La faute aux tuyaux percés, pas seulement aux citoyens

Si Québec n’arrive pas à diminuer davantage sa consommation d’eau, c’est en grande partie la faute à ses tuyaux percés, pointe un ingénieur spécialisé en environnement.

Si Québec n’arrive pas à diminuer davantage sa consommation d’eau, c’est en grande partie la faute à ses tuyaux percés, pointe un ingénieur spécialisé en environnement, qui presse l’administration Marchand de s’attaquer au plus vite à résoudre le déficit d’entretien de son réseau d’aqueduc.  


« Auparavant il y avait l’amphithéâtre, après il y a eu le tramway, mais les réseaux d’aqueduc et d’égouts ce n’est jamais sexy d’investir là-dedans. C’est sous terre, ce n’est pas nécessairement un service qu’on voit, mais c’est un service qui est essentiel : on en a besoin pour éteindre nos feux, pour s’alimenter et pour soigner les gens dans nos hôpitaux », souligne Mathieu Laneuville, président-directeur général de Réseau Environnement.

À la tête de cet organisme à but non lucratif, qui se présente comme « le plus important regroupement de spécialistes en environnement au Québec », M. Laneuville réagissait au reportage du Soleil paru mardi au sujet de la consommation d’eau sur le territoire de la ville de Québec.

Malgré un ultime resserrement de la réglementation par l’administration Marchand, combiné à une saison chaude très pluvieuse, les citoyens ont utilisé environ la même quantité d’eau cet été qu’en 2022.

Ingénieur civil spécialisé en eau et enseignant à l’École de technologie supérieure, Mathieu Laneuville ne s’en étonne pas. « Pas juste à Québec, mais dans le Québec en entier, il y a un enjeu majeur de sous-financement de services d’eau », constate l’expert.

La conséquence coule dans notre sous-sol. Des tuyaux « désuets » laissent s’échapper l’or bleu dans la terre. Dans la province, évalue-t-il, pas moins du quart de la ressource en eau produite se perd dans les conduites souterraines.

Québec à la quête de fuites

Il y a longtemps que la Ville de Québec le sait.

Depuis le début des années 2000, la machine municipale a déployé un vaste programme de détection des fuites dans son réseau d’aqueduc, des bris qu’elle s’affaire à réparer toujours plus vite afin d’éviter à tout prix le gaspillage.

En octobre dernier, l’administration Marchand chiffrait que le taux de fuites des 15 dernières années, soit la proportion d’eau perdue sur le total produit, avait chuté de 35 % à 14 %.

Entre autres par ces « efforts », salués par Réseau Environnement, la Ville est passée de 102 millions de mètres cubes distribués par année en 2006 à un plancher de 84 millions de mètres cubes l’an dernier, d’après les données de Réseau Environnement.

« C’est beaucoup moins gênant une fois qu’on a fait ça de demander l’effort des citoyens. »

—  Mathieu Laneuville, président-directeur général de Réseau Environnement

« Québec a réduit quand même de l’ordre de 20 % et pendant ce temps-là, il y a eu une augmentation de la population de 60 000 personnes », analyse Mathieu Laneuville.

Plus d’argent, maintenant

Mais il y a encore beaucoup à faire, insiste le PDG de l’association. Surtout qu’à force de croissance démographique et de changements climatiques, « la pression sur nos ressources en eau s’exacerbe d’année en année », presse-t-il.

L’an dernier, Québec estimait à 147 millions $ les besoins en investissements annuels sur un horizon de 10 ans pour entretenir son réseau souterrain. Elle disait d’ailleurs avoir accéléré la cadence en fonction de leur niveau de désuétude.

« Autant en aqueduc qu’en égouts, on a un gros déficit de maintien d’actifs. Nos réseaux sont souvent percés et actuellement on a de la difficulté à investir les sommes nécessaires, constate M. Laneuville. Ce sous-financement dans nos infrastructures nous coûte aujourd’hui ». Selon lui, la province produit 20 % plus d’eau que la moyenne canadienne. Par rapport à nos voisins, en Ontario, c’est la moitié plus d’eau produite par personne.

Ainsi, au-delà des réglementations et de la sensibilisation, pour lesquelles le travail « doit continuer », le gaspillage se résoudra surtout par les sommes investies dans les tuyaux, croit-il. Réseau Environnement invite les municipalités à en faire une « priorité », dès maintenant.

« Le nerf de la guerre c’est éliminer les tuyaux en mauvais ou en très mauvais état. Avec des réseaux désuets, on aura beau faire des initiatives, ça va être comme essayer de faire des miracles. »

—  Mathieu Laneuville, président-directeur général de Réseau Environnement

« Il faut passer à l’action et investir massivement. Ce n’est pas une dépense, c’est un investissement qui rapporte. Pour chaque dollar qu’on investit dans nos infrastructures en eau, on a un retour sur investissement de 1,72 $. Si on attend trop, on ne sera plus capable de réhabiliter nos conduites, on va être obligé de les remplacer et ça va coûter beaucoup plus cher. »

Au Québec, le parc d’actifs est évalué à 200 milliards $ en infrastructures municipales d’eau. Du lot, près de 20 % se trouvent en déficit de maintien, donc en mauvais ou en très mauvais état.

Bilan en eau attendu

À l’heure actuelle, la Ville de Québec peine à s’expliquer pourquoi les règles nouvelles règles d’agglomération, qui s’attaquent surtout à l’arrosage, n’ont pas fait chuter l’utilisation de l’eau.

« Il est encore trop tôt pour tracer un bilan complet de l’application du règlement sur la consommation d’eau. L’analyse exhaustive de la consommation d’eau sera faite après la saison estivale et nous pourrons nous appuyer sur ces constats pour évaluer et ajuster notre intervention », indique le porte-parole Jean-Pascal Lavoie.

L’objectif principal du règlement, celui d’éviter les pics de consommation, est cependant atteint, observe-t-il à la lumière des premiers constats.


CONSEILS POUR VOTRE CONSOMMATION RÉSIDENTIELLE

En été, la consommation d’eau dans le secteur résidentiel augmente de 50% en raison des usages extérieurs. Le PDG de Réseau Environnement insiste pour dire qu’il existe de nombreuses solutions pour les ménages désirant adopter des pratiques plus écoresponsables. En voici quelques-unes :

- Arrosage : une pelouse n’a pas besoin d’être arrosée plus d’une fois par semaine. Le gazon peut rester en dormance pendant quatre semaines. Prioriser l’arrosage goutte à goutte ou pendant la nuit pour éviter les pointes de consommation. En après-midi, 60 % de l’arrosage part de toute façon en évaporation.

- Piscines : mettre une toile pour empêcher l’eau de s’évaporer

- Une toilette qui coule peut doubler la consommation d’eau d’une maison. Le simple remplacement d’un clapet peut permettre d’y remédier.

- Nettoyage : installer un baril de récupération d’eau de pluie afin d’emmagasiner les précipitations et s’en servir pour différents usages extérieurs, qui ne nécessitent pas une eau potable.