«On s’est battu pendant des années pour ne pas avoir à justifier nos déplacements, lance Marie-Michèle Thériault. Mais là, on recule de 20 ans», laisse tomber la mère de deux enfants qui vivent avec un handicap, elle aussi à mobilité réduite.
En septembre dernier, elle s’était rendue au conseil d’administration du Réseau de transport de la Capitale pour réclamer l’amélioration du service de transport adapté, qui fait lui aussi les frais de la pénurie de main-d’œuvre. Bonne joueuse, elle confirme avoir senti la sensibilité des élus à sa situation, et affirme même avoir remarqué des améliorations après sa prise de parole.
Mais depuis quelques semaines, rien ne va plus. «Bris de service, bris de service, bris de service. Ce sont les seuls mots qu’ils ont en bouche!» explosait la dame sur les réseaux sociaux en début de semaine. Comme elle, plusieurs autres usagers estiment que l’offre du service du STAC se resserre, restreignant les personnes handicapées et à mobilité réduite dans leurs déplacements.
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De plus en plus souvent, on refuse les demandes de transport qu’on ne juge «pas essentielles», soit qui ne sont pas liées à l’école, au travail ou à la santé. Pour aller prendre un café avec un ami, par exemple, il faut s’y prendre «des jours d’avance», déplore Mme Thériault.
«C’est malaisant de toujours devoir justifier ce qu’on s’en va faire. C’est comme si on nous maternait, qu’on devait demander la permission pour aller jouer aux quilles.»
— Marie-Michèle Thériault, usagère du STAC et mère de deux enfants handicapés
Et dans certains cas, il s’agit d’un enjeu de confidentialité, fait-elle valoir. «Si je m’en vais voir un psychologue et que son bureau est dans sa maison, je dois tout expliquer ça au téléphoniste, souligne Marie-Michèle Thériault. C’est une intrusion dans notre vie privée !
«Jamais quelqu’un qui entre dans l’autobus doit justifier son déplacement, pourquoi est-ce que les personnes handicapées oui ? [...] Pourquoi est-ce que je dois me préparer et me mettre à genoux quand j’appelle pour sortir ?» demande-t-elle.
Les escaliers de secours
Le directeur du Regroupement des organismes de personnes handicapées de la région de la Capitale-Nationale (ROP-03), Olivier Collomb d’Eyrames, en convient. Lui aussi remarque une dégradation des services du STAC. Si la situation ne s’améliore pas depuis des années, dans les dernières semaines, il affirme avoir reçu une quantité impressionnante de plaintes.
«J’ai l’impression d’être en 2004 pour la qualité du service, quand on avait 100 plaintes par années, juste à l’organisme», relate-t-il.
L’intervenant explique qu’en concertation avec les organismes communautaires, le RTC et le STAC ont mis sur pied une «grille de priorisation» pour le transport adapté. Un plan de contingence qui fait office «d’escalier de secours» pour les urgences, illustre-t-il.
Cette grille définit des activités prioritaires pour lesquelles on s’engage à fournir un transport. Elle inclut tous déplacements liés au travail, à la santé ou au boulot. On n’y retrouve pas les voyages à l’épicerie, les loisirs ou les visites familiales par exemple.
Mais, pénurie de main-d’œuvre oblige, les téléphonistes du STAC s’y fient de plus en plus, même hors de l’extraordinaire.
«La sortie de secours devient la sortie de tous les jours. La grille a été faite pour des situations d’urgence, pas pour le quotidien.»
— Olivier Collomb d’Eyrames, directeur du ROP-03.
M. Collomb d’Eyrames refuse toutefois de jeter la pierre aux employés du STAC ou à ses sous-traitants. «Ce n’est pas de leur faute, mais malheureusement, ce sont eux qui sont au bout du fil, résume-t-il. Et quand ça fait quatre personnes qui te disent que tu brises leur journée, ça ne doit pas être motivant et aider à la rétention de main-d’œuvre.»
