L’héritage du mouvement #MeToo en affaires

Le mouvement #MeToo a-t-il aidé à améliorer les relations de travail? Selon certaines expertes, la réponse est nuancée. Nul doute toutefois que le mouvement a popularisé le concept d’«équité, diversité et inclusion», devenu une tendance dans le milieu des affaires. 


Le Soleil affaires — En 2018, le mouvement #MeToo a fait couler beaucoup d’encre. Si les industries du divertissement ont ressenti le gros de la vague, des remous se sont également fait sentir dans le milieu des affaires.

Des termes comme microagression et biais inconscient sont devenus de plus en plus courants pour dénoncer des comportements inappropriés et mettre des mots sur des situations qui, dans le passé, relevaient de l’humour ou de réflexes générationnels.



En particulier en entreprise, où le roulement d’employés amène souvent de nouveaux visages dans l’équipe.

En 2020, une femme sur quatre et un homme sur six ont dit avoir été victimes de comportements sexuels inappropriés au travail au cours de l’année précédente, selon Statistique Canada.

Les entreprises privées ou familiales étaient, et sont encore, un terrain fertile pour des conduites dites inacceptables. Il n’y a pas si longtemps, les politiques sur le harcèlement étaient rarement à l’agenda, explique Sarah Licha, présidente-directrice générale de Seedz, spécialisée dans la transformation d’entreprise.

«Dans la petite entreprise, ou l’entreprise privée, il y en avait peu. On avait l’impression que ça n’existait pas chez nous. On se connaît, ça fait longtemps qu’on travaille ensemble, on est une entreprise familiale, donc ça ne peut pas arriver. Il y avait peut-être du déni.»



Mais le vent tourne. Une bourrasque à la fois.

Fanny Element, conseillère en formation dans le Réseau d’Annie RH

«Aujourd’hui, quand une entreprise demande à ce qu’on l’aide à bâtir un manuel, le harcèlement fait toujours partie des premières notions»

—  Fanny Element, conseillère en formation dans le Réseau d’Annie RH

«Aujourd’hui, quand une entreprise demande à ce qu’on l’aide à bâtir un manuel, le harcèlement fait toujours partie des premières notions, et elle veut une politique, un protocole et un formulaire», confirme Fanny Element, conseillère en formation dans le Réseau d’Annie RH.

Selon elle, le mouvement #MeToo est une des causes de cette mutation. Car avant tout changement sociétal, un choc survient.

«Le mouvement #MeToo est vraiment venu faire un freeze. Et la transformation s’est quand même faite très rapidement. Là, on est vraiment passé d’un extrême à un autre, explique Sarah Licha. Les gens sont maintenant conscients qu’il y a des choses qu’il ne faut plus dire.»

Adoucir les chocs

La pdg croit aussi que le mouvement a ouvert une porte afin de sensibiliser la population au harcèlement, au sens large. Mais même si la volonté y est, la collision culturelle et générationnelle vécue au Québec reste un obstacle à franchir.

«T’es trop émotive», «t’es sexy aujourd’hui», «t’es plus belle quand tu souris».



Bien que moins tolérés, ces commentaires n’ont pas complètement disparu du marché du travail. Même qu’une nouvelle gamme de phrases péjoratives s’y est greffée dans les dernières années, à l’encontre de la main-d’œuvre étrangère et des plus jeunes générations.

«Aujourd’hui, ce qui se passe, c’est qu’on a des gens qui savent qu’il faut se comporter d’une certaine manière, mais ne savent pas comment le faire», conclut Mme Licha.

S’il est difficile de confirmer l’influence réelle du mouvement #MeToo dans la métamorphose des secteurs d’affaires, il est indéniable qu’une prise de conscience s’est faite et continue de mûrir. Afin que «les bottines suivent les babines», l’instauration d’une approche «équité, diversité et inclusion» (EDI) devient un cheval de bataille.

«Je trouve que le lien se fait facilement [entre #MeToo et l’EDI], car dans les dernières statistiques qu’on voit, ce sont les femmes ainsi que les groupes sous-représentés, racisés et handicapés qui sont beaucoup victimes de harcèlement sexuel et psychologique en entreprise, établit Fanny Element. L’EDI s’adresse principalement à toute la diversité, sous toutes ses formes.»

