Les plus longues pales en Amérique quittent Gaspé

Crédit-photo I : Jean-Philippe Thibault

Bas de vignette I : Les six premières pales de 107 de LM Wind Power ont quitté Gaspé vendredi. eolien

Le Rolldock Sky, un navire-cargo de 141 mètres, larguera aujourd’hui les amarres du quai industriel de Sandy Beach à Gaspé avec à son bord un précieux chargement : les six plus grandes pales jamais construites de ce côté-ci de l’Atlantique.


Après être restée à quai un peu plus de trois jours, l’embarcation prendra la mer en direction du port de New Bedford, au Massachusetts, à environ 80 km au sud de Boston, où les gigantesques pales de 107 mètres seront réacheminées vers des parcs éoliens en haute mer de la Côte Est américaine.

New Bedford est le chef-lieu du parc éolien à venir Vineyard Wind 1, le premier projet d’énergie éolienne à grande échelle des États-Unis devant fournir 800 mégawatts. Les pales fabriquées à Gaspé devraient logiquement être déployées pour ce parc qui sera situé à environ 25 km au sud des îles de Martha’s Vineyard et de Nantucket. L’information n’a cependant pas pu être confirmée par Le Soleil. La direction de LM Wind Power, qui fabrique les pales, ne désire pas commenter publiquement le dossier.



Crédit-photo II : Groupe Bellemare

Bas de vignette II : Les pales issues de l’usine LM Wind Power sont les plus longues en Amérique du Nord.
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Point tournant

Les pales de 107 mètres – les plus longues en Amérique – sont les plus récentes créations issues de l’usine gaspésienne. LM Wind Power en produit de la même longueur depuis 2019 à partir de ses installations de Cherbourg, en France. Le fabricant danois Vestas en fabrique depuis peu de 115,5 mètres.

Cette première livraison vers les États-Unis est une étape importante pour Gaspé, qui veut profiter de cette opportunité pour positionner son port comme un fer-de-lance dans l’est du Québec. « Ça amène du nouveau trafic lourd qu’on n’avait pas depuis longtemps. Ça situe avantageusement notre ville avec une infrastructure accessible pendant 365 jours. Ça va montrer à la face du Québec qu’on a un port qui mérite développement et attention », analyse le maire de Gaspé, Daniel Côté. Le port de Sandy Beach est situé en eau profonde dans le deuxième plus grand port naturel au monde. La marchandise manipulée au quai est déjà en forte hausse, ayant augmenté de 127% entre 2021 et 2022, s’établissant à 210 804 tonnes.

Crédit-photo III : Groupe Bellemare

Bas de vignette III : Les premières pales ont été acheminées vers le quai de Sandy Beach le 9 mai dernier.

L’arrivée de ces pales surdimensionnées a aussi nécessité d’importants investissements, dont l’agrandissement de l’aire d’entreposage près du port ainsi qu’une mise à niveau évaluées à 7,8 millions de dollars. Une route reliant le quai au parc industriel des Augustines – où se situe l’usine de LM Wind Power – a été spécialement construite pour l’occasion. Le tronçon de 7 kilomètres reste encore à être asphalté et devrait coûter environ 20 millions de dollars, dont 95% des coûts ont été payés par Québec.

Le transport de la première pale vers le quai de Sandy Beach le 9 mai dernier avait suscité la curiosité. Il s’agissait des plus longues pales jamais transportées en Amérique du Nord, confirme le Groupe Bellemare, responsable de la manutention. C’est à quelques mètres près leur plus long chargement. Seules quelques pièces du REM ont surpassé cette marque jusqu’ici.



Crédit-photo IV : Jean-Philippe Thibault

Bas de vignette IV : Les pales ne pèsent « que » 60 tonnes et nécessitent l’apport de 8 personnes pour leur transport. eolien

Pour les pales, ce sont deux remorques autotractées qui sont nécessaires pour l’opération : une à l’avant et l’autre vers le centre-arrière. Un opérateur à pied suit et opère les engins. La vitesse de déplacement est d’entre 4 km/h et 5 km/h, pour un temps total d’environ deux heures de l’usine jusqu’au quai. « L’un des plus gros enjeux, c’est la flexibilité de la pale et sa fragilité. Pour comparer, c’est un peu comme une aile d’avion. C’est n’est pas une question de poids non plus, c’est relativement léger à moins de 60 tonnes », explique Julien Pinard, directeur général au secteur transport au Groupe Bellemare.

