Le Titanic: une obsession mondiale

Reproduction d’un dessin représentant le naufrage du paquebot Titanic, dans la nuit du 14 au 15 avril 1912 dans l’Atlantique nord, après avoir heurté un iceberg au cours de son voyage inaugural.

Plus de trois millions d’épaves reposent au fond de mers. La plupart sont oubliées depuis longtemps. Un petit nombre retiennent l’attention des scientifiques ou des chercheurs de trésors. Aucune ne fascine autant que l’épave du Titanic. Au moment où une version «remasterisée» du «Titanic» de James Cameron sort au cinéma, LE SOLEIL vous plonge au coeur d’une obsession mondiale. En chemin, vous croiserez un propriétaire rebaptisé «la brute», un ministre nazi et des aventuriers prêts à tout. Nous préférons vous en avertir.


Titanic! Le nom fait frémir. Depuis 110 ans, il rime avec l’horreur, avec la fatalité. L’histoire du navire légendaire a pourtant été racontée plus souvent que celle du Petit Chaperon rouge. Tout le monde la connaît par coeur. À la blague, on dit qu’un être humain comprend deux mots, peu importe ses origines: «Coca-Cola» et «Titanic».

Le 14 avril 1912, vers 23h40, le Titanic percute un iceberg, au large de Terre-Neuve. À première vue, le choc ne semble pas très brutal. À l’intérieur, certains passagers ne se réveillent même pas. Sur le pont, il est possible que des fêtards récupèrent des morceaux de glace pour les mettre dans leur whisky. Que la fête continue!



Hélas, le géant des mers est mortellement blessé. Un problème de taille, quand on sait que les embarcations de sauvetage peuvent accueillir seulement la moitié des gens qui se trouvent à bord. Au début, cela ne pose pas vraiment de problème. Beaucoup de passagers ne croient pas que le navire va couler. Plusieurs embarcations sont mises à l’eau sans être remplies à capacité. (1)

Deux heures et demie après la collision, le Titanic disparaît pourtant dans les eaux glacées. Sur les 2 233 personnes qui se trouvent à bord, 1 517 vont périr. Bientôt, le navire que l’on croyait insubmersible repose à 3 821 mètres de profondeur. 30 fois le Complexe G. (2)

Est-ce la fin? Non, plutôt le commencement. Le Titanic ne sombrera pas dans l’oubli.

C’est la faute d’une brute à foie jaune!

Dès le début, la tragédie enflamme l’opinion publique. Le monde exige des réponses. Les familles réclament que justice soit faite. Pour récupérer les corps des nombreux disparus, une compagnie envisage brièvement d’utiliser de la dynamite pour faire exploser l’épave. On espère ainsi faire remonter les corps à la surface.



Bruce Ismay, le président de la White Star, la compagnie propriétaire du navire, devient l’ennemi public No 1. On le soupçonne d’avoir fait accélérer le navire au milieu des icebergs. Pire, on l’accuse de lâcheté. Comment a-t-il pu se faufiler à bord d’une embarcation de sauvetage? (3) Monsieur est rebaptisé «Brute Ismay». Le «coyote à foie jaune».

Selon les témoignages, le défunt capitaine John Edward Smith passe de héros à zéro. On l’a vu mourir de cinq façons différentes. Un témoin jure qu’il a sauté du navire au dernier moment, avec un bébé dans les bras. Il aurait déposé l’enfant dans une embarcation, avant de plonger vers la mort en disant: «Je vais suivre le navire». (4)

La tragédie contient tout ce qu’il faut pour alimenter un juteux commerce. Controverse. Héroïsme. Drame. Un premier livre sur le Titanic est publié le 22 mai 1912… 37 jours après la catastrophe. La jeune industrie du cinéma n’est pas en reste. Un film intitulé Saved From The Titanic sort… un mois après le naufrage.

