Les nombreux défis d’un transfert d’entreprise

Nicolas Blais prendra la suite de son père dans quelques années. Il occupe pour l'instant le poste de directeur général de Beauce Atlas. Germain Blais est le président.

Nicolas Blais prendra la relève de son père à la tête de Beauce Atlas, dans quelques années. Une passation de pouvoir réfléchie et préparée dans les moindres détails, qui semble vouée au succès. Mais pour la majorité des entreprises, le transfert se soldera par un échec, alerte le RJCCQ.


«On fait face à une multitude d’obstacles. Non seulement on a un manque de relève, mais aussi un taux d’échec qui a déjà flirté avec les 70 % dans les reprises. Et on a près de 40 000 PME dans les deux prochaines années à reprendre immédiatement. Un chiffre qui a explosé pendant la pandémie», déplore le PDG du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ), Pierre Graff.

Germain Blais, le propriétaire de Beauce Atlas, un fleuron beauceron spécialisé dans la fabrication de structure d’acier, n’a pas attendu la dernière minute pour réfléchir à un plan de succession.

Comme tous les chefs d’entreprise avec des enfants, il espérait un intérêt de sa progéniture. À la fin de son secondaire, son fils, Nicolas, parlait plus de devenir joueur de golf, criminologue ou policier.

Lors d’une discussion père-fils, Nicolas a annoncé à son père qu’il souhaitait prendre une année sabbatique dans l’Ouest canadien. Sans lui mettre de pression, son père en a profité pour planter une petite graine dans l’esprit de Nicolas.

«Il m’a parlé de l’entreprise, ce que ça représentait et que ça pouvait être une opportunité pour moi.»

—  Nicolas Blais, directeur général de Beauce Atlas

Depuis l’âge de 12 ans, Nicolas passait quelques heures au sein de Beauce Atlas pour effectuer différentes tâches. «À l’époque, je trouvais ça vraiment laid. Je ne comprenais pas c’était quoi la mission. Maintenant, ça prend tout son sens», se remémore-t-il.

Pendant son séjour dans l’Ouest, les paroles de Germain se fraient doucement un chemin dans la tête de Nicolas. À son retour, le jeune homme s’assoit avec son paternel pour lui dire qu’il allait poursuivre des études en finance dans le but d’intégrer l’entreprise familiale.

«Mon père a bâti Beauce Atlas avec quatre acolytes. Il a récupéré une entreprise en faillite, signé quelques contrats. L’entreprise est devenue un pilier dans le secteur de l’acier. J’ai eu le goût de poursuivre ce qu’il avait entrepris», évoque-t-il.

Être le fils de ne suffit pas

En 2013, à la fin de ses études universitaires, Nicolas commence sa carrière comme contrôleur. Celui-ci a toujours eu conscience qu’être le fils du patron ne suffirait pas pour monter les échelons et devenir le patron. Chez Beauce Atlas depuis 10 ans, il ressent seulement depuis six mois qu’il a de la crédibilité auprès des collaborateurs.

«J’étais surveillé. On n’allait pas passer mes erreurs parce que je suis le fils de Germain. Je devais prouver que j’avais ma place.»

—  Nicolas Blais

«Ce qui m’a vraiment aidé, c’est la patience organisationnelle. Je n’ai jamais dit que je voulais un poste de direction. J’ai aussi travaillé fort, tu ne peux pas juste attendre ton chèque de paye ou dire que le patrimoine familial est déjà organisé», mentionne-t-il.

«Lorsque j’étais gamin puis étudiant, j’ai balayé dans l’usine, je me suis pincé les doigts. J’ai passé des heures dans l’usine pour apprendre. Je suis capable de comprendre sans être ingénieur ou dessinateur parce que je me suis intéressé», poursuit-il.

La transition en marche

Nicolas est devenu le directeur général de Beauce Atlas en avril 2022. Pour les prochaines années, son père gardera la présidence le temps que Nicolas prenne véritablement ses marques comme nouveau patron.

«Je pense que c’est bien de prendre notre temps. Ça rassure aussi les banquiers, nos partenaires et nos employés», précise Nicolas Blais.

Durant la dernière année, Nicolas a mis peu à peu l’entreprise à sa main avec de nouvelles façons de procéder. «Je suis d’une génération où la communication est vraiment importante. Mon père a de grandes qualités, mais il n’a pas l’habitude de parler de ses émotions. Je sais qu’il est fier de moi. Je le vois, mais il ne le dit pas.»

Pierre Graff, pdg du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec

Beauce Atlas compte près de 300 employés avec des bureaux en Beauce, à Montréal et aux États-Unis. L’une des premières actions de Nicolas comme nouveau directeur général : casser les silos.

«Je souhaitais donner du sens au travail de chacun et développer une citoyenneté organisationnelle. J’ai mis en place un club sportif. Les directeurs se rencontrent une fois par semaine. Si on veut grandir, on doit communiquer.»

Être proactif

La sœur de Nicolas occupe également un poste de conseillère aux affaires corporatives, depuis 12 ans, au sein de Beauce Atlas.

En plus de leur père, ils peuvent compter sur deux autres actionnaires, Martin Savoie et Éric Dumont, des collaborateurs de longue date. «Ils sont actionnaires depuis 2009. Mon père était seul à ce moment-là et il souhaitait commencer à introduire un plan de relève. Donc bien avant notre entrée dans l’entreprise», souligne le directeur général de Beauce Atlas.

De l’avis de Pierre Graff, l’ensemble des propriétaires d’entreprises devraient appliquer les décisions proactives de Germain Blais pour assurer sa succession. Le RJCCQ a mis en place un programme de mise en relation et d’accompagnement pour maximiser les chances de réussite dans la reprise d’une compagnie.

«Les cédants ont souvent peur de démobiliser leurs salariés, leurs clients, leurs fournisseurs s’ils commencent à parler de succession. Mais on essaye de leur faire comprendre que c’est tout le contraire.»

—  Pierre Graff, PDG du RJCCQ

Pour Pierre Graff, plus une personne est identifiée tôt, plus les chances de réussite augmentent. «La stabilité et la continuité vont rassurer tout le monde. Bien sûr, comme l’a dit Nicolas, le repreneur doit faire également ses preuves. Et c’est encore plus vrai quand il s’agit d’un contexte familial», affirme-t-il.

Selon le RJCCQ, environ 80 % des PME au Québec sont des entreprises familiales. Or plus de 50 % d’entre elles ne réussissent pas à passer au travers d’une reprise.

Le futur

Comme de nombreuses manufactures, Beauce Atlas doit composer avec la pénurie de main-d’œuvre. La société investit de plus en plus dans la robotisation et l’intelligence artificielle.

«On n’a pas le choix d’innover. On engage des travailleurs temporaires, mais à un moment donné, ça ne suffira plus. Si on veut continuer à se démarquer, on doit prendre des risques», martèle le futur PDG.

Beauce Atlas prévoit également dans un futur proche une percée à New York.