Rendre justice avec papier et crayon

Pascal Gagné est huissier de justice, mais l'homme derrière ce métier possède un grand cœur.

MÉTIERS MAL AIMÉS / « Jusqu’à ce que je rencontre ma conjointe, ce n’était jamais très gagnant mes dates lorsque j’en venais à parler de mon travail. »


Afin de casser certains préjugés et d’en connaître un peu plus sur ce choix de carrière et sur la personne qui se cache derrière, Le Soleil est allé à la rencontre de professionnels qui ont choisi un métier peu apprécié par le grand public. Aujourd’hui, huissier de justice.

Lorsqu’il a commencé ses études en techniques juridiques au cégep, Pascal Gagné ne savait pas trop dans quelle direction ses études en droit le mèneraient. « Après le cégep, je pensais aller à l’Université Laval, mais sans vraiment avoir un parcours bien précis en tête. J’allais plutôt décider selon les opportunités. La seule chose dont j’étais sûr c’était de ne pas devenir avocat », raconte-t-il.

Il deviendra finalement huissier de justice en 1999. « On devait réaliser un stage en milieu de travail, le côté rat de bibliothèque dans un bureau de notaire ou d’avocat ne me plaisait pas trop. J’ai donc choisi d’aller voir du côté des huissiers de justice », explique-t-il.

Son entourage le met en garde sur cette carrière. « Les gens étaient surpris. Ce n’est pas un métier traditionnel. On m’a dit : “Tu t’en vas dans quelque chose de pas facile”. Je répondais qu’il n’y a aucun métier facile. »

Justicier et entrepreneur dans l’âme

Même s’il n’a jamais voulu embrasser la carrière d’avocat, M. Gagné a toujours senti que la justice était importante pour lui. « Lorsque je fais ma revue de presse le matin, je suis scandalisé par certaines situations. On dirait que parfois la justice n’est comme pas là par moment. Par mon travail, j’essaye de faire avancer ça. Mais évidemment, c’est limité aux pouvoirs que je possède comme huissier de justice », confie-t-il.

Selon M. Gagné, la justice est importante dans notre société.

« Elle est là pour tous. Elle garantit un droit fondamental. Mais ceux qui pensent que la justice va les oublier s’ils ne s’acquittent pas de leur dette se trompent lourdement. »

—  Pascal Gagné

M. Gagné a également grandi auprès de parents entrepreneurs, ce qui lui a donné le goût de se tourner vers une profession libérale. « Les huissiers de justice reçoivent des mandats et les honoraires sont décidés par le gouvernement, mais nous ne sommes pas des fonctionnaires. Je suis un travailleur autonome », mentionne-t-il.

« Et c’est plaisant, poursuit-il. Je décide de mon horaire et de ma charge de travail. »

Dans le même bureau d’huissier de justice depuis son premier stage, Pascal Gagné est devenu associé principal en 2019 de l’Étude Gagnon Sénéchal Coulombe. Depuis 2021, il est copropriétaire et occupe la fonction de président.

Les insultes et les menaces

Les huissiers de justice sont parfois mal accueillis lors de leur visite à une entreprise ou au domicile personnel. De quoi faire changer d’avis certaines personnes dans leur choix de carrière.

M. Gagné ne s’est jamais laissé impressionner par l’intimidation. Il a su dès sa première visite qu’il était fait pour ce métier. « J’allais rencontrer un entrepreneur pour un dossier d’amendes impayées. Un montant de 2000 $. Je ne le savais pas, mais l’entreprise — liée au crime organisé — était habituée à recevoir la visite d’huissiers de justice. La situation s’est vite envenimée. Je suis tout simplement parti pour mieux revenir », révèle-t-il.

Selon Pascal Gagné, l’huissier de justice doit être vu comme un allié.

« Les huissiers de justice ne sont pas armés. Nous avons juste un crayon et du papier », ajoute-t-il. Ce jour-là, M. Gagné n’était pas accompagné par des policiers.

L’huissier de justice avoue avoir déjà eu peur pour sa sécurité. Cependant, au fil des années, il s’est aperçu, à part à quelques exceptions, d’une diminution de l’utilisation de la violence verbale et parfois physique. « Les gens sont mieux informés. Ils savent que je ne saisis pas les biens lors d’une première visite. Je fais juste la liste pour une éventuelle vente, s’il n’y a pas d’entente pour la dette à acquitter », rapporte-t-il.