L’actrice Dorothy Gibson, une survivante, y joue son propre rôle. Elle apparaît à l’écran avec les mêmes vêtements qu’elle portait le soir fatidique. On parle déjà de... cinéma réalité. (5)

Sets of breakfast dishes from the sunken Titanic (1912) are shown in New York, 25 August 1987, in the position they were found by expedition Titanic 1987. (Photo by AFP)

Contes et légendes du Titanic

De part et d’autre de l’Atlantique, deux commissions d’enquête se penchent sur la tragédie. Elles vont permettre d’améliorer la sécurité maritime. Par contre, elles ne suffisent pas à étouffer les théories du complot. (6)

Certains accusent le banquier J.P. Morgan d’avoir tout manigancé pour faire disparaître trois ennemis, les millionnaires Jacob Astor, Isidor Straus et Benjamin Guggenheim. Une autre théorie prétend que le Titanic n’a pas coulé. C’est son navire jumeau, le Olympic, que les propriétaires auraient sacrifié, afin de toucher les assurances. Pourquoi imaginer un complot simple quand on peut imaginer un complot ultra compliqué? (7)



Déjà, à bord du Titanic, un certain William Stead faisait peur aux passagers en racontant que le navire transportait une momie porteuse d’une malédiction. Au final, le pauvre Stead qui manque de chance. Il meurt dans le naufrage. Ça ne fait rien. Son histoire de momie lui survit. Encore aujourd’hui, on la retrouve sur des sites internet bidon.

Que peuvent les enquêtes officielles contre les rumeurs? Par moment, les responsables semblent dépassés. Aux États-Unis, le sénateur William Alden Smith, qui préside une enquête, fait rire tout le monde avec ses connaissances maritimes rudimentaires. Au commencement, il ne sait même pas ce qu’est un iceberg!

Renflouer le Titanic… grâce au ping-pong

Les années passent. La fascination ne retombe pas. Avec le temps, plusieurs éléments du naufrage entrent dans l’imaginaire. On pense aux musiciens du Titanic, qui jouent des morceaux entraînants, jusqu’au plongeon final. Aucun n’aura survécu. (8)

Très vite, des aventuriers rêvent de récupérer l’épave. Apparemment, il importe peu que sa position exacte soit inconnue. Ou que plusieurs survivants assurent que le navire s’est brisé en deux, avant de couler.

Dès 1914, un architecte de Denver propose d’utiliser des aimants géants pour capturer l’épave. Plus tard, un excentrique veut la ramener à la surface avec des ballons. Un autre envisage d’utiliser 180 000 tonnes de cire fondue et de... vaseline. (9)

Faut-il parler du projet fou qui propose de ramener l’épave en la remplissant de balles de ping-pong? À la blague, un producteur de cinéma dira qu’il serait plus économique «d’abaisser le niveau de l’océan atlantique» pour récupérer le navire.

Le Titanic nazi

Le cinéma entretient la légende. La palme de la bizarrerie revient toutefois au film Titanic, réalisé par l’Allemagne nazie, en 1942. À l’origine, le projet doit démontrer la «cupidité» des capitalistes britanniques. Mais il tourne vite au chaos.

Le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, veut tout contrôler. La facture augmente. Il faut faire venir des soldats du front pour servir de figurants. Les scènes de nuit illuminées, tournées à bord du navire de croisière SS Cap Arcona, constituent un danger permanent, alors que les bombardements aériens se multiplient.



Le réalisateur Herbert Selpin s’impatiente. Il critique le régime nazi. Une faute impardonnable. Emprisonné pour «défaitisme», il est retrouvé pendu dans sa cellule. (10) Finalement, son Titanic ne sortira pas en Allemagne. Après mûre réflexion, Goebbels craint que les images de la catastrophe ne démoralisent le public.

Après le tournage, le navire de croisière SS Cap Arcona est utilisé pour le transport de prisonniers. Le 3 mai 1945, quelques jours avant la fin de la guerre, il est coulé par l’aviation britannique. Les alliés ont cru qu’il était rempli de nazis fuyant l’Allemagne.

Le bilan est effroyable. Entre 4 500 personnes et 7000 personnes ont péri. Plus que lors du naufrage du Titanic. (11)

Qu’est devenu l’iceberg?

Avec le temps, chaque élément du naufrage finit par être analysé. Même l’histoire de l’iceberg est reconstituée. Selon toute probabilité, l’infâme se détache de la côte du Groenland à l’été 1909. Puis il entreprend un long voyage qui le mène vers le sud.

