Du début des années 2000 jusqu’en février 2021, le secteur éolien a été vertement critiqué par un nombre important d’élus, de commentateurs de l’actualité, d’analystes et de citoyens. Le vent, si l’on peut s’exprimer ainsi, a graduellement tourné, pour diverses raisons, dont le coût d’énergie au kilowatt-heure.
Même le premier ministre François Legault, qui a dénigré l’énergie éolienne avec vigueur lors de la campagne électorale de 2018, s’est rangé du côté de cette filière en février 2021 en annonçant que le projet Apuiat, proposé par les Innus de la Côte-Nord, serait érigé.
Frédéric Côté, directeur général de Nergica, un centre collégial de transfert technologique basé à Gaspé, mais couvrant tout le Québec, explique en trois points l’embellie touchant le secteur éolien depuis une période qu’il évalue à trois ans.
«Le premier élément, ce sont les bas coûts, une question relative, par rapport aux autres options. Aussi, le Québec s’y prête bien puisque nous avons de bons régimes de vent, que le chauffage électrique est bien présent, et que les vents d’hiver sont plus forts, ce qui crée une concordance des forts vents l’hiver et des besoins de pointe en énergie. L’éolien est aussi avantagé en matière de vitesse de déploiement, surtout quand on le compare à de grandes centrales hydroélectriques. Un projet éolien peut se faire en quatre ans», analyse M. Côté, notant au passage que le vent, bien qu’intermittent, se marie bien avec l’hydroélectricité.
Il apprécie conséquemment le plan de Michael Sabia, tout en servant une mise en garde, considérant que des parcs éoliens d’une capacité globale de 10 000 mégawatts (MW) seront érigés d’ici 2035, alors que le Québec compte présentement 3900 MW installés.
« Ce qu’on a sur la table, c’est générationnel, d’une ampleur majeure. Comment faire tout ce déploiement, ces nouvelles lignes, ces nouveaux parcs? Il faudra le faire en fonction de ce que le territoire est capable d’absorber. Les collectivités locales, on l’a vu, sont capables d’accepter des parcs éoliens, mais tous les partenaires devront travailler ensemble. C’est l’un des pièges à propos desquels nous devrons être vigilants. »
— Frédéric Côté
Il faudra sans doute un certain temps avant qu’Hydro-Québec reparte en appels d’offres éoliens puisque la société publique est occupée à gérer ses deux derniers appels de soumissions, totalisant 2280 MW d’énergie renouvelable, provenant surtout du secteur éolien.
« Le plan d’action se traduira par 1000 MW par an, pendant 10 ans. On se souviendra que le premier grand appel d’offres d’Hydro-Québec [en 2003] se situait à 1000 MW », insiste Frédéric Côté.
Pas de normes de contenu québécois ou régional
Dans le plan présenté le 2 novembre, Michael Sabia n’a mentionné nulle part l’imposition de normes incitatives de contenu québécois ou régional afin de favoriser la filière de fabrication de composantes comme les pales et les tours, née des appels d’offres des années 2003 à 2013.
Michel Letellier, président et chef de la direction d’Innergex, le plus gros propriétaire de parcs éoliens au Québec, précise que cette situation est générée par quelques facteurs, notamment l’urgence de mettre en branle les prochains parcs éoliens et le contexte serré de gestion de coûts engendrés par l’inflation et les taux d’intérêt.
« Innergex-Cartier a été à l’avant-plan, avec Marmen et LM lors de l’appel d’offres de 2003 », aborde-t-il en parlant des tours commandées à l’usine Marmen de Matane et des pales acquises de LM Wind Power à Gaspé. Ces composantes avaient équipé des parcs représentant 740 des 1000 MW d’énergie voulue par Hydro-Québec il y a 20 ans.
« On voit moins ça, les exigences de contenu québécois; le coût entre en ligne de compte. On espère que des manufacturiers québécois seront capables d’aller chercher une partie des composantes. Il y a des tours de l’Asie qui sont très compétitives. Il y a toujours cet équilibre dont nous devons tenir compte. Il y a aussi pénurie de main-d’œuvre. Il y a moins d’urgence maintenant qu’il y a 20 ans, alors qu’il fallait relancer la Gaspésie », précise Michel Letellier.
Frédéric Côté a aussi noté que les normes de contenu québécois ou régional sont exclues du plan d’action de Michael Sabia. Lors de la décennie suivant 2003, les soumissions déposées par les promoteurs éoliens recevaient des points supplémentaires selon la proportion de contenu, notamment celui provenant de la «zone désignée» comprenant la région administrative Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et la MRC de la Matanie.
« Ça ne fait pas partie des considérations actuelles. On paie le prix de la période creuse des années où il n’y a pas eu d’appels d’offres au Québec, note M. Côté en parlant de la période 2014-2022. Les joueurs [fabricants de composantes] sont allés vers l’exportation. L’accent est mis sur d’autres aspects, dont la participation du milieu [les régies régionales de l’énergie] dans les parcs ».
LM Wind Power possède un carnet bien garni avec des commandes de pales pour des parcs éoliens américains en milieu marin qui garderont l’usine de Gaspé en action pendant au moins les trois prochaines années. Ces pales de 107 mètres sont les plus longues fabriquées dans les Amériques.
De l’été 2016 à l’été 2022, LM a exporté au sud des États-Unis des pales servant au renouvellement de parcs éoliens existants.
L’usine de tours d’acier de Marmen à Matane tourne toutefois au ralenti depuis deux ans et elle est présentement à court de contrats.
« Je pense qu’ils [les dirigeants de Marmen] seront capables d’aller chercher des contrats prochainement. Ils sont seuls au Québec, sinon à l’échelle du pays. Je pense qu’on voit [de la part d’Hydro-Québec] une volonté d’aller chercher de la compétition », signale Frédéric Côté.
En attendant les prochains appels d’offres, Innergex accélère afin d’étudier les vents dans plusieurs régions du Québec, dans le but d’installer des parcs éoliens. « On ne prend pas de chance. On veut être présents partout, sur la Côte-Nord, au Lac-Saint-Jean, dans Lanaudière, en Mauricie, en Gaspésie, au Bas-Saint-Laurent et en Estrie », spécifie Michel Letellier.
Il croit qu’il sera possible d’abaisser le coût de production des prochains parcs éoliens à environ 6 ¢ le kilowatt-heure, ce qui est moins cher que le coût du complexe La Romaine. Ce dernier est souvent présenté à 6,4 ¢ par Hydro-Québec, un montant sous-évalué selon des experts, soutenant qu’on ne tient pas compte des redevances et du fait que la société publique puisse étaler ses paiements sur 60 ans ou plus, ce que ne peuvent faire les promoteurs éoliens, tenus à des contrats de 20 ans.
Une étude réalisée par la firme américaine Lazard indique que le coût éolien du mégawatt-heure a chuté de 71,85 % dans le monde entre 2009 et 2021 inclusivement, en dollars actualisés.