Désamorcer la situation

S’il n’a aucune émotion lorsqu’il procède à une saisie, Pascal Gagné n’en demeure pas moins un être humain.

« Quand j’arrive chez quelqu’un pour une saisie, souvent la première réponse, c’est “je n’étais pas au courant. Je n’ai rien reçu.” Ce n’est pas une surprise de voir l’huissier. Plusieurs courriers ont été envoyés, il y a eu un jugement au tribunal. La personne a été négligente et n’a pas payé ou pris une entente de payement volontairement », s’insurge-t-il.

Cependant, M. Gagné ne cherche pas à enfoncer encore plus un individu dans le trouble. « On joue un peu au bad cop, bon cop. On est le méchant qui arrive, mais on donne en fait un délai », dit-il.

« Quand la personne collabore, je prends le temps de m’asseoir avec elle. Je lui explique la situation, pourquoi on est rendu là et les étapes à suivre. »

—  Pascal Gagné

De l’avis de M. Gagné, l’huissier de justice doit être vu comme un allié. « On peut aider le débiteur en lui expliquant toutes les possibilités pour en arriver à une entente. »

Ce qui l’attriste le plus? Devoir expulser une personne âgée. « Souvent, ils sont désorganisés, ils peuvent avoir des problèmes de santé mentale ou être sans famille. Dans ces cas-là, je prends contact avec des organismes. Souvent, ils ont des dossiers avec ces gens-là. »

Le sport pour décompresser

Il y a quelques années, le stress a conduit M. Gagné vers un épuisement professionnel. Il a été en arrêt de travail pendant trois mois.

« La pression est forte. Les délais sont de plus en plus courts. Il faut être capable de se détacher et de garder un équilibre physique et mental. »

Depuis, il a appris à relativiser et à prendre une certaine distance avec ses dossiers. Cet amateur de football et de musique se tient également en forme pour aider son mental.

Si son métier lui donne parfois l’air d’être un sans cœur, il se définit comme une personne humaine et très sensible.

« J’ai le cœur à la bonne place. J’ai des sentiments pour les personnes qui le méritent. »

—  Pascal Gagné

La rencontre avec sa conjointe a également changé sa vie. Père de famille depuis sept ans, il a quitté le terrain pour se consacrer à la gestion.

« La réforme du Code de procédure pénale en 2016 a donné de nouvelles responsabilités aux huissiers de justice en matière d’exécution de jugement. Le cabinet avait besoin de personnes pour comprendre et appliquer ce nouveau code », souligne M. Gagné, qui n’exclut pas un retour à temps partiel sur le terrain à un moment donné.

Pénurie de main-d’œuvre

Seulement quelque 450 huissiers de justice exercent au Québec. « Le métier n’a pas la cote. Souvent, la première chose qu’on me dit : “Tu saisis les gens.” Mais en fait, moi, j’exécute simplement un ordre de tribunal. J’explique que oui, il peut avoir de la malchance, mais souvent les gens ont fait exprès de ne pas payer leur dette », se défend-il.

M. Gagné ne s’en cache pas. Le métier d’huissier de justice n’est pas « sexy », mais il est « essentiel » au système de justice. « C’est une profession noble. Les jeunes ne sont pas intéressés parce qu’il faut beaucoup travailler y compris le soir et la fin de semaine. Pourtant, il peut offrir un mode de vie agréable. »

Pour promouvoir sa profession, M. Gagné se rend régulièrement dans les cégeps pour la présenter et la démystifier. « Les champs d’activité sont peu enseignés au cégep pour devenir huissier. Je vois un certain engouement, mais la réalité du terrain rattrape souvent l’intérêt. Huissier, c’est un mode de vie, ça ne s’apprend pas à l’école. Il faut avoir des aptitudes aussi bien psychologiques que physiques. »

Le métier est aussi majoritairement masculin. Pourtant, il existe de nombreuses opportunités pour les personnes qui ne souhaitent pas passer leur journée dans une voiture.

« Nous avons besoin d’huissiers sur le terrain pour aller frapper aux portes, mais depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code, nous ne manquons pas de travail également dans les bureaux », glisse-t-il.