Jeanne Côté : fille de l’eau

Fille d’Alan Côté, directeur du Festival en chanson de Petite-Vallée, Jeanne Côté a aussi embrassé une carrière de musicienne et vient de faire paraître son premier album, «Suite pour personne».

En écoutant «Suite pour personne», le premier album de Jeanne Côté, on en vient inévitablement à se dire que, si on peut sortir une fille de la Gaspésie, on ne peut vraiment pas sortir la Gaspésie de la fille.


La mer (et l’eau en général) semble en effet s’être infiltrée partout dans les chansons de l’autrice-compositrice-interprète de 27 ans, établie à Montréal depuis dix ans. Ça se voit d’abord dans les titres (La vague, Touché-coulé, Y peut mouiller…), puis ça s’entend dans les paroles, portées par des images de bateaux, d’îles désertes, de châteaux de sable, et surtout par une voix claire comme de l’eau de roche.

«J’ai essayé de sortir la Gaspésie de la fille, il y a longtemps, quand j’ai commencé à écrire des chansons, admet la native de Petite-Vallée. Mais je me suis vite aperçue que ce n’était pas possible. Je m’interdisais beaucoup de sujets, je n’arrivais pas à exprimer ce que j’avais à dire, et ça donnait une chanson par année», ajoute la musicienne, qui tenait également à ce que l’autre versant de sa région natale, celui que les touristes connaissent moins, lui serve d’inspiration.



La chanson « La Vague » interprétée par Jeanne Côté pour les Francouvertes 2020. (YouTube, Les Francouvertes)

«On parle beaucoup de la Gaspésie comme d’une carte postale, d’une belle destination de vacances l’été, mais quand tu vis là, c’est beaucoup plus puissant. C’est aussi, par moments, une relation d’amour-haine : tu es loin de tout, il y a beaucoup de solitude, les éléments se déchaînent parfois et c’est intense à recevoir. Il faut être capable de se mouler à ça. Mais ça a forgé mon caractère. J’ai le sentiment de porter ça en moi, physiquement, et j’avais donc envie d’en parler dans mes chansons.»

Chansons sans réponses

La solitude, elle surgit un peu partout sur Suite pour personne. La solitude que l’on souhaite, qui est même parfois salutaire, mais également celle qui pèse et suscite le désir de retrouver l’autre au plus vite. Cette contradiction qui peut grever un couple, Jeanne Côté en a pas mal fait le principal thème de son opus 1 (elle a lancé un microalbum de cinq chansons, Aller-retour, en 2019).

«C’est ma grosse réflexion des dernières années et j’ai encore envie de fouiller la question, celle des paradoxes des relations amoureuses et des relations tout court. Je suis une personne qui a besoin de son indépendance, de rester elle-même quand elle est en connexion avec quelqu’un d’autre. Lorsque j’entre dans une nouvelle relation, il me faut mettre ça au clair dès le départ. Au début, c’était un défi. Aujourd’hui, le défi est davantage dans le questionnement. Mais je n’ai pas cherché de réponse avec mes chansons. Au contraire, j’apprends à trouver ce qu’il y a de l’fun dans tout ce tiraillement», explique-t-elle.

L’album comporte une seule interprétation, celle de Je n’y suis pour personne de Daniel Lavoie. Elle est tout de suite suivie par la chanson-titre, tel un écho. Là niche la genèse des plus récentes compositions de Jeanne Côté.



«Je n'y suis pour personne » de Daniel Lavoie, interprétée par Jeanne Côté. (YouTube, Jeanne Côté)

«Je ne sais pas pourquoi, mais la mélodie de la chanson de Daniel m’a toujours profondément touchée, depuis que je suis toute petite. Elle me revient à l’esprit chaque année, elle tourne en boucle dans ma tête pendant quelque temps. Un jour, au lieu de me demander pourquoi, j’ai décidé de l’utiliser comme point de départ. Je faisais alors une maîtrise en littérature, en recherche et création, et la partie création, c’était mon album à venir. Le point de départ a été d’écrire une réponse à Je n’y suis pour personne, ce qui a donné Suite pour personne. Ce n’est pas une réponse directe ni explicite, mais je me suis servie du même sentiment de solitude, quand tout est fermé autour et que la seule option est d’admettre qu’il n’y a rien à faire.»

Le plus ironique, c’est qu’on était alors en février 2020… juste avant que tout soit fermé. Jeanne Côté venait d’abandonner sa maîtrise pour concrétiser son projet en dehors d’un cadre académique.

«J’avais décidé de faire une résidence d’écriture au P’tit Bar à Montréal. Je m’étais imposé comme défi de faire un show et une nouvelle chanson par semaine, pour me donner un élan. Après quelques semaines, tout a fermé, mais l’élan d’écriture, lui, est resté. La moitié de l’album est donc né juste avant la pandémie. C’est donc un pur hasard si ça parle de solitude, parce qu’on n’était pas encore tous pognés chez nous», raconte-t-elle en éclatant de rire.

Dans les pattes de Plume

Jeanne Côté est la fille d’Alan Côté, grand manitou du Festival en chanson de Petite-Vallée. Aussi bien dire qu’elle a grandi dans la musique et qu’elle a fait ses premiers pas au milieu d’une nuée d’artistes.

«Le Festival, c’était comme un deuxième Noël. Un de mes terrains de jeux était une petite côte qui mène à la longue pointe, là où se trouve le théâtre. Comme j’étais assez libre de mes mouvements, j’ai couru entre les pattes des auteurs-compositeurs qui passaient par là ou qui venaient à la maison. Un ami m’a d’ailleurs récemment rappelé une anecdote. Il était chez moi (on devait avoir 10 ou 11 ans), on descend dans le salon et il me demande : “C’est qui, ça?” Et je lui réponds : “Ben, c’est Plume!” Je ne me rendais pas compte qu’il y avait du monde important qui passait chez nous!»

« Y peut mouiller » de Jeanne Côté. (YouTube, Village en chanson de Petite-Vallée)

À entendre toute la place que prend le piano dans ses chansons, on se doute que Jeanne Côté a commencé à l’apprendre très jeune.



«Mais ma sœur aînée avait la priorité sur le piano. Elle était vraiment bonne et participait à des concours. Moi, j’apprenais sans me poser trop de questions. Par contre, j’adorais écrire des histoires. Quand ma sœur est partie au cégep, j’ai eu le piano pour moi et je me suis mise à composer.»

«L’été suivant, le séjour Auteur-compositeur-interprète pour ados s’est ouvert à Petite-Vallée. Les deux formateurs étaient Patrice Michaud et Nelson Minville. On était cinq adolescents d’une quinzaine d’années avec deux formateurs de course. C’est là que j’ai écrit ma première chanson, avec les encouragements de Patrice. Et c’en était fait, le sort était jeté : je voulais devenir musicienne.»

JEANNE CÔTÉ, 
« SUITE POUR PERSONNE », 
FOLK FRANCO,
Productions Jeanne Côté