À « minuit moins une », Lévis enclenche l’expropriation des terrains de Rabaska

Les terrains de Rabaska en bordure du fleuve Saint-Laurent, à Lévis.

Lévis voit l’aiguille tourner et veut s’approprier une partie des terrains de Rabaska, avant qu’il ne soit trop tard et qu’un promoteur mette la main dessus. Les procédures d’expropriation partielle sont enclenchées et le Port de Québec, qui voulait les acheter, menace de reculer.


La décision s’est prise vendredi, en après-midi. Réunis à l’hôtel de ville pour une séance extraordinaire du conseil municipal convoquée la veille, devant une salle comble de citoyens, les élus de Lévis se sont prononcés en majorité en faveur du processus d’expropriation des terrains de Rabaska. Seuls les deux conseillers de l’opposition ont voté contre la résolution, seul point à l’ordre du jour.

Lévis enclenche donc les démarches menant à l’acquisition d’une partie des terrains à l’extrême est de son territoire. Il lui faudra exproprier la société en commandite Rabaska, toujours propriétaire des lots.



Promis jadis à un projet de port méthanier, les terrains à la limite de Beaumont, entre l’autoroute 20 et la route 132, sont hautement convoités. Annoncé en 2004, le projet de terminal gazier a été abandonné en 2013.

Il était « minuit moins une » pour que la Ville s’impose dans la mêlée, fait valoir le maire Gilles Lehouillier. Une fois qu’elles seront passées entre d’autres mains, la municipalité n’aura plus « son mot à dire ».

Ce qui aurait bien pu arriver plus tôt que tard, redoute-t-il.

Le Port de Québec détient une option d’achat sur ces terres depuis 2017. L’administration portuaire avait évoqué en mars souhaiter la conclusion d’une entente «d’ici la fin de 2023», sans s’avancer sur la nature du projet qu’il pourrait développer dans le futur.



Lévis veut «son mot à dire»

De l’espace de plus de 270 hectares (2,7 kilomètres carrés), la Ville de Lévis veut devenir propriétaire de 17 millions de pieds carrés, soit environ la moitié du site. La partie visée, chiffrée à 1,65 million $ par l’évaluation municipale, se situe près de l’autoroute 20, dans un «secteur névralgique pour le développement», plaide l’administration Lehouillier.

« On souhaite que les fins municipales soient reconnues sur ce site-là et non pas la fin d’un seul promoteur, quel qu’il soit », exprime le maire.

« Nous, ce qu’on veut, c’est mettre le pied dans l’étrier à des fins municipales. »

—   Gilles Lehouillier

Le gouvernement du Québec reconnaît l’usage industriel sur cette partie du site, lorgnée par Lévis. La Ville compte d’ailleurs maintenir la vocation industrielle, comme elle ne dispose plus d’espaces dans ses parcs industriels.

« Il ne reste plus grand-chose. Honnêtement, on a fait vite le tour du jardin. Si on veut vraiment se donner un potentiel de développement, il faut maintenant qu’on augmente notre réserve foncière », explique le maire.

« Quels seront les usages qu’on va mettre dans cette réserve foncière? Ça reste à déterminer. » Lévis s’engage à consulter le moment venu. « Tout est possible, on est ouvert », glisse-t-il.

Il avait déjà fait part de son intention de voir Lévis mettre la main sur une partie des terrains non habités, il s’est donc défendu vendredi de sortir «un lapin de son chapeau» à quelques heures du week-end.



De l’aide pour l’achat avait même été réclamée au gouvernement du Québec lors des consultations prébudgétaires.

Cette aide, pour laquelle la Ville avait fixé le 2 juin comme date butoir, «n’est jamais venue».

« Statu quo » pour l’agricole

De nombreux citoyens se sont déplacés pour exprimer leurs réserves, inquiets de la protection de la zone agricole.

La « rurale », non concernée par l’intervention de la Ville à ce stade-ci, sera conservée, assure l’équipe du maire. «On ne touche pas à cette partie-là. Pour la partie rurale, c’est le statu quo pour le moment», précise M. Lehouillier.

Dans tous les cas, il n’est question d’aucun projet en particulier, insiste-t-il, lui qui cache mal sa préférence pour une «nouvelle zone d’innovation en construction navale».

En entrevue au Soleil en avril dernier, il promettait de profiter de la renaissance de la Davie comme levier pour accueillir de nouvelles entreprises, le maire rêve de voir sa ville devenir une «plaque tournante» de l’industrie.

L’intention y est aussi de continuer à «discuter» avec le Port de Québec. S’il a un projet lui aussi, tous deux pourraient « très facilement » cohabiter, selon le maire de Lévis.

« Pour nous, c’est le début des discussions. Je ne suis pas contre le Port de Québec, en passant. On voulait que la reconnaissance de la fin municipale soit là et on ouvre le partenariat avec tous nos partenaires potentiels. »



Le Port va «réexaminer»

Le Port de Québec, lui, voit ce « revirement » d’un tout autre œil.

Après avoir travaillé en co

llaboration « depuis toujours » avec Lévis, afin que chacun trouve son compte sur les terrains de Rabaska, l’administration portuaire entend revoir sa position.

Dans une réaction écrite quelques heures avant la séance, elle ne manquait pas de qualificatifs pour partager sa surprise : Lévis commettrait un geste « soudain, unilatéral et incompréhensible », selon l’organisation qui «s’apprête à finaliser l’achat des terrains».

Demandant de surseoir à l’adoption de la résolution d’expropriation partielle, le Port menaçait de « réexaminer l’acquisition des terrains de Lévis-Est ».

« Son adoption représente une embûche majeure dans la réalisation de la zone industrialo-portuaire Québec-Lévis et menace de plonger le développement du secteur dans des années d’immobilisme. »

—  Port de Québec

« Ce revirement s’inscrit pour nous dans la plus grande contradiction. Nous avons jusqu’ici pu compter sur la collaboration de la Ville et du maire. Une décision aussi précipitée enverrait un fort mauvais message, notamment à la communauté d’affaires locale, nationale et internationale », plaide Mario Girard, président-directeur général du Port.

L’opposition se sent bousculée

La convocation pour la séance extraordinaire du conseil a été acheminée aux élus à « environ 24 heures» d’avis, déplore l’opposition municipale.

Évoquant un «manque d’informations» et une série de questions demeurant en suspens, les deux conseillers de Repensons Lévis se sont opposés à la résolution, à défaut de parvenir à convaincre l’équipe du maire de retarder la décision.

« On n’est pas contre l’idée que la Ville acquière les terrains. Mais on a bien des questions sur le processus », a déploré l’élu de Saint-Étienne, Serge Bonin.

Le chef Elhadji Mamadou Diarra accuse l’administration Lehouillier d’un « manque de préparation pour cet enjeu national ».




CE QU’ILS ONT DIT

«Une zone d’innovation maritime, il faut avoir ça à Lévis, il faut penser grand. Je trouve ça inquiétant, j’ai vu la sortie du Port de Québec, ça pourrait remettre en question leur développement du côté de Lévis-Est. Je pense qu’il faut faire bien les choses, il va falloir travailler ensemble.» — Marie-Josée Morency, directrice générale de la Chambre de commerce et d’industrie du Grand Lévis

«C’est important, dans une ville de 150 000 habitants, un gros dossier comme ça, ça ne se gère pas de cette façon. Une ville, ça ne se gère pas aux 24 heures, c’est pour les 24 prochaines années, avoir une vision à long terme. Il manque une planification.» — Elhadji Mamadou Diarra, chef de Repensons Lévis