«Haute démolition», pas toujours drôle l’humour

Étienne Galloy et Léane Labrèche-Dor dans «Haute démolition»

Ils sont partout, dans le salles de spectacles et nos téléviseurs, alignant les gags à la vitesse d’une kalachnikov pour un public qui en redemande. Mais dans les coulisses, les humoristes ne reflètent pas toujours ce qu’ils sont sur la scène. Même le plus gentil peut devenir un monstre.


Dans le roman Haute démolition (Les éditions de ta mère, 2021), Jean-Philippe Baril Guérard décortiquait avec truculence le milieu de l’humour où s’agitent des protagonistes à l’ego gonflés à l’hélium. «Plus ils sont gros, plus ils sont fragiles», écrivait-il.

«Tout le monde sait qu’on est une gang de pervers narcissiques qui se battent pour avoir de l’attention» déclarait aussi Laurie, la narratrice du bouquin, qui renaît sous les traits de Léane Labrèche-Dor dans la télésérie éponyme de six épisodes disponible à Séries Plus à compter du 16 mars.

L’histoire d’amour passionnelle entre cette scripteuse de l’ombre et Ralph (Étienne Galloy), un humoriste de la relève qui cherche sa place au soleil, forme la trame de fond de cette production adaptée au petit écran par Christian Laurence, également derrière l’adaptation, l’an dernier, d’un autre bouquin de Baril Guérard, Manuel de la vie sauvage.

Alcool et poudre

Dans la veine de la série française Drôle (disponible sur Netflix), Haute démolition campe son action dans l’ambiance des bars et des petites salles de spectacles, comme Le Bordel, à Montréal, où les aspirants humoristes rodent leurs numéros. Ralph est l’un d’eux. Le diplômé de l’École nationale de l’humour voit sa carrière faire du surplace alors qu’explose pour son plus grand malheur celle de son rival, le baveux Sam (Guillaume Gauthier), archétype des matamores qui l’ont intimidé au secondaire.

Pour oublier que ses shows, malgré son sens de la répartie, manquent cruellement de contenu et qu’il ne sera peut-être pas le prochain Martin Matte ou Louis-José Houde, Ralph abuse de la bouteille et de la poudre. Sa rencontre avec Laurie (Labrèche-Dor), experte dans l’art d’écrire des textes punchés, placera sa carrière en orbite. Il deviendra même chroniqueur à l’émission de télé À vos marques, café! face à une Hélène Bourgeois-Leclerc impayable en animatrice qui a le rire forcé et jaune...

Lorsque Laurie constatera son immaturité et lui rompra avec lui, Ralph tombera de haut. Terminé «l’enfer de la sobriété». Dure sera la chute.

Le rire comme vengeance

Dans le roman Haute démolition (Les éditions de ta mère, 2021), Jean-Philippe Baril Guérard décortiquait avec truculence le milieu de l’humour où s’agitent des protagonistes à l’ego gonflés à l’hélium. «Plus ils sont gros, plus ils sont fragiles», écrivait-il.

Même si les créateurs de la série ont pris quelques libertés avec le roman – en faisant entre autres de Laurie de dix ans l’ainée de Ralph – l’essentiel des enjeux dramatiques demeurent, dont le dénouement qui rappelle – pas d’alerte au divulgâcheur ici pour ceux qui ont lu le roman - un certain mouvement #metoo.

La féroce compétition dans le milieu de l’humour en amène plusieurs à tomber dans la consommation abusive de substances, même si la majorité ne se retrouve pas à la une des journaux en raison de leurs frasques. «Pour mon premier numéro, je ne buvais plus depuis huit mois. Je ne me serais pas vu monter sur scène à jeun, impossible. Je suis allé me chercher une bière», rappelait l’auteur, lundi, en rencontre de presse suivant la présentation des deux premiers épisodes.

Producteur de la série pour KOTV, Louis Morissette explique que cette consommation, qui n’est pas unique au milieu de l’humour, sert à chasser l’anxiété alimentée par la peur de se casser la gueule. «Je ne connais pas beaucoup de comiques qui y vont dry. À un moment donné, le stress te rattrape. Sauf que l’abus nourrit ton ego et ça va parfois chercher le plus laid de l’humain.»

À travers le parcours de Ralph, la série montre un jeune homme avide de gloire qui trouve dans l’humour matière à prendre sa revanche contre l’intimidation dont il a été victime adolescent. «Il va chercher de l’amour de toutes les façons, mais pas toujours de la bonne façon, mentionne Christian Laurence. Il cherche sa vengeance en faisant rire le rire du monde. Mais il a tellement souffert qu’il va faire souffrir.»

Un seul humoriste au générique

Comme l’ont démontré les allégations d’inconduites sexuelles portées dans les dernières années contre Julien Lacroix et Philippe Bond, le monde de l’humour n’échappe pas à ce mouvement dans l’air du temps. L’action du roman et de la série se déroule un peu avant le début des dénonciations. Seule femme parmi le groupe d’humoristes, Elena (Carolanne Foucher) a vendu son âme au diable pour devenir «one of the boys».

Pour interpréter Laurie et Ralph, les créateurs de la série n’ont pas voulu opter pour des humoristes de carrière (Erich Preach est le seul de la distribution). L’idée était plutôt de dénicher un couple qui «connectait naturellement», précise Louis Morissette pour expliquer le choix de Léane Labrèche-Dor et d’Étienne Galloy (Les bracelets rouges, Plan B).

«On ne voulait pas brouiller les pistes entre la réalité et la fiction, ajoute Christian Laurence. Les gens se se seraient demandés s’ils jouent un rôle ou eux-mêmes. On est allés chercher des acteurs qui étaient bons en stand-up. On les amenés se pratiquer au Bordel, mais ils étaient terrifiés.»