Les paysages textiles de Karine Locatelli et Mylene Raiche à Lévis

Une partie de l’installation <em>318 jours</em> de Mylene Raiche à L’Autre Gare

Dans l’exposition Le vaste et le détail, Karine Locatelli et Mylene Raiche déploient des paysages textiles. En utilisant du feutre industriel, du fil, de la toile de lin ou de la catalogne tissée, elles leur donnent de la texture, du mouvement, de la mémoire et une touchante fantaisie.


Les deux artistes ne s’étaient jamais rencontrées avant de commencer le montage de leur exposition commune à Regart, cette semaine. Pourtant, elles discutent amicalement de leurs techniques, de l’expérience de Karine au Cercle des Fermières dans Charlevoix et de la chasse aux matériaux que mène Mylene dans les usines de Montréal et de la Montérégie.

Elles savent déjà que leurs œuvres développeront des relations de bon voisinage. Issues d’un travail lent et patient, celles-ci sont soutenues par un réseau de lignes vives et nombreuses.

«On aime beaucoup les motifs de la nature, qu’on vient faire en gros plan, ce qui les décontextualise. Ça devient abstrait, et ça mêle un peu les gens», note Karine Locatelli. «Nos pratiques incitent à se perdre dans le détail», acquiesce sa consœur.

Matières en vitrine

Sur le large bord des fenêtres qui donnent sur la rue Saint-Laurent, face à la traverse Québec-Lévis, elles s’affairent toutes deux à marier les matières.

Mylene dispose des découpes de feutre gris, auxquelles elle a donné forme en rassemblant des points avec du fil. Les masses ajourées, nommées Ressac, rappellent le varech et les mouvements de l’eau.

Elles ont été inspirées par son réseau familial disposé autour du fleuve, de la rivière Châteauguay, du lac Saint-Louis et du lac Saint-François. En récupérant, en assemblant et en cousant, l’artiste s’inscrit aussi dans l’héritage de ses grands-parents qui, sur leur ferme, reprisaient et réparaient tout.

Devant l’autre fenêtre, Karine place des impressions sur tissu de photographies argentiques prises en forêt, ainsi que des champignons en porcelaine et en céramique raku. Elle prévoit tendre une toile, où elle a dessiné des chanterelles rehaussées par des touches de jaune orangé, sur un support rond, une forme qu’elle exploite régulièrement.

Les chanterelles sur support rond de Karine Locatelli

«J’aime mettre de l’avant qu’un canevas, que généralement on tend et on peint, est en fait un textile. Il peut être placé au sol de manière organique, être brodé, faire des vagues», expose celle qui aime expérimenter différentes méthodes pour mieux les détourner.

Les failles techniques, dans sa catalogne vert mousse ou sur les photos aux couleurs surprenantes, tachetées de flous, constituent d’émouvants témoignages d’instants précieux et imprévus.

Les grands espaces

Les dessins sur toile de lin de Karine Locatelli sont constitués d’innombrables lignes, courtes et fines. «Je pourrais toujours remplir plus, ajouter des traits. Ils pourraient ne jamais être finis», souligne-t-elle.

Le dessin de Karine Locatelli qui évoque un ciel étoilé

L’un d’eux, aux teintes de mauve et de rouge, évoque un ciel étoilé et la Voie lactée. Un autre, qui s’arrondit au bas du mur pour se répandre au sol, évoque le flanc d’une montagne moussue, irisé de vert — alors qu’il s’agit d’un dépôt à neige, dans un stationnement de la Côte-Nord. Une ambiguïté que l’artiste aime bien cultiver.

«Je poursuis une tradition pleinairiste, qui est typique de la région où j’habite, explique-t-elle. Dans Charlevoix, le paysage est traité de façon pittoresque, on peut enlever les fils électriques, ajouter une petite maison rouge. J’aime faire la même chose avec des paysages qui font partie de notre quotidien, aujourd’hui.»

Le grand dessin sur toile de lin de Karine Locatelli réalisé à partir d’un dépôt à neige

Mylene Raiche travaille aussi la ligne dans ses tableaux de fils, tendus sur des rangées de clous. «J’avais en tête les grandes toiles de Rothko, qui sont composées d’innombrables épaisseurs de peinture. Je voulais faire un Rothko en fil», explique-t-elle.

<em>Éclaircies</em>, des tableaux faits de multitude de couches de fils, de Mylene Raiche

Ces œuvres faites de manière régulière, mathématique et patiente s’appellent Éclaircies, et donnent l’impression d’observer des nuages orageux, percés par des rayons téméraires.

Mylene Raiche, <em>Éclaircie</em> (détail)

L’artiste crée aussi une installation qui évoque un champ de quenouilles. En utilisant du plâtre et des «doilies» (de petits napperons crochetés), elle a réalisé des formes creuses et ondulées qui rappellent des corolles ou des conques, et qui seront placées sur les tiges verticales. Un hommage à la mémoire de frênes abattus sur la terre paternelle, et dont elle a moulé les troncs.

Mylene Raiche, <em>Éclaircie</em> (détail)

De l’autre côté de la rue, dans la grande baie vitrée de l’ancienne gare fluviale, l’installation 318 jours de Mylene Raiche est particulièrement saisissante. Après avoir passé du temps dans le désert du sud-ouest des États-Unis, elle a imaginé d’étranges cocons de feutre suspendus par des fils, dont le relief rappelle les strates géologiques.

Une partie de l’installation <em>318 jours</em> de Mylene Raiche à L’Autre Gare

«Ce qui m’avait fascinée dans le désert est que la terre est à nu, on voit les cicatrices dans le sol, et c’est étrangement semblable à la peau et à la chair de notre propre corps», note-t-elle.

L’exposition est présentée jusqu’au 26 mars au 6018 et au 5995, rue Saint-Laurent, Lévis. Info : centreregart.org

Mylene Raiche présentera son travail, dont une soixantaine de petits dessins, à l’Espace )(Parenthèses du Cégep de Sainte-Foy en avril.