Marie-Pier Lebeau et Pierre Brassard ont vidé leur atelier. Leur travail des dernières années se trouve exposé dans le cube vitré aux abords du bassin Louise, dans le Port de Québec.
L’abondance de peluches saute aux yeux. Le duo récupère les toutous qui ne peuvent être utilisés par l’organisme Réno-Jouets. Il les classe par catégorie (animaux, emojis, fleurs), les défait en morceaux (dispositif sonore, yeux, fourrure, bourrure) puis les utilise comme matière première pour réaliser des photographies et sculptures colossales et inquiétantes.
Alors que plusieurs artistes réfléchissent à l’anthropocène, cette couche géologique que créera la surconsommation humaine, le duo de Québec semble vouloir couvrir nos angoisses sur l’avenir de vestiges de douceur et de couleurs vives.
À la pêche aux jujubes
À l’entrée de l’Espace 400e, Candy Crane, une machine recyclée par Pierre&Marie, permet de jouer à attraper des répliques d’œuvres d’art de Jean-Robert Drouillard, BGL ou Valérie Blass en jujubes — frais, même si le dispositif date de 2012.
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Il y a aussi Soudain la beauté, une magistrale installation présentée au Musée national des beaux-arts du Québec pendant Manif d’art 8. Les enveloppes de peluches tachées recouvrent le sol d’une forêt calcinée où de petits animaux taxidermisés lèvent les yeux vers un souriant cœur en peluche, qui surplombe la scène.
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On ressent le même mélange d’émotions qu’à l’écoute de certaines pièces des Vulgaires machins, où les arrangements pop décuplent la portée des paroles acidulées.
Les cavaliers de l’Apocalypse
La salle la plus vaste, à l’étage, reprend plusieurs corpus qui faisaient partie de l’exposition Parmi les monstres, présentée au Musée régional de Rimouski à l’été 2021. Quatre grandes sculptures faites de peluches, de bois, de grillage, de miroirs, de brillants, de peinture et de mousse polyuréthane créent une forte impression — un mixe de ravissement et d’appréhension semblable à celui que suscitent les géants de David Altmejd.
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«On est devant une vision hybride du futur, qui agglutine des morceaux du présent. Ça devient un peu des monstres imaginaires, qu’on peut se construire comme adulte ou comme enfant», explique Pierre. Les sculptures en construction ont été utilisées dans les photographies Apparition 1 et 2, qui font partie des œuvres les plus récentes présentées dans l’exposition.
Sur des cimaises, la série des Big Broderies, où des yeux de toutous ont été agrandis et reproduits par des brodeuses industrielles, semble suivre les visiteurs. «Ça résume bien tout ce qui nous habite comme inquiétude par rapport au capitalisme de surveillance», note Marie.
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Quatre trames sonores sont diffusées dans la salle. «Ce sont des bruits de la nature fabriqués, qu’on retrouve dans les jouets [un coassement de grenouille, un tigre qui rugit, un «I love you» robotique], ce qui donne l’impression d’être dans une espèce de jungle, familière, mais inquiétante», indique Marie.
Un lever de soleil en néon, des ballons en aluminium moulés à partir de ballons d’hélium à moitié dégonflés, des formes fluides en miroir et de gros yeux ronds habillent les murs et le plafond et nous incitent à chercher, partout, des traces du merveilleux.
Et coulent les emojis
Le long de la passerelle qui mène à une autre salle, on peut observer une série de photographies où des emojis en peluche s’enfoncent dans la peinture noire. Utilisées à coup de milliards quotidiennement, ces petites synthèses d’émotion modifient le langage. Le sens des mots se perd ou devient ambigu, expose Pierre&Marie.
Dans la pénombre, des vidéos et des sculptures forment une collection de moments éphémères, d’étincelles qu’on tente de prolonger à l’infini : une chandelle en néon qui fond en trois temps, un feu de Bengale, un ballon métallisé en forme de cœur qui s’est pris dans un ventilateur de plafond.
On est surtout attiré par Les corps fantôme, une grande impression photographique montrant des formes de mousse blanche, des toutous dépouillés de leur enveloppe, comme les souvenirs d’une insouciance fragile. «Les plus vieux, ceux qui avaient été beaucoup serrés, conservaient leur forme pendant quelques secondes. Un coup de vent et ils s’effondrent. On trouvait qu’il y avait une force émotive assez intéressante, qu’on a essayé de conserver», explique Marie.
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Sous la thématique Apprivoiser les bestiaires, le commissaire du Jardin d’hiver, Julien St-Georges Tremblay, a rassemblé de nombreux artistes qui réfléchissent au vivant et à sa place dans notre imaginaire : une œuvre de chacun d’eux se trouve dans une dernière salle de l’Espace 400e.
L’exposition de Pierre&Marie est présentée jusqu’au 9 avril et le volet art public, jusqu’au 11 avril. Des parcours et des activités sont proposés à manifdart.org
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