Einstein avait raison: l’antimatière tombe sous l’effet de la gravité

La théorie de la relativité formulée par Albert Einstein il y a cent ans le prédisait, mais ce n’est que cette semaine que cela a été officiellement vérifié.

La théorie de la relativité formulée par Albert Einstein il y a cent ans le prédisait, mais ce n’est que cette semaine que cela a été officiellement vérifié: l’antimatière est attirée par la gravité et «tombe» vers le bas.


Plusieurs expériences indirectes donnaient raison de croire que l’interaction entre la gravité et l’antimatière serait la même que celle entre la gravité et la matière, mais c’est la première fois qu’on constate directement que l’antimatière est gravitationnellement attirée, et non repoussée, par la matière ordinaire.

«On ne peut pas simplement se fabriquer une balle de tennis d’antimatière, a dit en riant le professeur Sjoerd Roorda, de la faculté de physique de l’Université de Montréal. Laisser tomber un seul atome, ce n’est pas évident. Et le laisser tomber c’est une chose, ensuite il faut aller voir dans quelle direction cet atome va. Ça prend vraiment une technologie et des techniques très sophistiquées et très poussées pour réussir à faire une expérience.»

Cette première observation directe permet d’emblée de comprendre un peu mieux pourquoi il semble y avoir si peu d’antimatière dans l’univers, en même temps qu’elle invalide plusieurs théories dans le domaine de la cosmologie.

L’antimatière est la «jumelle» de la matière, mais ce n’est pas une jumelle identique. Là où les protons ont une charge positive, les antiprotons ont une charge négative; là où les électrons ont une charge négative, les antiélectrons (ou positrons) ont une charge positive.

Mais l’antimatière est incroyablement difficile à étudier puisqu’elle est anéantie dès qu’elle entre en contact avec de la matière. Le terme «explosion» ne rend pas justice à la puissance du phénomène, ont indiqué des experts.

La découverte annoncée plus tôt cette semaine a été réalisée par la Collaboration ALPHA (Antihydrogen Laser PHysics Apparatus), un projet international au sein de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire dont l’objectif est de capturer de l’antihydrogène dans un piège magnétique pour procéder à différentes expériences.

ALPHA est en mesure de créer de l’antihydrogène en combinant des antiprotons et des positrons lors d’un processus tout simplement incompréhensible pour le commun des mortels.

Lors de l’expérience dont les résultats ont été dévoilés il y a quelques jours, l’antihydrogène a été transféré vers une chambre à vide cylindrique et emprisonné dans un piège magnétique qui l’a empêché de heurter la paroi du cylindre et d’être instantanément détruit. Les scientifiques ont ensuite réduit l’intensité des champs magnétiques du haut et du bas pour voir dans quelle direction l’antihydrogène s’échapperait.

L’expérience a été répétée une douzaine de fois. Les chercheurs ont constaté que, lorsque les champs magnétiques du haut et du bas étaient en équilibre parfait, 80 % de l’antihydrogène a été annihilé sous le piège - en d’autres mots, le nuage d’antihydrogène était attiré par la gravité et se comportait comme un nuage d’hydrogène dans les mêmes conditions.

«Il y a un peu une idée en science que si tu penses que tu comprends ce qu’une certaine expérience va donner, il faut le faire pour le vérifier et c’est un peu le cas ici, a dit le professeur Roorda. Tout le monde pense que ça va tomber vers le bas, mais il faut le vérifier et ils l’ont fait.»

L’expérience n’a toutefois pas permis de mesurer si l’effet de la gravité sur l’antimatière est plus faible, plus fort ou égal à celui de l’effet sur la matière. D’autres expériences seront nécessaires pour le faire.

Les physiciens ne comprennent pas vraiment pourquoi il semble y avoir si peu d’antimatière dans l’univers, alors qu’en théorie il devrait y en avoir autant qu’il y a de matière. Une théorie supposait que l’antimatière, lors du Big Bang, avait possiblement été repoussée par la matière et expulsée vers un coin reculé de l’univers qui nous est inconnu.

Cela ne semble maintenant pas être le cas.

Une meilleure compréhension de l’antimatière ne sert pas qu’à perfectionner notre compréhension du développement de l’univers. Elle a déjà, par exemple, mené au développement de tests médicaux, comme la tomographie par émission de positrons qui permet de détecter des tumeurs cancéreuses.

L’impact concret de la découverte annoncée cette semaine pourrait ne devenir évident que dans plusieurs années, a prévenu le professeur Roorda.

«Einstein, dans les années 1920 ou 1930, avait introduit un mécanisme d’émission lumière qui n’avait aucune importance, sauf sur un terrain théorique, a rappelé le professeur Roorda. Cinq ans plus tard, on a réalisé un tel type d’émission et aujourd’hui c’est connu sous le nom de laser et c’est partout. Ça a pris trente ans, quarante ans avant que quelqu’un réalise que ça peut être utile à quelque chose.»

Les conclusions de cette expérience ont été publiées par le prestigieux journal scientifique Nature.