Le temps supplémentaire, «la plaie» du CHU de Québec

Par une demande d’accès à l’information, Le Soleil a obtenu le montant déboursé chaque année depuis 2019 pour le temps supplémentaire des infirmières du CHUL, de l’Hôtel-Dieu de Québec et des hôpitaux Enfant-Jésus, du Saint-Sacrement et Saint-François-d’Assise.

Le CHU de Québec a déboursé plus de 17 M$ en temps supplémentaire (TS) pour tout son personnel infirmier, en 2022. «Ce n’est pas normal, je dis ça toutes les fois. S’il n’y avait pas de TS dans le CHU, il ne fonctionnerait pas. Là, on a une preuve concrète», s’exaspère la présidente du syndicat.


Par une demande d’accès à l’information, Le Soleil a obtenu le montant déboursé chaque année depuis 2019 pour le temps supplémentaire des infirmières du CHUL, de l’Hôtel-Dieu de Québec et des hôpitaux Enfant-Jésus, du Saint-Sacrement et Saint-François-d’Assise.

Le TS et le temps supplémentaire obligatoire (TSO) sont regroupés dans le tableau. Il était impossible pour le CHU de Québec de séparer les deux montants. Nous l’avions demandé.



«Je pense qu’ils le savent. Le système est bizarre, mais c’est certain que le CHU sait son montant en TSO, du moins, il sait celui qu’il impose aux infirmières», note Nancy Hogan, présidente du syndicat des infirmières du CHU de Québec.

Le TSO est «la plaie» du personnel infirmier depuis plusieurs années. Autrefois, il s’agissait d’une solution exceptionnelle pour s’assurer d’un nombre sécuritaire d’infirmières sur le plancher. Aujourd’hui, Mme Hogan estime que le TSO est imposé chaque deux jours dans certains secteurs.

Certaines infirmières effectuent du TS pour éviter le TSO, indique aussi Mme Hogan. Dans une équipe, celle qui a enregistré le moins de TS devra rester au boulot. Pour éviter la surprise, des employés s’assurent d’avoir certaines heures de plus à leur dossier.

«On manque de monde. Avant la pandémie, il manquait 500 personnes [catégorie 1 : infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes]. Maintenant, il en manque 900. On a énormément de postes dépourvus de titulaires.»



Le Soleil a analysé avec Mme Hogan les chiffres obtenus.

En 2019, avant la pandémie, le CHU de Québec avait déboursé plus de 11 millions $ en TS. Le montant est plus élevé aujourd’hui, en partie parce que les heures à combler augmentent, mais aussi en raison des primes plus élevées offertes depuis 2020.

«Les chiffrent le prouvent, ça augmente. C’est énorme, juste pour le personnel infirmier. Et c’est sûr que c’est trop», insiste Mme Hogan.

En 2022, 83 % de tout le personnel infirmier a enregistré des heures supplémentaires, soit 4845 membres sur 5817, tous les types d’infirmières confondus. Le pourcentage est relativement le même depuis 2019 : rares sont les infirmières qui ne feront aucune heure supplémentaire pendant un an.

Le top 10

Dans la même demande d’informations formulée au CHU de Québec, Le Soleil a demandé de consulter les salaires des 10 infirmières les mieux payées des cinq hôpitaux de la région de Québec, de 2019 à 2022.

Certaines infirmières font plus de 50 000 $ en temps supplémentaire, par année. Dans les cas extrêmes, certaines font même plus d’argent grâce au TS qu’avec leur salaire de base.



«Il y en a toujours eu du temps supplémentaire, il y en a qui sont de grands consommateurs. Dans la liste, certaines font l’équivalent de trois TS de 8 heures par semaine. J’en ai déjà vu qui font ça, ce n’est pas inhabituel.»

Le TS est une particularité du métier d’infirmière. Quand les quarts de travail sont assurés de manière volontaire, Nancy Hogan n’a pas de problèmes avec ça. Grâce aux amatrices de temps supplémentaire, il y a moins de TSO pour celles qui ne souhaitent pas dépasser leur temps de travail habituel.

Ces employées ne sont toutefois pas assez nombreuses pour combler tous les quarts de travail libres. La recrudescence du TSO, où l’employeur oblige les infirmières à rester au boulot même après une journée complète, est remarquée depuis 2017 au CHU de Québec.

«Beaucoup de monde quitte l’hôpital parce qu’ils sont tannés. Une bonne quantité de gens s’en vont dans les cinq premières années d’embauche. La charge est trop lourde, ce n’est pas tout le monde qui est apte à faire ça avec un gros rythme.»

Nancy Hogan espère de meilleures conditions pour que le domaine soit plus attrayant. On parle ici de meilleurs salaires, l’abolition du TSO et de bonnes primes. «Il faut surtout rapatrier les gens des agences. On en a assez des infirmières, ça devient difficile de les faire travailler à l’hôpital», laisse tomber Mme Hogan.

Nouvelle réalité

La nouvelle réalité du métier d’infirmière est maintenant connue des étudiantes en soins infirmiers.

La majorité des employées qui se glissent dans le top 10 sont d’ailleurs des infirmières cliniciennes. Elles ont certainement un meilleur salaire, note Mme Hogan, ce qui leur sécurise un certain montant. Le nombre d’infirmières cliniciennes [baccalauréat] dépasse maintenant le nombre d’infirmières [diplôme d’études collégiales].

«C’est aussi ce que l’Ordre des infirmières préconise depuis des années. Ça commence à paraître beaucoup», ajoute la présidente du syndicat.

«Maintenant, c’est enseigné aux nouveaux. Si tu ne prends pas de TS au premier tour, s’il y a des besoins, tu vas être obligé d’en faire quand tu ne l’auras pas prévu. Les infirmières avec le bac ont plus de choix», indique Mme Hogan.