Chantale Daigle, héroïne malgré elle

Éléonore Loiselle (photo), alter ego de Chantale Daigle, et Antoine Pilon, alias Jean-Guy Tremblay, ce conjoint agressif, menteur et manipulateur, forment avec un naturel renversant ce couple dont la rupture ultra médiatisée sur fond d’enfant à naître a fait l’histoire jusqu’en Cour suprême.

Un canari en cage qui trouve une porte pour s’enfuir. L’image apparaît au générique d’ouverture de la télésérie Désobéir : le choix de Chantale Daigle. La métaphore, loin d’être anodine, renvoie au combat judiciaire de cette jeune femme qui, sans l’avoir voulu, est devenue à l’été 1989 un symbole de liberté féminine et porte-étendard du droit à l’avortement.


Journalistes, comédiens et membres de l’équipe de tournage ont eu droit, mardi après-midi, au Centre Phi de Montréal, au visionnement des deux premiers épisodes d’une heure de cette production de grande qualité, déposée sur la plateforme Crave à compter de mercredi. Ce petit bijou de reconstitution historique, du moins pour ce qu’on en a vu, offre aussi et surtout une puissante performance d’acteurs.

Éléonore Loiselle, alter ego de Chantale Daigle, et Antoine Pilon, alias Jean-Guy Tremblay, ce conjoint agressif, menteur et manipulateur, forment avec un naturel renversant ce couple dont la rupture ultra médiatisée sur fond d’enfant à naître a fait l’histoire jusqu’en Cour suprême.

À sa première rencontre avec Jean-Guy Tremblay, dans un Radio Shack de Montréal, Chantale Daigle était loin de se douter que ce prince charmant à moustache, gentil et avenant jusqu’à lui ouvrir la portière de l’auto, allait lui faire vivre l’enfer. Le scénario d’Isabelle Pelletier et de Daniel Thibault illustre la façon dont le bonhomme, un carencé émotif et intellectuel, a habilement tissé sa toile autour d’elle, au point de lui faire quitter son emploi en raison de sa jalousie maladive.

Trop loin, trop souvent

Le récit navigue habilement entre deux époques rapprochées dans le temps, celles des premières fréquentations idylliques du couple, à l’automne 1988, et celles où la jeune femme, à l’été 1989, annule son mariage et prend la décision de se faire avorter pour ne plus avoir à vivre sous le joug de ce partenaire impulsif et violent. «T’es allé trop loin, trop souvent», lui fait-elle savoir au téléphone.

Pour Chantale Daigle, le temps est le nerf de la guerre. À 17 semaines, sa grossesse est avancée. Elle doit se résoudre à quitter Chibougamau pour se faire avorter à Sherbrooke.

C’est à ce moment que Jean-Guy Tremblay lance une guérilla judiciaire et fait appel à deux avocats (Patrick Hivon et Jean-François Pichette) pour faire valoir ses droits sur l’enfant porté par son ex. La jeune femme, qui tombe des nues, fera appel à un avocat de l’aide juridique (Éric Robidoux). Une injection provisoire sera émise au nom de Tremblay, une première en la matière au Québec, même si l’avortement a été décriminalisé au Canada en janvier 1988 avec l’arrêt Morgentaler.

Pas de procédurite

L’essentiel de la cause, du moins d’après ce qu’on en a vu dans les deux premiers volets, avec les arguments portant sur les droits de la mère, du père et du fœtus, est résumé sans jamais donner dans la procédurite propre aux histoires judiciaires. Les plaidoiries et autres points de droit sont limités à leur plus simple expression, compréhensibles par le commun des mortels.

Pas de cellulaires, ni courriels ou textos à l’époque. Seulement le bon vieux téléphone au mur qui sonne souvent à la maison de la famille Daigle, un clan qui fait bloc autour de Chantale lorsque l’affaire fait la une des journaux. Les affreuses couleurs criardes des années 80 sont omniprésentes, le mobilier et les vêtements sont à l’avenant. On croit quasiment sentir le gros tapis qui empeste la cigarette.

Les quatre épisodes à venir continueront à osciller entre les recours judiciaires des deux parties, jusqu’en Cour suprême, et la décision de Chantale Daigle de passer outre à la cour pour aller se faire avorter en catimini à Boston. On devrait aussi en apprendre davantage sur la personnalité douteuse de Jean-Guy Tremblay et le rôle joué par les militantes pro-vie et pro-choix dans l’affaire.

Contrôle masculin sur les femmes

Les droits des femmes demeurent fragiles et à la merci de la moindre crise, comme l’a déjà dit Simone de Beauvoir, dont la citation est inscrite en ouverture de la série. L’affaire Chantale Daigle demeure tristement d’actualité, à une époque où l’accès à l’avortement est attaqué dans plusieurs pays, dont les États-Unis où le déboulonnement de l’arrêt Roe vs Wade a été reçu par les femmes comme un véritable séisme.

Dans les circonstances, la productrice Sophie Lorain estime qu’il était plus que nécessaire de rappeler à la mémoire collective cette histoire qui s’est déroulée chez-nous, il y a 34 ans. «C’était important que ce passage de l’histoire soit connu par le plus grand nombre, surtout par les jeunes femmes», a-t-elle déclaré en rencontre de presse, à l’issue de la projection.

«L’histoire de Chantale Daigle, c’est l’histoire du contrôle des hommes sur les femmes», ajoute le réalisateur et coproducteur Alexis Durand-Brault (Mégantic), qui s’explique mal comment trois tribunaux de première instance ont pu donner raison à un «pauvre type» aussi immature que Jean-Guy Tremblay. À son avis, «la magistrature québécoise l’a échappé.» Pour Sophie Lorain, tant le couple que les avocats au dossier, n’étaient tout simplement «pas outillés» pour porter l’affaire aussi loin.

Seulement 21 ans

C’est par l’intermédiaire de militantes pro-vie, qui ont servi d’intermédiaires en lui transmettant ses lettres, que la productrice est entrée en contact avec Chantale Daigle. La jeune femme, mère de quatre enfants, a refait sa vie, mais tient à demeurer dans l’ombre. Son histoire a fait l’objet d’un livre à l’époque.

Sophie Lorain rappelle avec raison le jeune âge qu’elle avait à l’époque. «À la regarder, on pense qu’elle avait 30 ans, mais elle en avait que 21. C’était une enfant ou presque. C’est d’autant plus noble qu’elle ait pu se tenir debout devant tout ce monde-là.»

Quant à Jean-Guy Tremblay, condamné à cinq ans de prison en Alberta pour violence conjugale sur une autre partenaire, nul ne sait ce qu’il est devenu.

Un documentaire

Le premier épisode de Désobéir : le choix de Chantale Daigle sera déposé sur Crave le 8 mars, Journée internationale du droit des femmes. Les cinq autres opus suivront à raison d’un par semaine. Aucune diffusion sur Noovo n’est prévue pour l’instant.

À la conclusion de la série, la plateforme diffusera Chantale Daigle : le documentaire où la réalisatrice Gaëlle D’Ynglemare et la journaliste Noémie Mercier revisitent les coulisses de l’histoire à travers des images d’archives et des entrevues avec les véritables acteurs de cet incroyable feuilleton judiciaire.