Post-COVID: pour une mobilité supportant les droits des personnes handicapées visuelles

POINT DE VUE / À l’occasion de la Semaine de la canne blanche qui se déroulait jusqu’au 11 février, nous, personnes handicapées visuelles, désirons partager notre réflexion sur les nouvelles manières de concevoir l’espace publique. La COVID a permis des avancées en accélérant le partage des rues et des trottoirs, un urbanisme dit tactique ou participatif.


Or, une partie de ces innovations pose des défis voire des dangers pour nos déplacements sécuritaires.

La conception et l’utilisation de ces espaces s’appuient sur une règle simple: la rue, la place et le trottoir sont modifiés pour une mobilité douce où tout se négocie par le regard entre les personnes y circulant à pied, en voiture comme à vélo ou en quadriporteur. 

Cette règle du partage harmonieux nécessite que la personne la plus vulnérable ait la priorité, ce que les autres respecteront d’un coup d’œil. Cela permet des rues piétonnes où les personnes utilisant vélos, trottinettes et autres nouvelles mobilités électriques non réglementées descendront de leurs engins et deviendront piétonnes. Cela autorise les personnes dans la rue partagée avec des véhicules routiers et des vélos qui cèdent le passage, des pistes cyclables sur les trottoirs comme dans les places publiques.

Pour nous, personnes handicapées visuelles, il est facile de comprendre que la règle du regard est peu utile et anxiogène. Nous déplacer prend une concentration importante, une charge mentale explosant avec des règles suivies au bon jugement de chacune et de chacun. En échangeant avec des personnes vivant avec d’autres limitations, nous constatons que ces environnements les handicapent aussi. Avec une motricité restreinte, comment rapidement se retourner, s’écarter de la trajectoire d’un véhicule ou sauter sur le trottoir. 

Avec des difficultés auditives, le bruit des pneus comme d’une sonnette voire un cri ne permettent pas toujours de voir venir les autres qui pensent que vous les entendez. Les enfants allant à l’école autrement qu’en voiture, les personnes fatiguées par une maladie, une médication ou un traitement, celles rentrant après un repas arrosé ou absorbées par l’écran de leur téléphone intelligent risquent-elles de moins bénéficier de cette confiance aveugle dans la compréhension naturelle de la règle du regard?

Des solutions existent, d’autres se développent, nous y travaillons depuis de nombreuses années avec des partenaires locaux, la Ville de Québec, le RTC et le CIUSSS de la Capitale-Nationale notamment. 

Pour nous, les feux sonores pour gérer nos traversées en sécurité, les dalles podotactiles nous annonçant la transition vers la route, voire des lignes de guidage, complètent des environnements conçus en pensant à notre orientation, façades de bâtiments libres de poteaux et de terrasses, plantation enlignée sur la traversée, éclairage adéquat, etc. Cela prend néanmoins plus. Cela demande la collaboration de tous et chacun, la conscience que sans avoir besoin d’attendre un accident, plusieurs personnes ne circuleront peu ou pas dans ces espaces faute de percevoir qu’elles y sont en sécurité. Cela implique que dans la demande, la conception et l’utilisation de ces aménagements, chacune et chacun se demandent comment y vivre ensemble et nous demande à nous personnes handicapées visuelles notre vécu et notre expertise. Dans une volonté d’efficacité comme par solidarité, notre regroupement croit que cette écoute doit être aussi là pour les autres personnes désirant ne pas être handicapées par l’évolution des environnements piétonniers.

Les règles existent mieux quand nous les appliquons nous-mêmes, cela reste cependant plus exigeant que penser les imposer aux autres. Dans l’évolution de la mobilité, c’est donc le souci des autres, la bienveillance, qui sera la garante de nos droits comme de celui d’autrui.