Lendemains de grève à l’Université Laval: des ponts à rebâtir

La rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours

Le 20 février, de son bureau de la tour des Sciences de l’éducation, la rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours, observait par la fenêtre. Sous ses yeux, au cœur du campus, plus de 700 professeurs manifestaient pour marquer le début de la grève.


Seize étages plus bas, les professeurs entamaient un débrayage qui perturberait les cours pendant plus d’un mois. « On a vraiment été soufflés par la réponse historique des collègues », raconte le président du Syndicat des professeurs de l’Université Laval, Louis-Philippe Lampron.

Habillés de rouge, de tuques et brandissant des ballons syndicaux, les professeurs « ont répondu présents comme jamais », se félicite-t-il. La rectrice en convient, la démonstration était impressionnante. « On se rend compte que les gens ont des choses à dire », réfléchit-elle, à l’occasion d’une entrevue accordée au Soleil pour faire le bilan du conflit de travail.

Dans le tintamarre de la grève, la rectrice se désole d’avoir raté des occasions de faire valoir ses arguments.

« On a trouvé difficile de partager notre point de vue, confie Sophie D’Amours. L’employeur, en temps de conflit, n’a pas le droit de parole. »

« Des fois dans les grèves, on prête des intentions aux patrons. Et c’est dur quand [on veut dire] que ce n’est pas nos intentions, mais qu’on ne peut pas. »

—  Sophie D’Amours, rectrice de l’Université Laval

Même si elle réfute un bris de confiance entre l’administration, celle qui dirige l’Université Laval convient que « certains ponts sont à rebâtir ». Et comment fait-on ça ? « En se rencontrant et en se parlant. »

Les représentants du SPUL, eux, estiment que pour réparer les pots cassés, l’administration devra « prendre acte de la nouvelle réalité, et de ce que la communauté veut vraiment ».

 Des professeurs de l’Université Laval en grève, le 13 février 2023.

Un contexte global

Si aujourd’hui, syndicat et direction affirment que la grève aurait été évitable — à la condition que l’autre côté mette de l’eau dans son vin —, les signes précurseurs à un conflit de travail étaient évidents.

Les universités canadiennes n’ont jamais été si nombreuses à voir leurs professeurs débrayer que dans les derniers mois. Dans un contexte de conventions collectives échues, l’inflation galopante et les changements imposés par la COVID-19 ont mis la table au conflit.

« C’était un moment de revendication, d’affirmation. Sur le campus, mais aussi dans la population, pour dire que les profs existent, que leur travail est important. »

—  Sophie D’Amours, rectrice de l’Université Laval

Mais le malaise était beaucoup plus profond, insiste le président du SPUL. « Depuis les années 90, on assiste à un glissement des universités vers un mode de gestion d’entreprise », affirme-t-il.

Un effritement de la collégialité qui se serait accéléré sous l’urgence de la COVID-19, mais aussi lorsqu’est venu le temps de pérenniser les changements consentis lors de la pandémie. « On a voulu faire ça top-down, comme dans une business », estime M. Lampron. La question a été centrale à la table de négociations.

Le président du Syndicat des professeurs de l’Université Laval, Louis-Philippe Lampron, et Madeleine Pastinelli, secrétaire du SPUL.

La rectrice D’Amours se défend vigoureusement d’avoir administré l’université comme une entreprise. « Tout » différencie l’Université Laval du privé, assure-t-elle.

Tout en rappelant les grandes valeurs rouges et or, Sophie D’Amours souligne que l’UL a pratiquement doublé de taille dans les dernières décennies. Et que l’administration doit gérer un parc immobilier de plus en plus important, avec des contraintes de plus en plus lourdes.

Mais la gestion du savoir est toujours restée collégiale, assure la rectrice. « Des fois, les gens ont l’impression qu’on a dévié de style de gouvernance, mais il existe depuis que l’université existe. La charte est la même et les règles n’ont pas changé depuis 1852. »

Ce n’est toutefois qu’une question de temps. En reconnaissant divers droits, dont celui à la transparence et à la participation démocratique des professeurs sur les décisions d’avenir, la nouvelle convention collective imposera des changements de façon de faire, met en garde le SPUL.

