Même si la rectrice de l’Université, Sophie d’Amours, a assuré lors d’un point de presse qu’il est n’est pas question de jouer «au combat de coqs» sur le dos des étudiants, les deux parties tiennent mordicus à leurs positions après 36 rencontres de négociations.
Tout en listant les impacts du conflit de travail, des examens reportés aux demandes de subventions qui stagnent, Mme d’Amours imputé au Syndicat des professeures et des professeurs de l’Université Laval (SPUL) d’avoir «raté un autre rendez-vous» et de ne pas négocier sérieusement «en respectant la capacité de payer» de l’institution.
«On ne peut pas prétendre vouloir négocier et dire [en même temps] sur les réseaux sociaux que certains points sont non négociables», a glissé la rectrice D’Amours, en s’adressant directement au président du syndicat.
Très clairement, on arrive dans un entonnoir dans les négociations, avec trois enjeux toujours sur la table.
— Sophie D'Amours, rectrice de l'Université Laval
Malgré des avancées depuis le début des pourparlers, le SPUL et la direction de l’Université ne parviennent toujours pas à s’entendre sur les points les plus litigieux. Les questions salariales et de plancher d’emploi sont notamment au coeur des discussions. Les deux parties ne parviennent pas non plus à trouver une voie de passage puisqu’elles souhaitent toutes les deux avoir le dernier mot sur le choix de tenir un cours en ligne ou en classe.
Pendant ce temps, les milliers d’étudiants qui sont touchés par le conflit de travaillent «stressent», confirme la présidente de la CADEUL, Vickie Bourque.
«C’est stressant depuis le début [...] et ça s’accentue de semaine en semaine»
— Vickie Bourque, présidente de la CADEUL
Elle rapporte des impacts plus que concrets sur les étudiants, qui vont bien au-delà des conflits d’horaires. «Après un mois de négociations, un mois sans avoir de cours, ç'a un impact concret sur la matière qu’on a, sur la qualité de l’enseignement», craint-elle.
La présidente de l’association qui représente plus de 34 000 étudiants souligne également les sévères enjeux qui menacent les étudiants en raison du débrayage.
Étudiants internationaux à quelques mois de la graduation qui pourraient se retrouver sans visa, stages dans des milieux sans internet où il sera difficile de reprendre les cours en ligne, étudiants-parents qui devront revoir l’organisation familiale : «Toutes ces situations-là sont très précises, très concrètes», met en lumière Mme Bourque.
Une hypothèse à la poubelle
La sortie de la direction de l’Université, qui survient à quelques heures de la reprise des pourparlers après une pause d’une semaine, s’inscrit dans une levée de ton observée depuis quelques jours entre l’Université Laval et les syndiqués.
Mercredi, le conciliateur nommé par le gouvernement a déposé une hypothèse de règlement global. La proposition a rapidement été rejetée par le comité de négociation du SPUL.
Le président du syndicat, Louis-Philippe Lampron, affirmait tout de même qu’elle est «intéressante» sur certains points litigieux. Elle ne convenait toutefois pas sur la question de la liberté universitaire, et était «insatisfaisante» du côté salariale, précise-t-il. «Mais on peut certainement construire là-dessus.»
Le vice-recteur exécutif et responsable des finances, André Darveau, a également convenu que l’hypothèse soumise par l’expert gouvernemental amenait les positions «plus proche, vers le milieu». Mais il n’a pas été en mesure de dire si elle convenait ou non à la direction, puisque la partie patronale n’a pas jugé pertinent d’en finir l’analyse après le refus rapide du SPUL.
«Ce n’était pas un point de départ, c’était un point d’arrivée», a-t-il expliqué, soulignant qu’il n’était pas question «de découper» la proposition du conciliateur, comme indiqué dans les consignes adjointes à l’hypothèse. «Si elle n’était pas acceptée, elle n’existe plus», a résumé M. Darveau.
De ce fait, à la reprise des discussions, vendredi, les deux parties ne reprendront pas à partir de l’hypothèse de mercredi. On repartira plutôt de là où on a interrompu les négociations, il y a une semaine.
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Une réalité légale qui n’est «pas sérieuse» pour Louis-Philippe Lampron. «La direction s’enferme dans le droit et la forme plutôt que de parler du fond», a critiqué le professeur de droit, qualifiant même l’argument de «vieux truc de négos d’avocat privé».
«Franchement, les deux côtés ont reçu la proposition. On ne va pas faire comme si on ne l’avait pas vu et qu’elle n’existait plus», s’est-il exaspéré, intimant la direction à se positionner sur l’hypothèse, même si elle a été rejetée par les siens.
Des professeurs gourmands, une direction qui choisit ses exemples
Sur la question salariale, les deux parties s’accusent mutuellement de ne pas avoir bougé d’un iota. Comme au tout début du conflit de travail, la direction accuse les professeurs de ne pas adapter leurs offres «aux capacités de payer de l’institution», alors que les professeurs lui renvoient la balle en exigeant qu’elle «explique où sont rendus les surplus budgétaires».
Nouveauté, toutefois : la direction a présenté aux médias les ententes convenues dans d’autres universités du Québec, sous-entendant la gourmandise des professeurs de l’Université Laval.
L’Université de Sherbrooke a réussi. Elle a établi une convention de travail avec des augmentations de 12,5% sur quatre ans. L’Université du Québec en Outaouais a elle aussi réussi avec [...] 10,8% sur quatre ans.
— Sophie D'Amours, rectrice de l'Université Laval
Des augmentations salariales qui prennent compte du contexte de financement des universités québécois, «qui est essentiellement le même» qu’à l’Université Laval, selon la rectrice. Selon la direction, les professeurs lavallois, eux, réclameraient des hausses de 30% pour la même période. «Il y a un écart important», a-t-elle constaté.
Du côté syndical, on rejette catégoriquement cette comparaison. «En tout respect pour les collègues en Outaouais, ce n’est pas vrai qu’on puisse sérieusement comparer nos deux institutions», s’est désolé le président du SPUL. «Et en passant, pour Sherbrooke, la direction ne tient pas compte des importants bonis qui ont été convenus qui peuvent aller jusqu’à 17 000$ par année», a ajouté M. Lampron.
Il croit plutôt que l’administration D’Amours devrait prendre comme comparables des universités membres du réseau U15+, comme McGill, l’Université de Montréal ou l’Université d’Ottawa.
Quand on nous compare en recherche, on le fait avec le meilleur. Quand on nous compare pour le salaire, on le fait avec le pire.
— Louis-Philippe Lampron, président du SPUL.
Quant à la capacité de payer de l’Université Laval, le syndicaliste n’en accepte tout simplement pas l’argumentaire. «Bon an mal an, l’Université prend 50 M$ des surplus du fond de fonctionnement pour le mettre dans son fonds d’immobilisation. On nous dit qu’on a plus les sommes, qu’elles ont été engagées dans différents projets. OK, mais lesquels précisément», a insisté le représentant syndical.
Les quelque 1300 professeurs syndiqués de l’Université Laval sont en grève générale illimitée depuis le 13 mars dernier, après un bref retour au travail pendant la semaine de lecture. Plus ou moins 40% des cours sont touchés par le conflit de travail, qui pourrait bien se conclure par une prolongation de session pour les étudiants.