
Bissonnette: une peine non conforme à l'horreur des crimes, dit la Couronne
La tuerie à la Grande Mosquée de Québec était la pire de la province depuis celle de Polytechnique en 1989, rappelle la Couronne. La peine de 40 ans imposée par le juge François Huot ne le reflète pas, déplorent les procureurs, qui réclament un emprisonnement minimal de 50 ans.
Quarante ans pour six morts, cinq blessés graves et 35 personnes traumatisées. «La peine accorde clairement un escompte de volume à l’auteur de meurtres multiples qu’est l’intimé», considère la Couronne dans son mémoire d’appel, rédigé par les procureurs Me Pierre Bienvenue et Me Thomas Jacques.
Les tribunaux canadiens se doivent de protéger la société d’une nouvelle tuerie de masse motivée par la haine d’une religion, écrit la Couronne. La peine de 40 ans n’atteint pas cet objectif, croient les représentants du ministère public.
Aux yeux de la Couronne, en refusant le cumul des peines, le juge Huot a laissé une trop grande place à un concept qui n’est pas un principe reconnu en droit canadien : l’espoir de sortir de prison avant la fin de la vie. Âgé de 27 ans lors du massacre, Bissonnette pourrait faire une demande à l’âge de 67 ans.
Cet espoir aurait dû céder le pas devant le haut degré de culpabilité morale du tueur, dit la Couronne.
La Couronne rejette toute forme de compassion envers un individu qui, rappelait le juge Huot, a eu des problèmes de santé mentale depuis son adolescence. Le juge semble oublier, dit la Couronne, «l’absence totale de compassion chez ce même individu, au moment de ses crimes, pour ses nombreuses victimes innocentes».
Face à la «totale présence d’esprit de l’intimé pendant la commission de ses crimes, ainsi que leur longue et méthodique préparation», l’état mental de Bissonnette n’aurait pas dû compter comme circonstance atténuante, écrivent les procureurs de la Couronne.
Dans sa décision, le juge François Huot écrivait «qu’une justice extrême est extrême injustice». C’est vrai, conviennent les procureurs de la Couronne en guise de conclusion. Mais, ajoutent-ils aussitôt, «une justice qui n’assume pas pleinement ses responsabilités sociétales est une justice défaillante».
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RIEN D'INCONSTITUTIONNEL
Les peines consécutives ne sont pas cruelles et inusitées et ne contreviennent pas à la Charte canadienne des droits et libertés, soutient la Procureure générale du Québec (PGQ). Le juge de première instance a donc erré en refusant leur application, conclut la PGQ.
Devant la Cour d’appel, le procureur de la PGQ Me Jean-François Paré aura essentiellement le même mandat qu’en Cour supérieure : répondre aux arguments des avocats d’Alexandre Bissonnette qui qualifient d’inconstitutionnelle la disposition 745.51 du Code criminel permettant le cumul des périodes de 25 ans d’inadmissibilité à la libération conditionnelle.
Selon la défense, cet article de loi entraîne une peine trop longue, cruelle et inusitée, contraire à la Charte canadienne des droits et libertés.
Selon la Procureure générale du Québec, le fameux article sur les peines consécutives ne peut pas contrevenir à la Charte puisqu’il ne fait que prévoir la possibilité pour le juge du procès d’ordonner le cumul de périodes. Il ne s’agit pas d’une disposition obligatoire, ajoute la PGQ. «Le cumul de ces périodes ne pourra être ordonné que s’il constitue une peine proportionnelle à l’endroit du contrevenant».
Le juge François Huot avait décidé d’écarter le cumul des peines qui le forçait à imposer une période de 50 ans au tueur de la Mosquée, ce qui l’amenait à l’âge de 77 ans avant de pouvoir faire une première demande de libération. Le juge Huot estimait entre 35 et 42 ans la période appropriée au cas de Bissonnette.
Le juge Huot avait aussi déclaré que les peines consécutives étaient contraires à la dignité humaine par leur portée excessive. Coupable de six meurtres au premier degré, Bissonnette pouvait techniquement être condamné à 150 ans de prison.
La protection de la dignité humaine n’est pas un principe juridique en droit canadien, rappelle la PGQ. Isabelle Mathieu