Ce que certains prédisaient s’est produit : la confirmation répétée d’une facture gonflée pour le tramway, promise à atteindre plus de 4 milliards $ depuis des mois, a accéléré le déclin des appuis.
« Ça continue malheureusement de descendre », confirme d’entrée de jeu le sondeur de la firme SOM Éric Lacroix.
Un sondage SOM-Le Soleil mené en ligne du 29 août au 1er septembre révèle que la proportion des 344 répondants se rangeant derrière le mégaprojet a fondu à 32 % dans la grande région de Québec.
Une glissade de cinq points de pourcentage dans la région métropolitaine de recensement (RMR) depuis le dernier coup de sonde réalisé en avril et qui s’additionne au recul de sept points déjà enregistré depuis janvier.
En somme, la courbe de l’acceptabilité sociale du tramway, qui atteignait 44 % dans les premiers jours de 2023, a fléchi de 12 % depuis le début de l’année.
À l’autre bout du spectre, le noyau d’opposants, lui, se maintient à travers le temps, oscillant toujours autour de 60 %. Demeurent les 7 % restants qui ne se prononcent pas.
L’analyste met toutefois en garde contre une interprétation trop stricte des chiffres, compte tenu du petit échantillon statistique ouvrant la porte à une grande marge d’erreur. Mais « chose certaine, ce n’est pas en train de remonter, c’est clair », expose le vice-président et chef de la stratégie d’affaires chez SOM.
Sur l’unique territoire de la Capitale-Nationale, dont la majorité des personnes sondées habitent l’agglomération de Québec, les chiffres confirment un taux d’appui autour de 33 %.
De l’autre côté du fleuve, où les répondants sont concentrés à Lévis, l’opposition au mégaprojet de transport collectif rejoint tout près des trois quarts de la population. « Il y a la frustration probablement de l’histoire du troisième lien autoroutier abandonné, à Lévis », décortique Éric Lacroix.
Surtout, note-t-il, il faut se transporter hors de la région de Québec pour observer une acceptabilité sociale plus forte au tramway.
Montréal favorable
À Montréal, notamment, seul le quart des gens (24 %) se disent contre la réalisation d’un réseau de transport structurant dans la capitale.
Au contraire, les gens de l’autre bout de la 20 s’y montrent même favorables dans une plus grande proportion qu’à Québec, soit à 44 %. Il demeure que le tiers des répondants refusent de se prononcer sur la question.
« Le projet, à l’extérieur de la région, est moins connu, mais à Montréal, il y a une culture d’usage de transport en commun plus ancrée. Ça explique qu’ils se disent probablement ‘’gens de Québec, vous méritez une meilleure façon de vous transporter que dans vos autos ou avec le circuit d’autobus actuel’' », traduit le sondeur à la lumière des résultats.
Les coûts, encore un « frein »
Pour expliquer la déroute de l’acceptabilité sociale du tramway, Éric Lacroix pointe toujours les dépassements de coûts anticipés. Des données obtenues lors d’un précédent volet de sondage SOM-Le Soleil en janvier montraient que les partisans du tramway, bien que prêts à le défendre, ne s’engageaient pas à le faire à tout prix et qu’une facture en hausse pourrait miner leur appui.
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Au fil des mois, il est devenu acquis que l’avènement d’un tramway dans les rues de Québec coûterait au-delà de 4 milliards $. Après avoir ouvert la porte à la possibilité que le projet subisse les contrecoups de l’inflation, le maire Bruno Marchand l’a encore récemment confirmé hors de tout doute — et à plusieurs reprises – lors de multiples apparitions publiques.
« Le 32 % qu’on mesure aujourd’hui, ce n’est pas nécessairement une grosse surprise, pointe le sondeur. Plus les annonces de dépassements de coûts s’accumulent, plus les gens de la région de Québec sont frileux. »
Et même si les pages du calendrier se tournent, personne ne sait encore combien les autorités devront débourser pour le tramway. Un « flou » susceptible d’ébranler encore davantage une acceptabilité déjà fragile, selon M. Lacroix.
« Le fin mot de l’histoire, c’est la peur de dépassements de coûts qui demeure le gros frein à l’acceptabilité sociale. »
— Éric Lacroix, vice-président et chef de la stratégie d’affaires chez SOM
« Ce qu’on a mesuré depuis janvier, c’est qu’il y a une sensibilité palpable aux dépassements de coûts, rappelle-t-il. Pour l’instant, on sait juste que ça va coûter plus cher, alors ceux qui disaient qu’ils arrêteraient d’être en faveur quel que soit le dépassement, c’est potentiellement eux qui ont débarqué du train. »
La dégringolade n’est donc pas forcément terminée. Plus les surcoûts se préciseront à la hausse, moins les adeptes seront nombreux, prédit toujours le vice-président et chef de la stratégie d’affaires de la firme SOM.
« C’est vraiment la crainte des impacts sur la taxation municipale, précise-t-il. On est dans un contexte d’inflation, les gens sont touchés de tous bords, tous côtés, alors les dollars de plus sur le compte de taxes à cause des dépassements de coûts, les gens ne sont pas prêts à embarquer là-dedans. »
Dans une entrevue éditoriale avec Le Soleil la semaine dernière, le maire de Québec attribuait une part du déficit d’acceptabilité sociale du tramway aux discours de l’opposition officielle de l’hôtel de ville et des radios privées. Bruno Marchand reconnaissait toutefois que le contexte économique représentait «le plus gros caillou» dans son soulier.
D’autres « facteurs inquiétants »
Les opposants politiques du maire l’ont accusé de lui-même souffler le chaud et le froid sur le mégaprojet depuis son retour de vacances. De quoi nourrir le « scepticisme » ambiant, d’après M. Lacroix.
Pendant ce temps, le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, rejette la possibilité qu’Ottawa finance sa part de la facture supplémentaire pour le tramway, s’il est élu. « S’il devient premier ministre, est-ce qu’il va y avoir encore 40 % de la facture qui va être payée par le fédéral sous un gouvernement conservateur, questionne-t-il. On n’est pas sûr et ça ajoute à l’inquiétude ».
En somme, les « facteurs inquiétants s’additionnent, dit-il, ce qui fait que dans la région, il a beaucoup de difficulté à gagner de l’attraction ».
« On ne voit pas de remontée avec les chiffres qu’on a présentement. Ce n’est pas en train de se stabiliser, parce que les craintes sont toujours là », termine le sondeur.
Le sondage SOM-Le Soleil a été mené en ligne du 29 août au 1er septembre 2023 auprès de 1 109 adultes québécois francophones.
L’échantillon a été tiré du panel or de SOM, lequel est constitué d’individus recrutés de façon aléatoire par téléphone (fixe et cellulaire). Les données ont été pondérées pour refléter au mieux les caractéristiques de la population selon l’âge, le genre, la taille du ménage, la scolarité, le logement (propriétaire/locataire), la langue maternelle et le secteur géographique. La marge d’erreur maximale, pour l’ensemble des répondants, est de 3,9 %.