« Les collègues ont eu l’impression qu’on transformait l’université sans eux, voire même, contre eux. »

—   - Madeleine Pastinelli, secrétaire du SPUL et membre du comité exécutif

Ce ne devrait plus être le cas, souligne toutefois la professeure titulaire au Département de sociologie. « La nouvelle convention le dicte noir sur blanc : il y aura des changements à l’Université Laval. Ce n’est pas une question de si, c’est une question de comment. »


LA GRÈVE COMME OCCASION DE RENCONTRE

Même s’il a paralysé l’Université Laval, le conflit de travail a été une occasion de rencontre et d’engagement pour les professeurs. Une « triste » réalité post-pandémique pour la direction, mais un vent de fraîcheur pour le syndicat.

« Ce qui m’a fait le plus de peine, c’est qu’une collègue nouvellement arrivée me dise qu’elle a rencontré ses collègues pour la première fois à la mobilisation », glisse la rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours. « Ça m’a troublée et dérangée. »

Après des années marquées par la COVID-19, les occasions pour les professeurs de se rencontrer ont été rares dernièrement, explique-t-elle. Difficile, donc, de se bâtir un sentiment d’appartenance.

La secrétaire du SPUL, Madeleine Pastinelli, est d’accord. Mais le syndicat estime s’être rapproché du terrain et avoir prouvé sa valeur en s’imposant comme vecteur de rencontres pour les professeurs lors de la grève.

« On voit beaucoup de nouvelles têtes dans nos instances depuis la grève. »

—  Madeleine Pastinelli, secrétaire du SPUL et membre du comité exécutif

« Plusieurs collègues qui n’avaient jamais vraiment eu d’affinité avec le syndicat s’en sont rapprochés, notamment en s’y investissant », explique Mme Pastinelli. « Clairement, on est plus forts comme syndicat après la grève », renchérit Louis-Philippe Lampron.

Le président du Syndicat des professeurs de l’Université Laval, Louis-Philippe Lampron, et Madeleine Pastinelli, secrétaire du SPUL.

Les deux syndicalistes y voient une opportunité de meilleure collaboration entre l’Université et ses professeurs en vue de l’application de la nouvelle convention collective. « Si la direction veut aller dans le même sens que les professeurs, ça peut être extrêmement positif pour notre communauté, estime M. Lampron. Et sinon, on utilisera les nouveaux outils dont on dispose grâce à la nouvelle convention. »

La rectrice D’Amours est aussi optimiste devant l’engagement suscité par la grève. « On le remarque aussi, et on ne peut qu’espérer un tel mouvement de remobilisation, indique-t-elle. Mais on n’est peut-être pas aussi enthousiastes que le syndicat ! »


La rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours

Des guerres de chiffres aux guerres de mots, syndicat et direction en conviennent : le ton de la grève a été dur. Particulièrement sur la question des finances. Convenant à « un sentiment de boîte noire » sur sa gestion, l’Université s’engage à mieux communiquer.

« Un conflit de travail, c’est un rapport de force », résume le président du Syndicat des professeurs de l’Université Laval (SPUL), Louis-Philippe Lampron. « Et pour l’avoir, on a décidé de publiciser nos demandes et nos arguments. »

C’est pourquoi tout au long du conflit de travail le syndicat a multiplié les publications sur les réseaux sociaux. Parfois pour réfuter certains arguments de l’administration, souvent pour l’accuser de manquer de transparence.

D’un graphique dénonçant les augmentations de salaires des dirigeants à des images laissant entendre que l’administration D’Amours cache des sommes, les finances ont été au cœur du débat.

