«Il faut envisager l’exposition un peu comme Alice, qui entre à pieds joints, candide, menée par sa curiosité dans un univers étrange et fantaisiste», indique la commissaire Anne-Sophie Blanchet.
Trois étranges jardins
À l’entrée, l’installation Afin d’éviter tous ces nœuds de Ludovic Boney devient un passage merveilleux où l’on s’aventure les sens en éveil. Des sacs de plastique récupérés, fixés sur des tiges de métal, évoquent des herbes hautes et d’étranges fleurs qui bruissent chaque fois qu’un pas les fait tanguer.
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Présentée notamment à Vaste et vagues et à la Triennale Banlieue, l’œuvre de l’artiste wendat pouvait être contournée et observée de loin. Ici, pas le choix : il faut plonger dans ce champ transplanté à l’intérieur, où les rebuts révèlent leur potentiel merveilleux.
«Ça évoque la candeur de l’enfant qui transforme une branche d’arbre en baguette magique, des coussins de divan en château fort, note la commissaire. Il y a beaucoup d’amour dans la fabrication de cette œuvre-là et dans la façon dont on interagit avec elle.»
Dans la pièce suivante, l’univers intimiste de Boisement et tabouret de Cynthia Dinan-Mitchell brouille les relations entre le réel et ses représentations. Des éléments d’un tableau, «le plus grand jamais réalisé par l’artiste jusqu’à maintenant», souligne Anne-Sophie Blanchet, sont reproduits en plâtre et disposés, sur une chaise haute, comme un modèle de nature morte. Un miroir en demi-sphère sollicite notre œil, qui se laisse berner par les fausses symétries.
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On progresse tout naturellement vers l’écosystème hybride d’Isabelle Demers, baptisé Un jardin de prêles. Dans les pyrogravures, dessins et aquarelles fixées aux murs, les mondes minéral, végétal et animal s’amalgament. Des écureuils en céramique aux couleurs étranges courent sur les murs. Des oiseaux, mi-toucans, mi-corbeaux, luisent près des feuillages aux allures aquatiques.
«Les glaçures créent des textures ferreuses. Les créatures sont reconnaissables, familières, mais semblent issues d’une autre époque, préhistorique», indique notre guide. Le tout donne l’impression de se trouver dans le musée d’histoire naturelle d’un esthète excentrique.
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La turbulence des objets
La vue de À cinq mille milles de profondeur, du Collectif 5, est saisissante. Marilyne Bissonnette, Sarah Booth, Marion Gotti, Andréanne Jacques et Nathalie Vanderveken ont recouvert les murs, le foyer et la cheminée de papier, dont l’odeur flotte dans l’air.
Une longue table qui croule sous la vaisselle et les objets divers semble sortir du mur. Une chicha rappelle la chenille bleue d’Alice au pays des merveilles à notre souvenir. On est plongée dans une interprétation sous-marine, et emballée, d’un banquet organisé par le chapelier fou.
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«Ce qu’on entend, ce sont des bruits ambiants captés lors de la réalisation de l’œuvre. Du papier déchiré, des objets qu’on déplace, du ruban adhésif qu’on arrache. On est devant le résultat fini, mais la dimension sonore nous ramène à la fabrication», explique la commissaire.
Les vases de porcelaine de Laurent Craste, objets anthropomorphiques à qui l’artiste fait subir tous les supplices, nous accueillent ensuite. «Ce sont des œuvres magnifiques, mais déstabilisantes, qui incarnent le thème des objets qui prennent vie. Parce qu’elles sont mutilées, tordues, ces œuvres-là font appel à notre capacité à se projeter et à se révolter», explique Anne-Sophie Blanchet.
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Ces faïences d’aristocrates, malmenées par des outils d’ouvrier, illustrent la lutte des classes à travers l’histoire en suscitant amusement, surprise et légers frissons. Un buste sans visage baptisé Âme II a été choisi comme visuel de l’exposition pour sa poésie, son aura de mystère et son pouvoir d’évocation.
On se trouve, en fin de parcours, devant un triptyque vidéo de Jocelyn Robert, L’Il y a. L’artiste et ex-directeur de l’École des arts visuels de L’Université Laval a placé l’image de son visage dans des banques de reconnaissance faciale. Il a puisé des autoportraits et portraits issus de l’histoire de l’art et d’Internet qu’il a superposés au sien. Sur trois écrans, les images se transforment doucement, passant d’un visage à l’autre en accumulant les couches, à la manière d’un palimpseste hypnotique.
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«Il y a une réflexion sur la construction de l’identité, individuelle et collective. Quelles influences les éléments extérieurs exercent-ils sur elle? Est-elle figée ou en évolution et en métamorphose?» demande Anne-Sophie Blanchet.
Les questions sont lancées et permettent de poursuivre la réflexion après la visite, avec de formidables images en tête.
L’exposition De l’autre côté du miroir est présentée jusqu’au 28 mai, du mercredi au dimanche, de 13h à 17h, au 2608, chemin Saint-Louis. La troupe des Comédiens sans bagage présentera un spectacle déambulatoire dans l’exposition le 9 mars ainsi que les 13, 14, 27 et 28 mai.
Info : Maison Hamel-Bruneau