S’il a été surpris d’apprendre que l’un de ces cinq prix allait lui être décerné, il ne ressent pas moins de fierté. «C’est une belle tape dans le dos», lance le travailleur d’Amqui, dans La Matapédia. Pour la directrice de l’entreprise où il œuvre depuis 42 ans, soit Groupe TAQ, division Alliance, M. Rattie mérite largement ce prix. « Avec tout ce que Bertrand fait pour l’entreprise, je suis très fière que sa candidature ait été retenue, souligne Marie-Noëlle Ouellet. Je connais Bertrand depuis 2001. C’est une personne très positive, toujours de bonne humeur. »
14 ans à l’hôpital et en centre de réadaptation
Cinquième enfant d’une famille de huit, Bertrand Rattie a été diagnostiqué de la poliomyélite alors qu’il n’avait que 7 mois. Paralysé de la tête aux pieds, il a été hospitalisé à Montréal et a fréquenté un centre de réadaptation de Québec jusqu’à l’âge de 14 ans.
De 7 mois à 14 ans, j’ai toujours été dans les hôpitaux. J’ai appris à lire, à écrire et à compter à l’hôpital.
— Bertrand Rattie
Il ne garde pas pour autant de mauvais souvenirs de cette vie, même s’il était privé de ses parents et de sa fratrie, qui habitaient trop loin pour lui rendre visite souvent. « Ma mère en avait sept autres à s’occuper à la maison et mon père devait travailler, explique-t-il. Pour moi, les médecins, les infirmières et les intervenants, c’était ma famille. Je m’attachais à eux. » L’été, le petit Bertrand pouvait passer trois semaines avec sa famille à Amqui. « Je pleurais pour rester à l’hôpital », raconte-t-il.
Le personnel soignant exprimait tout autant d’affection à son égard. Il a encore le doux souvenir, alors qu’il était enfant, d’un couple composé d’un médecin et d’une infirmière qui l’amenait à la maison et qui lui offrait des jouets en cadeaux.
Animé d’une détermination inébranlable et avec beaucoup d’exercices de réhabilitation, il a, au fil des ans, recouvré l’entière mobilité de ses bras et de tout le haut de son corps. Avec des béquilles et des orthèses aux jambes, il réussit même à sortir seul de son fauteuil roulant et à faire quelques pas, notamment pour monter dans sa voiture. D’ailleurs, il conduit une voiture adaptée depuis l’âge de 16 ans.
Même emploi depuis 42 ans
Passionné par la mécanique, Bertrand Rattie décroche son premier emploi en 1981 à l’âge de 22 ans chez Impression Alliance 9000, une entreprise adaptée qui ouvrait ses portes à Amqui. Le jeune homme voulait tellement travailler que, pendant sa première semaine d’emploi, il dormait dans sa voiture et se lavait dans l’usine en attendant sa première paie pour pouvoir se louer un appartement.
Formé à même l’entreprise, il a réparé et reconditionné des alternateurs et des démarreurs jusqu’au début des années 1990. Aujourd’hui, il est affecté à la finition des documents dans le département de la reliure. L’employé polyvalent est aussi en mesure d’opérer et de réparer presque tous les équipements de l’usine qui compte 152 employés, dont 141 vivent avec une limitation, qu’elle soit physique, intellectuelle ou liée à un problème de santé mentale.
Loin de focaliser sur son handicap, qu’il ne perçoit d’ailleurs pas comme un obstacle, M. Rattie est très sensible aux malheurs des autres. «Si quelqu’un est dans le trouble, je vais l’aider.» Pour le sexagénaire, tout est une question d’attitude. « Je ne regarde jamais en arrière, toujours en avant.» Il tient aussi à faire part d’un message auprès des employeurs: « Je souhaite que d’autres entreprises comme celle qui m’engage soient plus ouvertes. Laissez les personnes handicapées travailler. Donnez-leur leur chance! »
L’amour en prime
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Son embauche chez Impression Alliance 9000 en 1981, qui est maintenant devenue la division Alliance depuis sa fusion avec Groupe TAQ, a été doublement chanceux pour Bertrand Rattie puisqu’il y a rencontré « sa dulcinée », comme il se plaît à l’appeler. Les deux amoureux ont convolé en justes noces en 1986.
Lui et Martine Lessard, qui a une légère limitation à un bras, ne partagent pas seulement leur vie intime depuis 42 ans, mais ils travaillent ensemble dans le même département depuis aussi longtemps. « On nous appelle les inséparables », rigole Bertrand. N’ayant pas eu d’enfants, celui-ci estime qu’il peut ainsi mieux gâter ses neveux et ses nièces, dont sa filleule Sabrina, qu’il affectionne particulièrement.
Un « patenteux »
Le Matapédien se qualifie de «patenteux», comme son père. « Quand ça n’existe pas, je l’invente », dit-il. Il se souvient d’ailleurs que, bien avant que les vélos à main soient commercialisés, son père lui en avait fabriqué un lorsqu’il était adolescent à partir de trois bicyclettes. «Après, il m’avait perdu, lance-t-il en riant. Je pouvais suivre tous les gars de mon âge en bicycle!»
En plus d’avoir fabriqué une galerie et une rampe d’accès pour sa maison, M. Rattie a installé un ascenseur et, en deux hivers, il a terminé les travaux pour aménager son sous-sol. Il a aussi construit lui-même son garage en l’espace d’un mois. « J’ai monté moi-même les murs, relate-t-il. Mon quatre-roues, c’était mes pattes. » Un de ses amis est venu l’aider à faire la toiture. Puis, pour le pavé uni, M. Rattie a transporté seul 364 dalles de ciment.
L’homme a également fabriqué lui-même, sans aide, une galerie adaptée d’une dimension de 8,5 mètres sur 9 mètres pour son chalet situé à Saint-Adelme, près de Matane. Comme il aime taquiner la truite mouchetée, il a bâti lui-même une passerelle de 12 mètres pour se rendre au lac du Cœur avec son fauteuil roulant.
EN CHIFFRES
Plus d’un million de personnes ont une incapacité, ce qui représente 16% de la population québécoise de 15 ans et plus, révèle l’Enquête canadienne sur l’incapacité réalisée en 2017. Selon le Conseil québécois des entreprises adaptées, 4 000 travailleurs vivant avec des limitations oeuvrent dans les 36 entreprises adaptées du Québec. Chaque jour, 200 produits sont conçus grâce à eux. Les principaux secteurs où l’on retrouve ces employés sont la couture industrielle, l’emballage et la manutention, l’entretien ménager, les fournitures de bureau, l’impression et la postimpression, l’industrie du bois et la récupération. Le gouvernement du Québec offre des subventions salariales et des programmes, que ce soit pour l’intégration au travail, le service d’assistance aux employeurs ou l’aide financière allouée aux entreprises adaptées. Johanne Fournier, collaboration spéciale