Comment intéresser davantage les filles au numérique?

Léonie Chipot s’intéresse davantage à la technologie depuis son passage au Code des filles.

Léonie Chipot faisait déjà de la robotique à l’école, connaissait un peu la programmation, mais les technologies de l’information (TI) ne l’intéressaient pas vraiment. Puis, il y a eu Le code des filles.


«Après Le code des filles, j’ai commencé à me pencher plus vers les choses en technologie, à essayer de comprendre comment certaines choses fonctionnaient... Et j’ai pu rencontrer plein de personnes que je n’aurais pas pu rencontrer autrement», lance l’élève de cinquième secondaire au Collège François-de-Laval.

Élisa Lefebvre était de son côté technicienne en éducation spécialisée (TES) en milieu scolaire avant de suivre le parcours de Rebon numérique.



«Finalement, j’ai constaté que ce n’était pas pour moi [être TES]. J’ai dû me requalifier. Plusieurs fois, je suis allée en orientation. Parce que je savais que ce n’était pas pour moi, et je cherchais. Je vais toujours me revoir au mois de novembre 2021. J’avais vu la description de Rebon numérique en cherchant sur Internet. Et je me suis dit: “Ah, mon nom est écrit là-dessus! C’est vraiment fait pour moi, cette formation courte qui me permet d’aller dans un autre milieu.” Je n’avais jamais pensé avant que je pouvais m’en aller en informatique.»

Élisa Lefebvre, ancienne élève du programme Rebon numérique (au centre), rigole avec Nicole Richard et Pierre-Luc Bonneville, respectivement directrice et directeur adjoint à la Formation continue et aux Services aux entreprises du Cégep de Sainte-Foy.

Les histoires similaires se multiplient, mais dans les métiers des TI, les femmes sont toujours sous-représentées. Une tendance que certains organismes tentent de changer afin d’attirer de plus en plus de jeunes — dont des filles — dans les programmes d’études en informatique.

«On s’est donné comme premier objectif de rapprocher les cégeps et universités des écoles de niveau secondaire, afin de mieux attirer les jeunes dans les établissements d’enseignement, notamment les filles, en TI et dans le domaine de la santé», affirme Catherine Plasse-Ferland, directrice adjointe du Pôle régional en enseignement supérieur de la région de la Capitale-Nationale. «Mais ce n’est pas tout. Le Pôle vise aussi à stimuler la persévérance. Peu d’étudiants qui commencent un programme d’études en TI occuperont finalement un emploi dans le domaine, soit environ 35% de ceux-ci.»

Créé en 2018, le Pôle déploie beaucoup d’efforts pour attirer plus de jeunes dans les établissements d’enseignement supérieur. Il fait partie des 15 pôles répartis dans l’ensemble du Québec qui répondent au ministère de l’Enseignement supérieur.



À cet objectif principal s’ajoutent la réponse aux besoins nationaux et régionaux dans l’arrimage de la formation avec l’emploi, l’accueil et l’inclusion des étudiants étrangers, ainsi que leur accessibilité à l’enseignement supérieur ici.

«On a tellement de pain sur la planche qu’on a maintenant un chargé de projet à temps plein qui travaille pour nous», ajoute Mme Plasse-Ferland.

Représentativité féminine

La représentativité des femmes demeure toujours un enjeu. Un enjeu mondial, soutient Valérie Caron, directrice du Pôle.

«Il est intéressant de savoir qu’une étude de l’UNESCO, pilotée en 2018, relevait une fréquentation étudiante de 48,5% de femmes dans les classes des programmes des STIM [science, technologie, ingénierie et mathématiques] en Algérie, alors qu’elle se situe plutôt à 17% au Canada! Cependant, dans les postes de TI, elles tombent à 22% de représentation, explique-t-elle. Ce n’est donc pas parce qu’on est à parité dans les fréquentations scolaires que nous le sommes ensuite…»

Différentes initiatives

Parmi les différentes initiatives mises en place par le Pôle, notons la zone Imagine ton métier du futur, présentée au Salon Carrière Formation à l’automne 2022. Cet espace a entre autres hébergé une conférence donnée par Ravy Por, ambassadrice techno et intelligence artificielle (IA). De jeunes professionnels étaient aussi présents, et l’expérience de codage pour les femmes, avec Le code des filles, pouvait être vécue dans des kiosques.

Ravy Por est mathématicienne spécialisée en intelligence artificielle.

À 37 ans, Ravy Por, fille de parents réfugiés cambodgiens, occupe le poste d’associée chez KPMG et de leader au Québec du Centre d’excellence en intelligence artificielle et technologie émergente de l’entreprise, appelé Lighthouse. Mme Por est d’ailleurs une collaboratrice via l’organisme à but non lucratif qu’elle a fondée, Héros de chez nous.



La zone Imagine ton métier du futur fait partie des événements mis sur pied par le principal allié du Pôle, Mon avenir TI. La mission de cette organisation consiste à assurer une cohésion de ses forces pour mettre en valeur les perspectives de carrière en TI dans la région de Québec. Elle se trouve au centre d’un écosystème qui concerte les efforts avec les organismes (le Ministère et le Pôle), les établissements d’enseignement et les entreprises. En tout, Mon avenir TI compte 62 sociétés membres, qui ont comme principaux objectifs le recrutement, la diplomation, la notoriété et la mobilisation.

