Les savoirs ne se sont jamais passés, et les liens entre les cégeps se sont coupés. On repartait avec peu d’outils de notre côté. »
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L’un des précieux outils de l’AGÉCFXG pour mobiliser et communiquer était la radio étudiante, qui n’a jamais repris ses activités. « C’est encore plus dur de rejoindre les gens et de les faire venir à nos activités et faire connaître nos services », déplore Manouka Roy, coordinatrice adjointe.
Plus de travail, moins de temps
Si les étudiants ont moins de temps à investir dans l’implication parascolaire, c’est notamment en raison de la hausse du coût de la vie.
Les universitaires et cégépiens consacrent de plus en plus de temps à leur emploi pour arriver, constatent les associations étudiantes.
« C’est souvent : ‘‘Est-ce que je subviens à mes besoins ou je m’implique dans l’asso?’’ Malheureusement, la décision est facile. »
— Laurence Mallette-Léonard, présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ)
La crise du logement, l’inflation et la hausse du coût de l’essence sont quelques facteurs qui poussent les cégépiens à travailler davantage pendant leurs études, constate l’AGÉCFXG. « Travailler 20 à 25 heures par semaine, c’est rendu la norme, mais c’est énorme », estime Manouka Roy. « Même si quelqu’un a une session allégée, il va prendre du temps pour travailler parce qu’il a un loyer à payer. Et ça coûte vraiment cher », ajoute-t-elle.
Même son de cloche sur le plan universitaire, selon la Confédération des Associations d’étudiants et étudiantes de l’Université Laval (CADEUL). « La population étudiante est en situation de précarité », atteste d’emblée le président James Boudreau. Entre « payer son loyer, avoir de bonnes notes et s’impliquer pour quelque chose qui n’est pas toujours reconnu », le choix ne s’arrête pas toujours sur l’implication bénévole, constate le représentant de la CADEUL.
L’essoufflement de l’implication étudiant va aussi au-delà des exécutifs des associations. Même les activités peinent à attirer les foules comme avant. « Peu importe l’activité, il va falloir faire des pieds et des mains pour espérer avoir 50 personnes, confie Raphäel Bédard, qui codirige l’Association étudiante du Cégep de Lévis. Et on est 2500 inscrits au cégep! » Pour les assemblées générales, « c’est rendu exceptionnel » d’avoir une poignée d’intéressés dans l’assistance.
S’impliquer autrement
Malgré quelques nuages, l’intérêt pour les enjeux sociaux et politiques est encore là, croit le président de la CADEUL.
« La population étudiante est toujours autant mobilisée, mais elle est mobilisée de façon différente. Dans le passé, on voyait souvent des grands mouvements de masse, de grève et de revendication, maintenant c’est un peu moins le cas, juge James Boudreau, qui étudie en science politique. On va plus voir des manifestations périodiques ou des pétitions. »
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Au cégep, difficile de comparer l’implication étudiante avant et après la pandémie, selon Laurence Mallette-Léonard, de la FECQ, puisque la population collégiale se renouvelle très rapidement. «Certaines implications ne reviennent pas à la hauteur de ce qu’elles étaient avant, mais des implications différentes prennent vie», dit-elle.
La présidente de la FECQ observe que les radios et journaux étudiants ont des difficultés depuis quelques années, qui n’ont été qu’exacerbées par la pandémie. En revanche, elle constate que les associations étudiantes collégiales exploitent dorénavant les réseaux sociaux, leur principal atout de communication.
Pénuries d’élections
À une autre époque, les élections pour siéger au comité exécutif de l’AGÉCFXG étaient féroces. Aujourd’hui, il faut davantage recruter que compétitionner pour avoir un poste. Au moins six postes sont actuellement vacants dans l’association étudiante, soulignent Samuel Boutin et Manouka Roy.
« Il y a moins de personnes qui présentent leur candidature. Vu que les gens connaissent moins les associations, ils ont moins tendance à vouloir s’impliquer », explique Catherine Bibeau-Lorrain, présidente de l’Union étudiante du Québec (UEQ), qui représente 90 000 universitaires.
La baisse s’est remarquée au sein des comités exécutifs, mais également dans la participation associative globale, comme aux assemblées générales et aux événements, ajoute Catherine Bibeau-Lorrain. « J’ai hâte de voir la rentrée qui arrive et les événements 100 % en présentiel sur les campus. Je pense que ça reprend vie. »
Aller à ses cours, sans plus
Pour Raphaël Bédard, de l’Association étudiante du Cégep de Lévis, c’est comme si « les gens sprintaient à travers le cégep », histoire d’atteindre le marché du travail le plus vite possible. « À une certaine époque, on rallongeait presque son parcours pour s’impliquer. Maintenant, on rate les activités pour travailler », constate-t-il.
« Oui, on peut blâmer la pandémie. Mais c’est clair que le travail a une grande part de responsabilité aussi. »
— Raphaël Bédard, coordonateur de l'Association étudiante du Cégep de Lévis
L’implication permet aussi de faire du cégep une étape marquante, et non pas seulement comme d’un passage obligé. « C’est tellement gratifiant de s’impliquer. Ça permet de rencontre des gens, de grandir et de voir ce qu’on aime, ou non, témoigne Raphaël Bédard. À mon avis, ceux qui passent par dessus ratent quelque chose. »
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Le président de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, dresse le même constat. Il s’inquiète de voir l’implication s’effriter sous la pression du marché du travail et de l’écoles à distance.
« C’est préoccupant. Les cégeps sont une expérience, pas juste des boîtes à classes. »
— Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps
À l’Université aussi, les études à distances éloignent aussi les étudiants, constate Jonathan Tedeschi, ex-coordonnateur d’Univert Laval.
« Je pense que c’est un danger que l’Université Laval offre de plus en plus de cours à distance. C’est accommodant, mais la vie universitaire écope, s’inquiète-t-il. Il y a beaucoup de risques de mettre de côté l’expérience universitaire. »
La Fédération des Cégeps, elle, se veut très claire : pas question de faire des cours à distance une normalité. « On veut des gens qui vivent le cégep dans nos cégeps », résume M Tremblay. Il se dit «ouvert» à réclamer une meilleure valorisation de l’implication au collégial, notamment par une note au bulletin.