Dénonciations et programmation: les diffuseurs invités à afficher leurs valeurs

Le président de RIDEAU David Laferrière animait une table ronde sur le harcèlement et les inconduites dans le milieu artistique. (Vidéaste-monteur Frédéric Matte, Le Soleil)

Programmer ou non l’humoriste Julien Lacroix? Voilà le genre de questions qui tracassent les diffuseurs. Même si la pandémie a fait apparaître de nouveaux enjeux dans le milieu culturel, ceux en lien avec le harcèlement et les inconduites n’ont pas été oubliés du Forum 2023 organisé par RIDEAU à Québec.


«Des artistes très connus sont déjà en phase de réintégration, on n'a pas le choix d’aborder ça», déclare le président de RIDEAU David Laferrière, qui est aussi directeur général et artistique du Théâtre Gilles Vigneault et Diffusion En Scène.

«Il y a des diffuseurs qui prennent la décision de réintégrer certains artistes. Ce qui me préoccupe comme président de RIDEAU est de m’assurer que la démarche s’est faite en tenant compte de différents éléments : les parties prenantes, la mission, les valeurs…», déclare M. Laferrière.

Celui-ci coanimait la table ronde Harcèlement et inconduites dans le milieu artistique. Quel est mon rôle? aux côtés de Me Sophie Hébert, directrice des relations de travail chez l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ).

«L’ADISQ se questionne sur ce qu’ils ont vécu», témoigne M. Laferrière en évoquant les vagues de dénonciations sur les réseaux sociaux qui, en 2020, ont notamment ébranlé le milieu artistique québécois.

«Ils ont un grand comité de réflexion en chantier et les résultats de ce chantier vont émerger dans les prochaines semaines», ajoute le président de RIDEAU.

Les trois intervenants de la table ronde de lundi font d’ailleurs partie de ce comité.

Diffuseurs en zone grise

Les enjeux entourant la réintégration ou non d’un artiste ayant fait l’objet de dénonciations publiques étaient au coeur des préoccupations lors de la table ronde du lundi après-midi au Centre des Congrès de Québec. 

Le sujet était vaste et il a soulevé beaucoup plus de questions que de réponses, mais les intervenants ont tout de même proposé quelques pistes intéressantes aux participants qui étaient plus de 200 pour l'occasion.

«Ce n’est pas toujours illégal ce qui est dénoncé», précise d’emblée Catherine Rossi, chercheuse, victimologue et professeure titulaire à l’école de travail social et criminologie de l’Université Laval.

Le mouvement #moiaussi a permis de dénoncer plusieurs formes d’abus de pouvoir qui ne sont pas toutes condamnables par la loi, mais qui ont des répercussions sur la société et les individus.

Dans le système pénal, la manière de procéder avec une personne accusée d’un méfait est claire. En dehors de ce système, les acteurs du milieu culturel naviguent dans une zone grise où l’opinion publique devient parfois une boussole. 

Pourtant, au moment de décider d’accueillir ou non un artiste ayant fait l’objet de dénonciation, le code le plus fiable sur lequel les diffuseurs peuvent se baser est le leur.

Les intervenants ont insisté sur l’importance pour chaque diffuseur de définir ses valeurs et sa mission afin d’attirer les personnes qui partagent leurs valeurs tout en se donnant un point de référence pour refuser les autres. 

Catherine Rossi a aussi invité les diffuseurs à se demander : «Si je maintiens l’événement, est-ce que je suis en train de cacher du harcèlement?».

«Il ne faut pas faire d’aveuglement volontaire», insiste l'avocate et juge retraitée Me Johanne St-Gelais.

«L’inaction est toxique (…) Il faut être proactif et s’entourer», a-t-elle tranché en ajoutant que le diffuseur gagnera en crédibilité en cherchant ce qu’il peut faire à partir de sa position.

Catherine Rossi rappelle qu’un cas de harcèlement ou d’inconduite ne concerne pas seulement la victime et l’accusé. Il y a aussi tous ces gens qui ont ignorés, cachés, encouragés ou normalisé les actions dénoncées. Ces gens, et les observateurs, peuvent maintenant s’impliquer dans la solution.

«La pire chose à faire, c’est faire ça seul», déclare l’éthicien Michel Séguin. 

Comme les autres intervenants, le professeur de l’UQAM encourage les diffuseurs à discuter avec leurs équipes de ces situations impliquant une grande subjectivité et qui continueront fort probablement à être gérées au cas par cas.

En plus des responsabilités des diffuseurs, les responsabilités de l’artiste ont été évoquées à quelques reprises durant cette table ronde.

«La responsabilité de l’artiste est de gérer son image de notoriété, ce n’est pas à l’organisation de le défendre», déclare M. Séguin.