La bonne volonté des organismes
Sa collègue Véronique Vézina, elle aussi directrice au ROP-03, témoigne également des problèmes qui touchent le transport adapté à Québec. Et devant ce qui devient un défi du quotidien pour les usagers, les organismes d’aides ont décidé de prendre des bouchées doubles pour venir en soutien au STAC.
Mme Vézina, bien impliquée, préside également l’Association récré-active des handicapés visuels. Quelques fois par mois, elle organise des journées d’activités et de rencontres. Depuis peu, pour assurer la présence des membres de l’association, elle s’occupe elle-même de placer les réservations au STAC. «On n’a jamais fait ça avant», confie-t-elle.
Pour chaque activité, la bénévole doit enfiler une quarantaine d’appels auprès des usagers pour confirmer leur présence et pour prendre rendez-vous pour eux avec le transport adapté. Une tâche répétitive — et nouvelle — qui gruge plusieurs heures chaque semaine.
«On accepte de soutenir [le STAC] et de les aider, mais c’est un plaster. Ce n’est pas quelque chose qu’on veut continuer de faire», insiste-t-elle.
«Je veux qu’ils comprennent que c’est une béquille, une solution temporaire parce que le système est blessé.»
— Véronique Vézina, présidente de l'Association récré-active des handicapés visuels
Et Mme Vézina n’est pas la seule à s’offrir en béquille au STAC. Plusieurs organismes tentent de soutenir le transport adapté par diverses manières, explique Olivier Collomb D’Eyrams. «On ne chiale pas en ne faisant rien, souligne-t-il. Je vois des gens qui essaient, des associations qui s’organisent et une industrie [du taxi] qui tente de se prendre en main.
«Tout notre milieu essaie de défendre notre service, et je suis fier de voir que les associations participent malgré leurs propres défis. Si le milieu ne faisait pas d’efforts, on serait dans une situation encore plus critique», affirme M. Collomb D’Eyrams.
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Québec supplié de revoir le modèle
Invité à réagir, le Réseau de transport de la Capitale (RTC), responsable du STAC, affirme «être conscient des impacts sur la clientèle».
«Comme pour le transport en commun régulier, le transport adapté fait face à différents problèmes présentement, dont la pénurie de main-d’œuvre qui touche l’ensemble de l’industrie», indique la conseillère en relations publiques Raphaëlle Savard.
L’organisme paramunicipal souligne également avoir répondu à «100% des demandes de déplacement» depuis le 18 janvier, et à «97% des demandes entre le 25 février et le 4 mars». Ces statistiques n’incluent toutefois pas les déplacements refusés à la source, qui ne sont simplement pas enregistrés dans le système de réservations.
Tout en soulignant ses récents engagements pour le transport adapté, notamment un investissement annuel supplémentaire de 1,7 M$, le RTC met sur la sellette le gouvernement provincial.
En octobre 2022, la présidente du conseil d’administration, la conseillère Maude Mercier-Larouche, indiquait que le STAC vivait «plus que des défis opérationnels» et que «c’est tout le modèle du transport adapté qui doit être revu».
Un constat partagé par tous les intervenants rencontrés par Le Soleil, qui pressent le gouvernement Legault de mieux financer le transport adapté. En vue du budget du Québec du 21 mars prochain, plusieurs mémoires ont été déposés réclamant un réengagement du gouvernement provincial dans le transport adapté.
Preuve de l’importance de l’enjeu, le Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec a intitulé le sien La crise du transport adapté a assez duré. Le mémoire est co-signé par huit pages d’organismes communautaires.
«Lorsque l’offre de transport adapté fait défaut, c’est l’égalité des chances qui est compromise, c’est la Charte [des droits et libertés] qui est bafouée, tonnent-ils. Il s’agit d’une crise, elle est grave et elle frappe durement les personnes handicapées.»