La philanthropie intéresse-t-elle les femmes d’affaires de la région de Québec? Pas suffisamment, aux yeux de plusieurs observateurs. L’une des raisons évoquées a de quoi étonner : selon une étude de la firme montréalaise Épisode, 38 % des répondantes disent qu’elles n’ont tout simplement pas été invitées à s’impliquer.
Une statistique qui a fait sourciller Ani Castonguay, première vice-présidente aux affaires publiques à la Caisse de dépôt et de placement du Québec (CDPQ). «Il y a peut-être des ponts à rétablir. On s’est dit qu’on allait engager la conversation et rassembler les gens afin de créer des opportunités de maillages», dit-elle.
Être à l’écoute
La CDPQ a donc organisé deux rencontres, l’une à Montréal le 8 mars, et l’autre à Québec, laquelle s’est déroulée cette semaine. Une trentaine d’OBNL de la région et autant de représentants de la communauté d’affaires ont répondu à l’invitation.
La rencontre avait pour but de présenter les résultats d’un rapport intitulé Les leaders féminines et la philanthropie. Étude sur le bénévolat d’affaires*. Réalisé par Épisode et commandité par la CDPQ, le rapport est le premier du genre à s’intéresser au bénévolat d’affaires au féminin.
C’est que le bénévolat d’affaires est un sujet peu souvent abordé, mais qui demeure important, soutient la firme d’experts-conseils Épisode. «C’est un vecteur essentiel au développement des organismes qui participent à l’économie silencieuse du Québec et qui contribuent à leur façon à renforcer le tissu social», insiste Amélie L’Heureux, conseillère principale de la firme. Au Québec, on dénombre plus de 15 000 OBNL qui comptent notamment sur le bénévolat d’affaires pour mener à terme leurs projets et leurs opérations. « Les besoins des OBNL sont énormes, et ils sont encore plus criants en période d’inflation et d’incertitude économique », constate Mme L’Heureux.
L’étude permet donc d’apporter un nouvel éclairage sur l’engagement au féminin, afin de mieux comprendre les comportements des leaders féminines philanthropes au Québec, mais aussi les enjeux qui peuvent freiner le développement.
Loin de la parité
D’entrée de jeu, le constat est clair : les femmes sont encore peu nombreuses à siéger sur les conseils d’administration des OBNL, surtout au sein des organismes qui génèrent des revenus supérieurs à 500 000 $, et dans les comités de financement.
Selon la recherche effectuée par Épisode, 20 cabinets bénévoles de campagnes majeures comptaient seulement 31 % de femmes.
«Il faut donc intéresser plus de femmes et accompagner la relève désireuse de s’investir dans ces rôles», fait le constat l’équipe d’Épisode.
Fait encourageant : le nombre de femmes siégeant sur les conseils d’administration des OBNL est en augmentation. Mais il reste du chemin à faire. «À ce rythme-là, on ne sera plus de ce monde quand viendra la parité», a lancé Marie-Pier St-Hilaire, présidente d’Edgenda, qui participait à la table-ronde.
Inspirer la relève
Tendre vers la parité serait bénéfique pour les organisations, soutient la CDPQ, qui souhaite également voir plus de femmes siéger sur les conseils d’administration. «À la CDPQ, nous avons la conviction que la diversité constitue une richesse pour nos collectivités. Cette étude est, je l’espère, un premier pas pour faire bouger les choses», soutient Mme Castonguay.
La CDPQ appelle à l’engagement des leaders féminines. «En faisant rayonner celles qui s’impliquent activement, nous croyons que nous pourrons inciter la relève à s’intéresser au bénévolat d’affaires et à reconnaître la responsabilité des entreprises dans la collecte de dons», renchérit la vice-présidente.