L’entreprise s’est d’ailleurs impliquée en amont dès le début du processus de la conception de la route il y a deux ans. Ce sont 8 personnes qui sont nécessaires pour le transport d’une seule pale, incluant la sécurité. « En plus de construire la route, des poteaux électriques ont dû être enlevés et des fils rehaussés tout le long du trajet. Ç'a été un travail de longue haleine. Il faut calculer les charges axiales et le centre de gravité, voir le comportement de la pale. Mais tout est arrivé comme prévu et il n’y a pas eu de gros pépins », ajoute Julien Pinard, dont l’entreprise est en affaires avec LM Wind Power depuis plus de 15 ans.

En moins de deux ans

Pour la Société portuaire du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie – mandatée par Québec pour le développement des ports de Gros-Cacouna, Rimouski, Matane et Gaspé suite au transfert des infrastructures de la part du fédéral en 2020 – cet envoi marque un jalon important et met en lumière des actions rapides de la part des différents acteurs impliqués.

Il s’est écoulé moins de deux ans entre l’annonce faite en compagnie du premier ministre Justin Trudeau le 14 juillet 2021 pour un agrandissement évalué entre 160 et 170 millions de dollars afin de doubler le volume de l’usine de LM Wind Power et la première livraison des nouvelles pales ce 2 juin.

Crédit-photo V : Jean-Philippe Thibault

Bas de vignette V : Au moins 18 autres pales sont prêtes à être exportées et attendent dans l’aire d’entreposage chez LM Wind Power. eolien

Dans l’intervalle, la Société portuaire a acquis et fait décontaminer des terrains en plus de préparer ses propres travaux d’agrandissement de l’aire d’entreposage, la Ville de Gaspé a attaché le financement de sa route industrielle auprès de Québec, élaboré les plans, exproprié des résidents, fait déboiser environ 190 000 mètres carrés de forêt et fait construire le tronçon, pendant que LM Wind Power embauchait massivement et parachevait son volumineux agrandissement; le plus grand projet industriel dans l’histoire moderne de Gaspé.

« C’est un bel exemple de collaboration. Tout le monde a travaillé ensemble pour arriver à ce fameux chargement, analyse Anne Dupéré, la présidente-directrice générale de la Société portuaire du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Quand on regarde la séquence depuis l’annonce de LM en 2021, honnêtement, c’est un chantier qui a très bien été. Quand on veut que ça fonctionne, ça marche! Ça démontre aussi l’importance d’un quai dans un écosystème économique. Pas de port, les pales ne pourraient pas partir vers les États-Unis. C’est un maillon important de la chaîne. »



Crédit-photo VI : Jean-Philippe Thibault

Bas de vignette V1 : Le maire de Gaspé, Daniel Côté eolien

Au moins 18 autres pales sont prêtes à être exportées et attendent dans l’aire d’entreposage chez LM Wind Power, alors qu’une douzaine peuvent être simultanément laissées au quai de Sandy Beach. L’envoi de pales entre Gaspé et le Massachusetts devrait se faire jusqu’à l’automne à chaque 10 jours environ, selon la Société portuaire.

« On veut positionner Gaspé comme un port stratégique à l’embouchure du Saint-Laurent, renchérit le maire Daniel Côté. Ce qui va nous aider, c’est quand le chemin de fer va arriver pour de l’intermodalité. On est bien placés pour redevenir une plaque tournante. » Ce ne sera peut-être pas aussi éclatant qu’à la belle époque où Gaspé était un port-franc, entre 1860 et 1867, avec une dizaine de consulats de pays étrangers comme ceux du Portugal, de la Norvège, des États-Unis et de l’Italie, mais la principale ville de la région espère tout de même en profiter pour tirer son épingle du jeu.