Des clients en furie contre le déneigement d’Entretien Arma

Les bureaux de la compagnie de déneigement Entretien Arma

Contrats non honorés, factures salées et service à la clientèle critiqué: l’entreprise de déneigement Entretien Arma s’attire les foudres de nombreux clients insatisfaits dans la grande région de Québec, dont une dizaine ont dénoncé la situation au Soleil.


Entretien Arma se dit spécialisée en déneigement de toiture, déneigement manuel, entretien de pelouse, pose de protège-gouttières, nettoyage des conduits de ventilation et nettoyage de vitres. Sur son site web, l’entreprise se présente comme «leader» en services d’entretien résidentiel dans les régions de Québec, Lévis, mais aussi de Laval, Montréal et sa Rive-Sud.

Mais des clients qui l’ont embauché cet hiver n’ont pas la même opinion. Loin de là.



Les clients interrogés par Le Soleil ont des mots durs pour décrire leur expérience avec Entretien Arma.

Les récriminations envers la compagnie, qui s’est placée à l’abri de ses créanciers, sont nombreuses. Sa page Facebook recueille depuis quelques semaines des mauvais avis à la pelle.

Cet hiver, ses services de déneigement sont particulièrement pointés du doigt. Des internautes, photos à l’appui, relèvent un manque d’assiduité de l’entreprise pour honorer ses contrats, qualifiant le service de «pourri» et «bâclé».

La plupart avait contracté une entente de pelletage manuel avec Entretien Arma pour une première saison cet hiver. Mais tous s’entendent pour dire que c’était «certainement la dernière».



«Strict minimum» pour 1000$

Tous les clients contactés par Le Soleil ont en substance soutenu que les équipes de déneigement manuel, lorsqu’elles se déplacent, ne font que le «strict minimum» et qu’elles mettent parfois plusieurs jours à se déplacer après la fin d’une bordée de neige.

Pourtant, selon une compilation maison, la majorité des ententes conclues prévoyaient un prix supérieur à 1000$.

Lionel DeBlois estime que le travail de pelletage payé 1092$ a été effectué «au maximum» à trois reprises pendant l’hiver. «Et ce n’était pas rose, note-t-il. Ça valait peut-être 100$ maximum».

Président du syndicat de sa copropriété, à Saint-Romuald, M. DeBlois rapporte aujourd’hui «à regret» avoir référé la compagnie à ses voisins.

«J’étais un peu en désespoir de cause, après 18 appels pour me trouver une compagnie. Quand eux m’ont rappelé, j’ai sauté dessus!» se souvient l’homme dont la condition physique l’empêche de pouvoir pelleter lui-même.

Dès la première neige, il se souvient avoir constaté que «ça faisait pitié». Insatisfait, il a fini par annuler son contrat au début janvier, juste avant que son deuxième chèque ne soit encaissé. «J’ai dit: ‘‘ma décision est prise, ne vous présentez plus pour venir déneiger. Le premier chèque, gardez-le, mais le deuxième, vous ne l’aurez pas’’. C’était moins une», raconte-t-il.



Dans le même secteur de Lévis, une aînée de 83 ans qui craint les représailles allègue elle aussi avoir subi les «abus» d’Entretien Arma. «Jamais de ma vie je ne referai affaire avec eux. C’est vraiment de l’arnaque!» La dame âgée mentionne ne pas avoir revu les équipes depuis que le deuxième chèque est passé dans son compte de banque. Elle avait pourtant payé près de 700$ pour nettoyer les petits trottoirs de sa maison jumelée.

Presque tous les clients qui ont témoigné au Soleil ont mis fin à leur entente avec Entretien Arma avant même la fin de l’hiver.

Pratiquement tous les clients qui ont témoigné au Soleil ont mis fin à leur entente avec Entretien Arma avant même la fin de l’hiver.

Mais les difficultés à rejoindre un membre du personnel, aussi soulignées unanimement, ont parfois rendu le processus ardu.

Sylvie Tremblay a été forcée de rompre le lien qui l’unissait depuis le début de décembre à l’entreprise, mais affirme qu’on ne retournait «jamais» ses appels, les courriels et les textos étant privilégiés. Entretien Arma indique d’ailleurs sur son site web favoriser la formule du «contrat verbal (aucune signature nécessaire)».