Les emplois qui favorisent cette approche, «très d’actualité», sont très recherchés aux États-Unis depuis un an, note-t-elle.

Et ce n’est pas pour rien. Les chiffres parlent.

La diversité des sexes augmente les bénéfices de 25%, et ce chiffre est encore plus élevé lorsqu’il s’agit de postes de direction, selon une étude datée de 2020 de la firme McKinsey, réalisée dans 15 pays et auprès de plus de 1000 entreprises.

Pour les organisations présentant une diversité culturelle et ethnique, les bénéfices supplémentaires gonflent de 36%.



Aux avantages financiers s’ajoute une panoplie de facteurs pouvant bonifier la prospérité d’une entreprise. Que ce soit pour promouvoir l’innovation, augmenter l’efficacité de l’équipe, ouvrir de nouveaux marchés étrangers ou améliorer le taux de rétention et d’attraction, «les entreprises doivent s’ouvrir à plus de diversité, tranche la conseillère. C’est un passage obligé».

«Le monde du travail s’est transformé, l’avenir, c’est les millénariaux, et nous, les anciens, on doit apprendre à communiquer avec eux. Car c’est eux le futur, pas nous.»

«La diversité, c’est un fait; l’inclusion, c’est une action»

La diversité et l’inclusion ne doivent toutefois pas être mises de l’avant seulement pour bien paraître ou pour attirer la main-d’œuvre, prévient Mme Element. «Si ce qui a été présenté au jeune travailleur ne concorde pas avec la réalité, ce dernier risque simplement de partir.»

L’équation est simple: les jeunes travailleurs désirent des environnements de travail diversifiés, sains et authentiques, où l’équité, la diversité et l’inclusion font partie des priorités.

«L’affaire, c’est qu’il ne faut pas faire de l’EDI parce que c’est cool. Il faut le faire parce que c’est payant pour l’entreprise autant que pour les employés, qui développent un sentiment d’appartenance à la marque», explique Fanny Element.

Il faut donc faire attention à ne pas tomber dans le discours des quotas. Certains programmes fédéraux obligent un taux de diversité et de parité interne, explique Mme Licha.

«Ça, c’est bien pour commencer. Mais si ça s’arrête là, ce n’est pas assez, souligne-t-elle. Il faut aller plus loin que ça. Comment faire pour que le quota ne soit pas seulement un chiffre, mais plutôt une utilité pour l’entreprise? Comment va-t-on prendre toutes les diversités invisibles et les intégrer de manière à ce qu’elles contribuent à une entreprise?»

Des questionnements qui rejoignent directement «ce que les millénariaux sont en train d’implémenter dans la société», selon Mme Element.

Sarah Licha, présidente-directrice générale de Seedz, spécialisée dans la transformation d’entreprise.

Selon Sarah Licha, il est important de tirer profit de l’avantage concurrentiel que chaque employé détient de manière inhérente, et d’en prendre conscience.

Sarah Licha ajoute qu’il est important de tirer profit de l’avantage concurrentiel que chaque employé détient de manière inhérente, et d’en prendre conscience.

Par exemple, une mère monoparentale.



«Quand on est une mère monoparentale, on a l’obligation d’être mille fois plus organisée que n’importe quelle autre personne, estime Mme Licha. Cette personne-là, de par qui elle est, de par ce que la vie l’a amenée à être, a une capacité d’organisation et de prise de décision peut-être 10 fois plus importante que son voisin dans une cellule familiale plus traditionnelle.»

L’équité, la diversité et l’inclusion doivent donc faire partie intégrante d’une marque, et non seulement la faire briller, que ce soit pour la sécurité psychologique de son équipe ou l’avenir financier de l’entreprise.

«Je pense que le travail qui reste à faire, c’est de faire vivre l’inclusion, le respect et la civilité. Mais pour les faire vivre, il faut que ce soit porté par les directions et que ce soit vivant à l’intérieur de l’entreprise, tranche Fanny Element. Pas seulement par la personne qui occupe un poste EDI.»