Chronique|

Quand la classe moyenne ne «moyenne» plus

CHRONIQUE / Puisque mon sujet aujourd’hui n’est pas très réjouissant, j’ai pensé commencer avec une blague au sujet du coût de la vie trouvée sur Internet.


Junior: Comment c’était dans ton temps, Papi?

Papi: Ah, dans mon temps, tu allais à l’épicerie avec 20$ et tu revenais à la maison avec une livre de beurre, un sac de patates, du pain, des côtelettes de porc et une boîte de Mae West.

Junior: Wow, c’était pas cher dans ton temps!

Papi: Dans mon temps, il n’y avait pas de caméras de surveillance.

N’allez surtout pas croire que j’encourage le vol à l’étalage comme solution à l’inflation mais il faut être singulièrement mal informé pour croire que la classe moyenne «moyenne» (il y a l’inférieure, juste devant les pauvres et la supérieure) baigne dans la sérénité financière de nos jours.

Quand une livre de beurre coûte 8,99$ et que l’alternative, une margarine de bonne qualité, se vend 6.99$ pour 500 grammes, on a le devoir de se demander où l’on s’en va, combien de temps nous pourrons tenir et s’il existe une porte de sortie (pas vraiment).

Tout va bien madame la marquise? Grand bien lui en fasse si tel est le cas, mais pas pour les gens de la classe moyenne à laquelle appartiennent la moitié des québécois, ce que nous apprend la journaliste et productrice Isabelle Maréchal dans son plus récent documentaire, Les moyens de la classe moyenne, réalisé par Guillaume Sylvestre (DPJ, Secondaire V).

Le sujet de la classe moyenne, abondamment évoqué pendant les campagnes électorales disparaît ensuite du radar jusqu’au prochain scrutin ou peut-être au moment du dépôt d’un nouveau budget. Et puis, la classe moyenne reprend son trou, se demandant pourquoi il est devenu si étroit tout à coup. Ah oui, la guerre, l’inflation, la pandémie.

Et des choix de consommation pas toujours avisés, il faut le dire.

Isabelle pose LA même question que nous nous posons tous: Comment les gens de la classe moyenne font-ils pour arriver à combler leurs besoins essentiels – pas un véhicule récréatif ou une piscine creusée - quand les prix des aliments augmentent de 10%, que les taux d’hypothèques s’envolent et que les salaires stagnent?

Définir qui appartient à cette classe «moyenne» n’est pas simple. François Legault parle de gens qui gagnent entre 60,000$ et 70,000$ «ce qui comprend les enseignants et les infirmières» mais se fier au seul salaire pour déterminer sa place dans l’échelle économique et sociale nous apprend peu de choses.

(Pour moi, les nantis vivent en tout ou en partie de leur capital, les yeux rivés sur leurs relevés d’investissements alors que la classe moyenne englobe ceux et celles qui dépendent de leur seul salaire, le nez collé sur le prochain chèque de paye.)

Certains réussissent à économiser mais pas tous en ont les moyens. Quand la petite dernière a besoin d’un manteau d’hiver, le 100$ qui normalement irait dans le pot à RÉER risque de se retrouver dans le tiroir-caisse chez Wal-Mart. Qui oserait blâmer un parent de faire ce choix? Quelle que soit la réalité économique, il y a des choix qui n’en sont pas vraiment

«Ils auraient pu acheter un habit de neige ‘usagé’ chez Renaissance» penseront certains mais voilà, demander à la classe moyenne de se passer de vêtements neufs, d’aliments frais et même d’une bouteille de vin de temps à autre ne va pas requinquer l’économie (60% de l’économie repose sur la consommation) mais plutôt forcer des gens qui travaillent fort, qui se saignent pour leurs enfants (trop?), à accepter un déclassement de leur mode de vie pour des raisons qui ne leur appartiennent pas.

«Le rêve de la classe moyenne tel qu’il se définit depuis 30 ans commence à s’estomper», constate Jacques Nantel, professeur émérite à HEC, dans le documentaire. C’est peu dire.

Le documentaire insiste sur la crise du logement, avec raison. L’acquisition d’une maison, même modeste, le socle du rêve de la classe moyenne, devient de plus en plus difficile. Isabelle va à la rencontre d’Élyse Gamache-Bélisle, une mère monoparentale de deux enfants qui ramasse des canettes vides pour se constituer une mise de fonds. Elle a accumulé 47,000$ en deux ans de cette façon, ce qui aurait été suffisant pour devenir propriétaire il y a quelques années mais pas quand un duplex dans Villeray, son quartier, coûte désormais près d’un million.

Nous faisons aussi la connaissance de familles qui ont fait le choix de vivre en région, à la campagne même et qui ne s’en portent pas plus mal, même avec des revenus modestes, mais est-il normal de devoir s’exiler pour vive décemment dans son propre logis ?

(Je suis allée vivre à la campagne il y a sept ans. Oui, la maison était abordable mais n’allez pas me dire que c’est tellement moins cher de vivre hors des grands centres. Nous habitons à 12km du village. Il nous faut trois autos, dont une pour fiston qui ne peut travailleur sans ce «luxe». Les taxes sont exorbitantes et les services minimaux. Et puis, vous savez ce qu’il en coûte de faire creuser un nouveau puit quand le vieux se tarit? Pour remplacer une fosse septique? Mais nous sommes heureux, ce qui n’a pas de prix, dit-on.)

La classe moyenne, c’est aussi la majorité silencieuse et invisible, nous rappelle Isabelle Maréchal. Non seulement la voit-on rarement dans nos fictions télévisuelles, elle est trop occupée à «moyenner» pour descendre dans la rue. Elle bricole, adopte la simplicité involontaire, s’endette, parfois abusivement, séduite par les sirènes de la surconsommation mais aussi pour garder la tête hors de l’eau.

La classe moyenne respire de moins en moins aisément. Son hamster court de plus en plus vite. L’épuisement la guette au coin de la rue. La banque aussi… Les faillites sont en augmentation.

Dans le documentaire, le C.A. et chroniqueur Pierre-Yves McSween (En as-tu vraiment besoin?) nous rappelle qu’il n’y a pas de solution miracle.

Ou on gagne plus d’argent, ou on dépense moins. S’insurger contre l’inflation, haïr les riches, sortir la carte de crédit quand le guichet automatique nous tire la langue ne réduira pas notre stress financier.

Autrefois on disait «Il faut savoir faire la différence entre nos désirs et nos besoins» mais dans le climat actuel, cela ne suffit plus. Nous en sommes rendus à couper dans le muscle. À moins de revoir notre façon de consommer, de réfléchir à l’importance de la propriété et de réévaluer collectivement les fondements financiers du monde moderne, le mur nous attend.

Les choses ne seront plus jamais pareilles.

-Les moyens de la classe moyenne, mercredi 15 mars, 20h, à Télé-Québec.