Un courriel explique également l’impossibilité de contacter le client par téléphone, puisque «nous n’avons pas de téléphone de bureau étant donné que nous travaillons à la maison». «Nous ne sommes pas disponibles à contacter les clients par téléphone étant donné que nous sommes [en] sous-effectif», indique un autre.

Tous les appels du Soleil se sont également butés à une boîte vocale automatisée, sans possibilité de parler à un employé, malgré les messages laissés.

«Quand ils nous répondent, c’est pour nous demander de l’argent», résume Mme Tremblay, qui avait déjà déboursé plus de 1100$.

Pour elle, c’est d’ailleurs une série de courriels du service de la comptabilité de la compagnie qui a fait déborder le vase.



Tout comme pour Nathalie et ses voisins d’une copropriété de six condos dans Le Mesnil. Après avoir payé plus de 1600$ pour des services de pelletage manuel pour la saison, ces derniers se sont vus réclamer un paiement de plus.

«Trop» de neige, 10% plus cher

«Ils nous ont demandé un chèque de 166$ et un autre du même montant si on recevait encore 50 cm de neige», s’indigne Nathalie.

Dans ses termes et conditions, Entretien Arma prévoit que le déneigement manuel à la pelle, pour dégager les allées piétonnières et les entrées résidentielles, se fera pour les 305 premiers centimètres de neige tombés. Une «moyenne annuelle» dans la région de Québec, écrit-elle sur son site web.

«Advenant le cas d’une accumulation de neige qui dépasse 305 cm [...], le montant supplémentaire sera payable immédiatement après le dépassement (maximum de 15 jours ouvrables)», précise-t-on.

Cette somme exigée pour éponger le «dépassement des précipitations» équivaut à 10% de la valeur du contrat, par tranche de 50 cm de neige.

«Prenez simplement la valeur totale de votre contrat (taxes incluses) et c’est 10% de ce montant», peut-on lire dans le courriel qui semble être rédigé de façon à être envoyé en bloc à toute la clientèle, sans modifications.

«On s’est vraiment fait avoir, ce n’était jamais déneigé!»

—  Nathalie

Dans un courriel reçu par les clients et dont Le Soleil a obtenu copie, Entretien Arma détaille les précipitations reçues par mois pour justifier le versement d’une somme d’argent additionnelle depuis la mi-février.

En date du 12 février, elle calcule que 312,6 centimètres étaient tombés au sol. «Nous nous servons des données du gouvernement du Canada», garantit-elle.

Les données d’Environnement Canada la contredisent pourtant.

L’organisme officiel fédéral mesure qu’en date du 9 mars, 267 cm de neige s’étaient abattus sur la région de Québec depuis le début de l’hiver. «C’est difficile de calculer le volume de neige qui tombe, puisque les résultats dépendent de beaucoup de facteurs», met d’ailleurs en garde la météorologue Marie-Ève Giguère.



Le paiement dû avant le 25 février, dit le message truffé d’erreurs, est nécessaire pour «assurer une continuité des travaux».

«Nous tenons à souligner que si les frais supplémentaires ne sont pas payés, nous serons contraints d’annuler le contrat», prévient-on dans un rappel, toujours par courriel.

Après être restés non-déneigés lors des deux dernières tempêtes, Nathalie et ses voisins ont fini par mettre un terme à leur entente de services, sans débourser davantage. Les copropriétaires envisagent d’acheminer une mise en demeure, «mais on sait qu’on n’aura pas une cenne».

Refusant aussi de payer un sou de plus, Sylvie Tremblay a de son côté été avisée le 24 février que son contrat avait été résilié, à moins qu’elle ne s’acquitte des frais supplémentaires. Elle a plutôt déposé une plainte à l’Office de la protection du consommateur (OPC).

Et elle n’est pas seule.

Clients veulent justice

D’après une recension de l’OPC, quelque 24 plaintes ont été enregistrées depuis deux ans contre Les Entreprises ICARIUS Inc. (qui comprend Entretien Arma). Seulement depuis septembre 2022, neuf plaintes ont été logées.

En majorité, les clients utilisent le motif de la «livraison, non-conformité d’un bien ou d’un service ou qualité du service à la clientèle» pour se plaindre.

