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On va l’appeler Marie pour protéger son identité et lui éviter une tape sur les doigts. Parce qu’on sait que dans le milieu de la santé, les patrons, ceux qui passent leurs journées au bureau ou qui longent les couloirs des hôpitaux, n’apprécient pas qu’on parle dans leur dos.

On parle ici à une infirmière d’expérience, début quarantaine, qui n’en peut plus de travailler dans ce qu’elle appelle un «climat toxique accoté».

Marie est une volontaire, une battante. Pendant la pandémie, elle a répondu présente pour rendre le système hospitalier un peu moins inhospitalier, avec tous ces malades qu’on a placés sous respirateur artificiel en raison d’une COVID dévastatrice.

«Je n’ai jamais autant travaillé. Je voulais aider. C’est ce que le gouvernement [Legault] nous demandait, donner un coup de main», raconte-t-elle sur un ton posé.

Des heures et des heures

Comme bien d’autres de ses collègues, elle a «beaucoup donné»… jusqu’à ce qu’elle sente que son corps l’abandonnait. Le temps supplémentaire, surtout celui qui est obligatoire, ça use son infirmière, aussi dévouée puisse-t-elle être.

À peine commençait-elle à reprendre le dessus qu’elle apprenait que ce même gouvernement, qui ne sait plus comment éteindre les feux aux urgences des hôpitaux, entend «patcher» des trous en fusionnant des services.

Ce qui veut dire que les infirmières seront appelées à se promener d’un département à un autre pour répondre aux urgences, à l’urgence...

Dans sa région, la Mauricie, comme une cerise sur un sundae passé date, on lui a également annoncé que les infirmières devaient désormais, tout comme elle, travailler un week-end sur trois.

On manque d’infirmières, c’est documenté. Et on fait quoi pour y remédier? On met de la pression sur les infirmières. On leur impose des horaires. On «coupe» leurs week-ends.

Beau projet de société...

Travailler dans le privé

Marie songe très sérieusement à démissionner.

«J’ai envoyé mon cv à une bonne quinzaine de places. Ça commence déjà à répondre», m’a-t-elle signalé, pas plus tard que jeudi.

Elle a reçu au moins une proposition sérieuse provenant d’une clinique privée. Elle s’attendait à en recevoir quelques autres au cours des prochains jours.

Il faut comprendre que des infirmières compétentes, c’est en forte demande au Québec et dans les autres provinces. Des infirmières qui en ont ras le bol de répondre aux urgences sans se faire dire un tout petit «merci!», c’est aussi une main-d’œuvre très recherchée par les «visionnaires», ceux-là qui ont compris que le gouvernement n’aura bientôt plus le choix de recourir au secteur privé pour faire fonctionner la machine en très mauvais état.

C’est tout de même paradoxal: d’un côté, le ministre de la Santé, Christian Dubé, affirme sur toutes les tribunes qu’il fera tout pour réduire la portée des agences privées dans le réseau de la santé; de l’autre, les directions de la Santé, dans certaines régions du Québec, qui viennent dire aux infirmières que, dorénavant, que ça leur plaise ou non, c’est «comme ça» que ça va se passer.

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Comme ça, ça revient à dire: vous arrêtez de vous plaindre de vos conditions de travail, vous faites vos heures, vous faites votre week-end sur trois.

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Tant qu’à faire de l’ironie, on pourrait leur demander de passer le balai dans le corridor des urgences qui débordent et qui débordent...

Mais qu’est-ce que ça va prendre pour faire comprendre à ces directions de la Santé – et j’ai nommé, parmi celles-là, la direction du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec – que les infirmières méritent qu’on les respecte et qu’on les écoute?

Faudrait-il comprendre autrement que les infirmières n’ont pas le même poids que les médecins et les grands spécialistes? Y aurait-il deux classes d’employés dans la Santé

Le même discours

Il y a une semaine, je me trouvais dans une clinique médicale. À mes côtés se trouvait une infirmière qui cumule deux emplois: elle enseigne à des infirmières et elle travaille dans un hôpital en région.

Elle tenait sensiblement le même discours que Marie.

«Faudrait qu’on parle davantage de ce qui se passe véritablement dans le réseau! Nous autres, les infirmières, on les connaît les solutions, on aimerait avoir notre mot à dire. Mais on ne tient pas compte de notre opinion. C’est frustrant, à la longue.»

Tout comme Marie, elle en a contre les dirigeants qui prennent des décisions sans prendre le temps de consulter; sans demander aux infirmières, qui se tapent des horaires de fou et qui se retrouvent en burn-out, après avoir tout donné, y compris leur propre santé.

Les infirmières vivent dans l’urgence. Pour certaines, démissionner, c’est la seule issue. Le temps presse pour qu’on trouve une solution viable, pour ne pas dire vivable, pour améliorer le sort de ces valeureuses travailleuses de la santé.

C’est la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, qui disait comprendre, sur le plateau de Tout le monde en parle, dimanche dernier: « [Travailler] le vendredi, de soir, de nuit, de fin de semaine, les jours fériés, c’est pas sexy. Ça ne se bouscule pas aux portes.»

Sa solution à elle pour éviter des ruptures de service?

Plus de vacances et une paye «plus élevée» pour les volontaires.

Pas certain que c’est ce que demandent les infirmières.

Pas certain non plus que la députée de Champlain va empêcher les départs massifs vers le privé avec pareille proposition.

L’enjeu, ce ne sont pas les salaires. C’est pourtant clair...

***

Journaliste depuis plus de 45 ans, Yvon Laprade a couvert à peu près tout au cours de sa carrière avant de se spécialiser en économie. Il a travaillé et collaboré pour quelques quotidiens montréalais en plus d’être l’auteur de cinq livres, notamment Autopsie du scandale Norbourg. Il se passionne pour l’actualité et il juge essentiel de donner la parole à ceux qui ont des choses à dire. Il croit également au pouvoir des régions et il se fait le défenseur d’une information de qualité aux quatre coins du Québec.

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