Au moment de la collision, la vie de l’iceberg tire à sa fin. Chaque année, de 15 000 à 30 000 blocs de glace se détachent du Groenland. La plupart disparaissent avant 12 mois. Quelques-uns survivent deux ans. Une poignée atteint sa troisième année. Et de ce nombre, un sur 1000 descend jusqu’à la latitude de New York, là où s’est produit le drame. (12)

Dans son livre «Sinkable», l’auteur Daniel Stone rappelle à quel point l’accident apparaissait improbable. La température de l’eau se situait à peine en dessous du point de congélation. Une température mortellement froide pour un humain, mais dangereusement chaude pour un bloc de glace. «Après trois ans, l’iceberg n’en avait plus pour longtemps. Une semaine. Deux, tout au plus. (…) Si le Titanic était passé une semaine plus tard, il aurait complété son voyage. (…)» (13)

Jack pouvait-il survivre?

Le public veut tout savoir. Comment le Titanic a-t-il coulé? À quelle vitesse? On sait que la proue s’est enfoncée peu à peu. À la fin, le géant s’est quasiment dressé à la verticale, avant de se briser en deux. (14) Chaque morceau a ensuite pris de la vitesse pour toucher le fond à environ 50 km/h. Un impact qui a contribué à éparpiller des objets sur une distance de 40 km² ...

Une simulation du naufrage réalisée par la revue National Geographic:

En 1985, la découverte du Titanic n’a pas diminué la fascination pour la catastrophe. Au contraire. Les premières images de l’épave ont décuplé l’intérêt. Elles ont aussi permis de préciser certaines hypothèses. On peut désormais affirmer qu’il n’y a pas eu «collision» avec l’iceberg. Seulement un puissant frottement. Au moins deux douzaines de jeux vidéos proposent désormais des simulations très réalistes de la catastrophe. (15)

Reste que la science reste divisée quant aux possibilités de survie de Jack, le personnage interprété par Leonardo DiCaprio, dans le «Titanic» de 1997. À la fin, le galant chevalier laisse sa compagne s’allonger sur une porte qui flotte sur l’océan. Immergé dans l’eau glacée, Jack meurt d’hypothermie.



Vingt-cinq ans plus tard, le public s’interroge. Les deux amoureux auraient-ils pu survivre sur leur porte, sans la faire couler sous leur poids? Ici, les avis peuvent diverger. Il faut tout de même mentionner que dans une eau dont la température se situe autour de – 2 ºC, les possibilités de survie ne dépassent pas beaucoup 15 minutes…(16)

Chacun cherche sa réplique du Titanic

Cent douze ans plus tard, le site du naufrage du Titanic n’est plus un endroit totalement inaccessible. Environ 300 personnes l’ont visité. Quitte à débourser 250 000 $ pour contempler l’épave durant une heure, à bord d’un sous-marin miniature. Un couple a même été marié à proximité de l’épave. (17)

Aux alentours, les témoins racontent que l’on aperçoit des canettes de bière, échappées par des navires qui passent à l’endroit précis de la catastrophe. On constate aussi la présence de filets, abandonnés par des expéditions. Des sentimentaux ont même déposé des fleurs de plastique… (18)

Récemment, des experts ont sonné l’alarme. Plusieurs estiment que l’épave aura disparu d’ici 25 ans, dévorée par les micro-organismes. Mais si les choses tournent mal, les fanatiques auront peut-être de quoi se consoler. Avec un peu de chance, ils pourront visiter la réplique du navire dont la construction a commencé en Chine. Sans parler de celle que projette de bâtir un milliardaire australien.

Pour l’instant, la seule réplique grandeur nature attend les visiteurs au milieu de l’État du Tennessee, à plus de 400 kilomètres de l’océan le plus proche. (19)

Contrairement au vrai Titanic, les légendes sont insubmersibles. Et immortelles.

ADVANCE FOR USE SUNDAY, APRIL 8, 2012 AND THEREAFTER - FILE - In this April 1912 file photo, crowds gather around the bulletin board of the New York American newspaper in New York, where the names of people rescued from the sinking Titanic are displayed. It was a news story that would change the news. From the moment that a brief Associated Press dispatch relayed the wireless distress call _ "Titanic ... reported having struck an iceberg. The steamer said that immediate assistance was required" _ reporters and editors scrambled. In ways that seem familiar today, they adapted a dawning newsgathering technology and organized saturation coverage and managed to cover what one authority calls "the first really, truly international news event where anyone anywhere in the world could pick up a newspaper and read about it." (AP Photo)

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Les femmes et les enfants d’abord?