«Les consommateurs allèguent divers problèmes: contrat non respecté, déneigement mal fait, facturation d’un montant additionnel à cause de l’abondance de précipitations, malgré l’absence d’une clause à cet effet au contrat et mésentente sur la façon d’interpréter la clause au contrat qui permet la facturation d’une somme additionnelle à cause de l’abondance de précipitations», énumère le porte-parole de l’OPC, Charles Tanguay.

L’OPC avait déjà constaté en 2019 qu’Entretien Arma pouvait ne pas avoir respecté certaines dispositions de la Loi sur la protection du consommateur dans le cadre de ses activités commerciales et lui avait fait parvenir un rappel de ces dispositions.

Le Soleil a par ailleurs pu constater que des dossiers ont aussi été ouverts aux petites créances, par des clients espérant récupérer leur argent versé à Entretien Arma.



L’un deux, qui souhaite préserver l’anonymat, leur réclame depuis 2020 un montant équivalent à la valeur de son contrat, soit environ 1200$. Le dossier a cependant été suspendu. Joint par Le Soleil, il dit avoir «abandonné» sa cause.

«C’est peine perdue», se désole-t-il, des années plus tard. Même si son expérience date, il se souvient que «ça finissait toujours par être les locataires» qui déneigeaient les allées du bloc de trois logements à Loretteville.

En entrevue, l’ex-client s’étonne même d’apprendre que l’entreprise est toujours en affaires. «Je ne comprends pas comment cette compagnie peut faire pour continuer. Ils ont clairement trop de clients par rapport au service qu’ils donnent. C’est des petits gars qui se promènent avec un camion et une souffleuse et le moins ils en font, le mieux ils se portent», critique-t-il.

Difficultés financières

La situation financière de l’entreprise en dissuade d’ailleurs plus d’un d’envisager des recours. Des clients voient leur espoir d’être remboursés en totalité ou en partie s’effriter. Si cette dernière faisait faillite, les clients ne toucheraient pas à l’issue des procédures l’argent qu’ils réclament.

«En matière de déneigement, l’Office traite presque chaque année des cas de fermeture ou de faillite d’entreprise, où des consommateurs ayant payé à l’avance perdent malheureusement des sommes sans pouvoir bénéficier durant toute la saison des services pour lesquels ils ont payé», confirme l’Office de la protection du consommateur.

Des démarches aux petites créances, «ça coûte cher et ça ne donnera peut-être rien», se désole une autre cliente au nom de la copropriété qu’elle préside sur la rue de Mercure, à Saint-Romuald.

Des documents légaux montrent que les Entreprises ICARIUS Inc., «personne insolvable», a signifié son intention de faire une proposition à ses 65 créanciers, parmi lesquels des clients, des institutions bancaires et d’assurances, envers qui elle cumule des dettes de près de 1,2 million $. Elle a depuis déposé une «proposition concordataire».

Pourtant, selon une dame qui préfère ne pas être nommée, le personnel d’Entretien Arma serait toujours enclin à signer de nouveaux contrats, lui qui a donné suite à sa — fausse — demande de soumission. «Ils prennent encore de nouveaux clients, ça ne peut pas être autrement que du vol», s’indigne l’ancienne cliente.

Plusieurs adresses et numéros de téléphone sont reliés à l’entreprise. Le Soleil n’a pu recueillir de réaction officielle d’Entretien Arma malgré de nombreux appels et courriels.

Le siège social a plutôt des allures d’un entrepôt désaffecté.

Au passage du Soleil à ses locaux du chemin de la Gare, le 3 mars, il n’a été possible de s’entretenir avec aucun employé. Les bureaux, autant que la cour, étaient déserts. Sur son site web, cette adresse est pourtant désignée comme son siège social. La bâtisse a plutôt des allures d’un entrepôt désaffecté.

Le 4 mars, à la suite de nos démarches, un homme nous a toutefois joint en assurant que «sa propriétaire est une bonne personne», justifiant les ratés par le fait que l’entreprise rencontre des enjeux de main-d’œuvre. Sans élaborer davantage, il n’a pas voulu se nommer.

Une visite à la résidence personnelle de la propriétaire, mercredi, n’a pas non plus permis d’obtenir une entrevue.