Le SPUL affirme que la direction transfère annuellement des surplus de dizaines de millions de dollars dédiés au fonctionnement de l’université vers des fonds d’immobilisation. « Pour du béton, au lieu de pour de la matière grise », pestait-on lors des manifestations. « Et on attend encore des réponses sur ces points là », précise M. Lampron.

Le vice-recteur exécutif et vice-recteur aux ressources humaines et financières, André Darveau, réfute catégoriquement ces allégations, qui ont percolé tout au long du conflit. Une « mauvaise compréhension », assure-t-il.

« On n’a aucun intérêt à accumuler de l’argent, au contraire. »

—  André Darveau, vice-recteur exécutif et vice-recteur aux ressources humaines et financières

« On suit les règles du ministère et les normes comptables canadiennes à la lettre, martèle le responsable des finances. Mais on se rend compte que ça apporte de la confusion, et on va l’expliquer. »

M. Darveau souligne d’ailleurs qu’un plan de communication et de formation sera bientôt déployé pour rendre les rapports financiers plus digestes et transparents.

« Il y a un sentiment d’une boîte noire contrôlée par l’administration [...] où [la communauté] n’a pas les mains sur le guidon, a reconnu la rectrice d’Amours. On doit rendre ça plus concret et accessible. »

Mais les représentants syndicaux persistent et signent : ce n’est pas une question de compréhension. « Il y a des centaines de millions de dollars qui dorment dans les coffres », assure Louis-Philippe Lampron.

« Quand nos collègues profs du département d’actuariat qui ont analysé les états financiers nous disent que c’est du vent, on les croit », renchérit Madeleine Pastinelli. « Ça appelle au moins à une réponse sérieuse, mais c’est le flou total. »

« On a fait la grève comme des universitaires, avec des données et des analyses. Et on ne nous a opposé que du vide. »

—  Louis-Philippe Lampron, président du SPUL

 Des professeurs de l’Université Laval en grève, le 13 février 2023.

QUI A GAGNÉ LA GRÈVE?

Un mois plus tard, ni la direction de l’Université Laval ni les représentants des professeurs n’ont voulu se déclarer vainqueurs du conflit de travail. Les deux parties se sont toutefois vivement défendues d’en être les perdants. Mais, au final, qui a remporté le bras de fer ?

« C’est une question d’humilité, sourit Louis-Philippe Lampron lorsqu’on lui pose la question. Mais on est très content de ce qu’on a fait entrer dans la convention collective. »

Si le leader syndical refuse de revendiquer la victoire, sur les réseaux sociaux, son syndicat ne s’en gêne pas. Collégialité contraignante, protection pour la liberté académique, salaires et conditions d’emploi : « LE SPUL COCHE TOUTES LES CASES », se vante l’exécutif dans différentes publications.

La convention collective signée à l’Université Laval a même été qualifiée de « Golden agreement », ou d’entente en or, par l’Association canadienne des professeurs d’Université. (ACPU). « Disons que c’est super », convient du bout des lèvres Madeleine Pastinelli, qui représentait le syndicat à la table de négociations.

Les professeurs, qui se sont présentés avec un cahier de charges imposant, n’ont toutefois pas obtenu gain de cause à toutes leurs demandes. « Au départ on parlait d’une augmentation de 30%, et on s’est entendus sur 15,77% », explique le vice-recteur de l’Université et responsable des finances, André Darveau.

Toutefois, difficile pour l’administration de pointer un véritable gain. « On voulait être attentifs aux demandes des professeurs », explique Mme D’Amours.

« On n’a pas fait des pas de géants dans tout, mais on a marqué des points », assure la rectrice D’Amours. Et les « gains » normatifs revendiqués par le syndicat, tels que l’ajout dans la convention collective de divers principes de gestion collaborative, en sont pour l’Université dans son ensemble, insiste-t-elle. « Et on n’a pas [accepté] de choses qu’on ne voulait pas. »

« Nous, au final, quand on regarde notre cahier des charges, on a le sentiment d’avoir bien avancé », conclut pour sa part le président du SPUL, satisfait.