Une légende tenace veut qu’à bord d’un navire en détresse, les embarcations de sauvetage soient d’abord réservées aux femmes et aux enfants. Ce n’est pas toujours exact. La plupart du temps, la chevalerie ressemble à un mythe. En 2012, deux chercheurs suédois ont étudié le bilan de 18 catastrophes maritimes, impliquant plus de 15 000 personnes. Résultat? Lors d’un naufrage, toute proportion gardée, les hommes sont deux fois plus nombreux à survivre que les femmes. Quant aux enfants, leur sort est le moins enviable d’entre tous. À peine 17 % survivent.20 Dans les circonstances, le Titanic fait bonne figure. À tribord, on laisse embarquer tout le monde. À bâbord, on réserve les places aux femmes et aux enfants. Finalement, plus de 80% des passagers masculins du navire ont péri, contre seulement 25 % des femmes. Jean-Simon Gagné

La radio du Titanic

Pour l’instant, environ 6000 objets du Titanic ont été récupérés, au grand dam de ceux qui voudraient l’épave soit considérée comme un «cimetière».21 Jusqu’ici, le seul trésor récupéré est un sac de cuir contenant des pièces d’or et des liasses de billets de banque. Aujourd’hui, l’objet le plus convoité est sans doute la radio sans fil. Après la collision, l’appareil avait transmis de nombreux messages de détresse en code Morse. D’abord, le traditionnel «C.Q.D.» [Come Quick Danger]. Puis le «S.O.S.», un message assez nouveau, créé en 1906. L’appareil se serait éteint brusquement, vers 2h17. Environ trois minutes avant que le navire ne disparaisse. L’un de ses derniers messages signalait que la salle des machines était envahie par les eaux... Jean-Simon Gagné

Notes



(1) Titanic: The Surprising Calm Before the Chaotic Sinking, history.com, 5 novembre 2020.

(2) Daniel Stone, Sinkable: Obsession, the Deep Sea and the Shipwreck of the Titanic, Dutton, 2022.

(3) Titanic: 5 mythes qui persistent plus d’un siècle après le naufrage du mythique navire de passagers, BBC News, 15 avril 2021.

(4) What Was the Titanic’s Captain Doing While the Ship Sank? Hisotry.com, 12 novembre 2020.

(5) Saved, The Real First Titanic Movie, The Los Angeles Times, 2 mars 1998.

(6) Did the Official 1912 Titanic Investigations Go Far Enough? History.com, 18 novembre 2020.

(7) When Did the Titanic Sink Titanic Conspiracy Theory, Popular Mecanics, 22 février 2022.

(8) Could Music have Calmed Passagers as the Titanic Ùsank? BBC News, 19 avril 2012.

(9) Vaseline Can Raise the Titanic, United Press International (UPI), 9 septembre 1985.

(10) The Nazis Ill-Fated «Titanic» film and ship, The Washington Post, 18 décembre 2022.

(11) «Les oubliés du cap Arcona», d’André Laroze, Ouest-France, 31 mai 2005.

(12) The Incredible Story of the Iceberg That Sank the Titanic, Smithsonian Magazine, 16 août 2022.

(13) Daniel Stone, Sinkable: Obsession, the Deep Sea and the Shipwreck of the Titanic, Dutton, 2022.

(14) How the Titanic Was Lost and Found, National Geographic, 22 août 2019.

(15) https://titanic.fandom.com/wiki/Video_games

(16) «Titanic» Director Says New Study Proves Jack Could Not Have Survived, The Washington Post, 20 décembre 2022.

(17) Scientists Warn that Visitors Are Loving Titanic to Death, The New York Times, 9 août 2003.

(18) Celebrating the Titanic by Going to See It, The New York Times, 4 décembre 2011.

(19) https://titanicpigeonforge.com

(20) Chivalry at Sea a «Myth», Swedish Study Shows, phys.org, 12 avril 2021.

(21) À qui appartiennent les restes du Titanic? Le Temps, 11 octobre 2014.