La techno est partout

Selon Louis-André Marceau, directeur général de Mon avenir TI, tous ces efforts de sensibilisation sont nécessaires, car la technologie est partout, peu importe le domaine d’études choisi.

«Notre travail, c’est de démocratiser et de vulgariser les TI. Plusieurs ont la perception que l’intelligence artificielle, ce n’est pas accessible du tout! Mais ça fait partie d’un tout...» dit-il.

Catherine Plasse-Ferland et Simon Auclair, respectivement directrice adjointe et chargé de projet au Pôle régional en enseignement supérieur de la région de la Capitale-Nationale, entourent Louis-André Marceau, directeur général de Mon avenir TI.

Pour illustrer cela, le directeur général de Mon avenir TI raconte une expérience récemment vécue au Salon Carrière Formation.

«J’ai parlé avec une jeune fille qui ne voulait rien savoir des TI. Elle me disait: “Je sais ce que je veux faire, je veux aller en design d’intérieur!” Et c’est là que je l’ai arrêtée en lui répondant qu’il n’était pas loin le jour où les TI feraient partie intégrante de ce métier. Les clients pourront voir en D, avec un casque de réalité virtuelle, de quoi aura l’air leur projet de décoration!» relate-t-il.

Il ajoute que le milieu des TI est un univers créatif qui demande des compétences différentes, autres que la programmation.

Un point de vue soutenu par Mme Plasse-Ferland.

«On a souvent l’image du hacker qui entre des lignes de codes dans le sous-sol de ses parents, mais la TI, c’est plus que ça.»

—  Catherine Plasse-Ferland

«Le stéréotype du geek dans le sous-sol de ses parents est encore vraiment là», renchérit Geneviève Peck, directrice générale du Code des filles. «Personnellement, je trouve ça le fun parce que de plus en plus, dans les émissions de télé, il y a quand même une sensibilisation qui est faite. On voit de plus en plus de geeks filles, mais qui restent très féminines.»



L’exemple du Code des filles

Comment attirer ces filles dès leur jeune âge? C’est la mission du Code des filles.

Parti d’une initiative des jeunes du Collège François-de-Laval de Québec en 2018, Le code des filles a rassemblé professeurs et technopédagogues pour sensibiliser les filles au domaine des technologies du numérique.

Maintenant, l’organisme est aussi présent à Montréal, à Laval, à Longueuil et à Lévis. «Notre mission est plus dirigée vers la création d’une communauté de filles. On n’est pas un organisme qui va faire des cours de programmation, etc. On n’a pas de professeurs ou de personnes à l’interne pour ça. On vise vraiment à briser toutes sortes de barrières, sociales ou systémiques, que les filles rencontrent quand elles entrent dans ce marché», relance Mme Peck.

Le code des filles organise chaque année son Défi LCDF, qui commence au début du mois de février. «Ça se passe dans les écoles des régions de Québec, de Lévis, de Montréal, de Laval et de Longueuil où les enseignants font des heures d’éducation numérique avec leurs élèves en classe et les cumulent. Nous, on voit le Défi comme la porte d’entrée de notre mission», dit la directrice générale.

Ensuite viennent les deux soirées LCDF, une à Montréal, l’autre à Québec. «C’est la rencontre entre des professionnelles du milieu et des filles du secondaire. Là, on a des exemples de réussites, mais aussi des exemples d’échecs qui ont mené vers des réussites. Les filles du secondaire peuvent poser leurs questions à ces femmes qui sont issues du milieu, mais de différentes entreprises, de différents domaines», explique Mme Peck.

Rebondir avec Rebon numérique

Au Cégep de Sainte-Foy, on offre le programme Rebon numérique depuis l’automne 2021. «C’est un projet qui a pris naissance à partir de besoins qui avaient été exprimés par le marché du travail pour des professions dans les métiers du numérique», explique Nicole Richard, directrice à la Formation continue et aux Services aux entreprises.

La cohorte qui a commencé le programme Rebon numérique en février inclut 8 femmes, sur un total de 12 élèves.

«On voulait développer une formation qui permettrait de répondre à des besoins de personnes à différents niveaux. Il y a beaucoup de requalifications, des gens des régions éloignées, et qui voient dans le numérique une potentielle profession», ajoute Pierre-Luc Bonneville, directeur adjoint de Mme Richard.

Il précise que le programme a formé des femmes dans une proportion de 39% depuis sa mise en place. Par contre, Mme Richard souligne que la cohorte qui a commencé en février est formée de femmes à 75%. «Ça va en augmentant», dit-elle.

Après son parcours chez Rebon numérique, Élisa Lefebvre a fait un stage de cinq semaines chez Victrix. «Ils m’ont gardée par la suite», lance-t-elle, en précisant qu’elle est maintenant consultante.

Quant à elle, Léonie Chipot ne compte pas se diriger vers un emploi en TI, mais plutôt en mathématiques. Son intérêt pour le numérique lui sera toutefois fort utile. «On m’a dit qu’il y avait quand même beaucoup de programmation aussi. Et c’est vraiment Le code des filles qui a renforcé cette volonté d’aller plus loin», conclut-elle.