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TROIS LEADERS FÉMININES DANS L’ACTION
À elles seules, elles cumulent des dizaines de campagnes de financement et siègent sur plusieurs conseils d’administration. Marie-Pier St-Hilaire, présidente d’Edgenda, Olga Farman, associée chez Norton Rose Fullbright et directrice du bureau de Québec, et Andréa Gomez, cofondatrice et directrice générale d’Omy Laboratoires, croient qu’il faut repenser le bénévolat.
Même en plein dimanche après-midi, Marie-Pier St-Hilaire n’hésite pas à donner un coup de main, bénévolement. «C’est ancré dans mes valeurs familiales. Ça vient de mon grand-père en fait», dit-elle.
Pour Andréa Gomez, c’est «pour redonner à la communauté» qu’elle a débuté son engagement. «Ma famille a beaucoup reçu à son arrivée au Québec et je me sens redevable», a-t-elle expliqué.
Or, la jeune entrepreneure ne savait pas comment s’y prendre au départ. «J’ai toujours pensé que, pour donner à une campagne de financement, il fallait avoir un gros portefeuille d’entreprise. J’avais tort», dit celle qui a pu accéder à différents comités et conseils en ayant le soutien de mentors.
«J’espère devenir un modèle à mon tour et inspirer la relève entrepreneuriale», poursuit la femme d’affaires qui admet avoir un peu moins de temps à consacrer au bénévolat depuis qu’elle est une jeune maman.
C’est que, comme pour ces trois femmes, la vie de famille demeure un frein au bénévolat d’affaires, peut-on constater à la lecture des résultats de l’étude. «Pour 47 % des répondantes, c’est le manque de temps qui est la raison principale évoquée», résume la conseillère d’Épisode.
Réinventer les événements-bénéfices
Un autre frein est le format actuel des campagnes de financement et des événements caritatifs qui, selon les trois femmes d’action, n’est plus actuel. «Qui a le temps, en 2023, d’organiser et d’assister à des cocktails avec des petites bouchées et de longs discours de remerciement?», questionne Olga Farman. «Pas moi. Je préfère passer du temps avec ma famille et m’impliquer autrement, sur le terrain.»
Présidant plusieurs campagnes de financement, dont avec la Fondation de l’Université Laval, la directrice du bureau d’avocat n’a plus peur de dire non. «J’ai appris, avec le temps, à refuser des mandats et à mettre mon énergie sur ce qui me tient à cœur. On ne peut pas tout faire, ni tout financer».
Pour sa part, Marie-Pier St-Hilaire a engagé son équipe dans le mouvement bénévole. «Comme employeur, on a aussi le devoir de mobiliser les gens. Je ne peux pas le faire seule, mais en équipe, on peut bouger les choses.»
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Les faits saillants
· Moins nombreuses à occuper des postes de haute direction que les hommes, les femmes d’affaires bénévoles sont aussi moins présentes dans les conseils d’administration des plus grandes organisations caritatives.
· Les femmes bénévoles d’affaires préfèrent siéger sur un conseil d’administration et offrir leur expertise. Cependant, les besoins des OBNL sont davantage liés à la collecte de fonds. Il existe donc un écart entre les rôles joués par les bénévoles d’affaires et les rôles qu’elles préféreraient jouer.
· Les femmes bénévoles d’affaires sont plus timides à solliciter des dons que les hommes. En général, 40 % d’entre elles disent qu’elles ne veulent pas déranger (contre 30 % chez les hommes).
· Les femmes vont considérer dans une plus grande proportion les aspects qualitatifs avant de s’impliquer : l’émotion générée par la cause et ses bénéficiaires, l’expérience vécue à l’égard de la cause, l’urgence de la situation et même la qualité de l’approche de l’organisme.
*Les leaders féminines et la philanthropie : Étude sur le bénévolat d’affaires est la 11e édition d’une série d’études déployées par Épisode. Présentée par la CDPQ, elle a été effectuée au moyen d’un questionnaire en ligne, du 24 octobre au 28 novembre 2022, auprès de 528 personnes du milieu d’affaires, dont des cadres et des dirigeants d’entreprises. www.tendancesphilanthropie.ca.