Sondage SOM-Le Soleil | Des ponts à (re)bâtir en culture

L’incertitude économique et l’inflation affectent durement le milieu culturel de la grande région de Québec qui a multiplié les efforts depuis deux ans pour reconquérir une frange du public perdue en raison de la pandémie. Tout au long de la semaine, dans une série d’articles, Le Soleil fera le point avec les responsables de cette industrie, dont plusieurs sont à la recherche de solutions.


Selon un sondage Som-Le Soleil, 80 % de la population dit hésiter beaucoup (34 %) ou un peu (46 %), aujourd’hui, à se procurer des billets de spectacles en raison de leur prix. En outre, dur constat pour le milieu artistique, pour 42 % des gens de la région, rien ne pourrait les inciter à assister à davantage de shows.

«La pandémie a fait découvrir à certaines personnes qu’elles pouvaient se débrouiller pour voir du contenu culturel à la maison, sur leur télé, au même titre qu’elles pouvaient ne pas aller au restaurant et commander plutôt de la bouffe avec UberEats. 

«L’intérêt à faire des sorties a beaucoup ou un peu diminué pour 40% des gens. C’est très parlant» explique Éric Lacroix, vice-président et chef de la stratégie d’affaires à la firme de sondage SOM, appelé à commenter les détails de cette radiographie des habitudes de consommation culturelle dans la région

Selon le sondage, le quart des Québécois prévoit moins dépenser en billets de spectacles en 2023 en moyenne par rapport à la situation prépandémique, soit autour de 200 $. Une statistique qui peut être trompeuse dans la mesure où beaucoup de gens ne dépensent rien en culture, alors que d’autres vont payer davantage qu’avant. «Si on s’en tient seulement aux consommateurs réguliers ou aux boulimiques, la moyenne serait plutôt de 357 $.»

À cet égard, Éric Lacroix explique qu’il faut surtout s’attarder à la médiane qui se situe à 100$ par rapport à 150$ avant la pandémie. «Ça signifie que la moité des gens payent plus de 100$ et l’autre moitié moins de 100$. Les gens qui dépensaient avant n’ont pas recommencé à dépenser au même niveau qu’avant.»

Pour Ghislaine Richard, croisée aux Galeries de la Capitale, l’envie de consommer moins de culture ne l’a toutefois jamais abandonnée. «Je ne suis pas quelqu’un qui va au cinéma, mais du théâtre et surtout des spectacles d’humour, j’aime ça, j’en ai besoin», confie la dame de 77 ans qui trouve aussi grand plaisir à regarder des émissions culturelles sur TV5.

Pour Ghislaine Richard, croisée aux Galeries de la Capitale, l’envie de consommer moins de culture ne l’a toutefois jamais abandonnée.

Au sujet du prix des billets, «c’est vrai que ce n’est pas donné», admet-elle, mais les rabais offerts par la salle Albert-Rousseau, sa salle de prédilection, lui permettent d’économiser sur les spectacles de nombreux humoristes. «Tu peux en nommer, je les ai tous vus...» 

La dame peut aussi compter sur les cadeaux de sa fille du Saguenay, Caroline, qui lui offre régulièrement des billets de spectacles à son anniversaire ou à Noël.

Prix des billets

Que plus des trois quarts des personnes interrogées avouent hésiter à reprendre la route des salles en raison du prix des billets n’étonne pas Éric Lacroix. «L’élasticité du prix consacrée à la culture n’est pas très grande. Ce n’est pas long que l’élastique casse.»

Pour Bernard Tardif, un citoyen du quartier Montcalm rencontré au cinéma Le Clap où il est venu voir le dernier Astérix, le frein qui l’amène à voir plus de spectacles est surtout d’ordre pratique, puisqu’il ne possède pas d’auto. N’empêche, l’argument financier entre aussi en ligne de compte. 

«Je vais souvent au cinéma Cartier, pas loin de chez moi. Le théâtre aussi, une fois par un ou deux mois. Je trouve que les spectacles, ça coûte cher. Je suis allé voir Angèle Dubeau au Palais Montcalm. J’aimerais aller plus souvent au Diamant pour diversifier mes sorties.»

De l’avis d’Éric Lacroix, les passionnés de culture et d’art, les purs et durs, sont pour la plupart retournés en salle. C’est le cas de Suzanne Beaudet, rencontrée au Clap, un endroit qu’elle fréquente environ une fois aux trois semaines. «Je suis allée souvent au Trident, mais plus maintenant. Le théâtre, ça me touche moins, je le déplore, mais j’en lis.» 

Membre des Amis du musée, elle fréquente aussi le Musée national des Beaux-Arts trois fois par année environ. Le prix des billets de spectacles pour voir des spectacles en salle a une influence compte tenu de son budget. «Ça joue un petit peu. Je ne connais pas tous les prix, mais je sais que c’est cher.»

En raison de son champ d’études – la concentration Arts et lettres au cégep Garneau – Migaça Mendonça, 19 ans, fait partie de ces irréductibles qui aiment s’abreuver de culture. Elle vient au Clap une à trois fois par mois, où elle fait souvent la part belle au cinéma québécois. Elle fréquente aussi les musées, ainsi que les théâtres Périscope et La Bordée, mais «moins qu’avant» en raison du prix des billets.

Vide à combler

Suzanne Beaudet, rencontrée au Clap, fréquente l'endroit environ une fois aux trois semaines.

Selon Éric Lacroix, la tranche du public qui confie avoir plus ou moins d’intérêt à assister à un spectacle n’y allait pas de toute façon. «Ce n’est pas une catastrophe, ce n’est pas un public qui était là avant. Je pense que le défi est de ramener l’ancien public, celui qui n’est pas revenu et qui fait la différence dans la diminution d’achalandage. 

«Ils sont peu nombreux, ils n’y vont pas souvent, mais quand ils ne sont pas là du tout, il y a un vide à combler. C’est là que se situe l’enjeu pour l’industrie des arts et spectacles à Québec.»

Par ailleurs, la peur de contracter la COVID demeure un facteur négligeable dans les motifs pour ne pas assister à un spectacle. Seulement 12% hésitent beaucoup pour cette raison (28% un peu). À 18%, les 65 ans et plus sont de toute évidence plus craintifs.

Scolarité et revenu familial

En raison de son champ d’études – la concentration Arts et lettres au cégep Garneau – Migaça Mendonça, 19 ans, fait partie de ces irréductibles qui aiment s’abreuver de culture.

Une analyse plus pointue des données démontre que la scolarité du client a une influence sur sa fréquentation des salles de spectacles. Seize pour cent des détenteurs d’un diplôme d’études secondaires ou professionnelles disent ne pas être intéressés du tout, contre seulement 3% des diplômés universitaires. 

«Étonnamment, précise Éric Lacroix, au niveau du revenu familial, la plus forte proportion de gens qui se disent pas intéressés se situe dans la tranche entre 75 000$ et 100 000$.»

C’est sans «grande surprise» que le sondeur a découvert que les personnes sondées se disent consommateurs occasionnels (65%) ou réguliers (24%) de culture. Un habitué de séries sur Netflix, explique-t-il, ne s’identifiera pas nécessairement comme un consommateur d’arts et spectacles, un terme qu’on perçoit «comme destiné à l’élite et qui sonne plus OSQ qu’un show de Jean-Michel Anctil.»

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Méthodologie : Le sondage a été mené du 12 au 16 janvier 2023 auprès de 1275 adultes québécois francophones de la région métropolitaine de recensement (RMR) de Québec. L’échantillon a été tiré principalement du panel or de SOM, lequel est constitué d’individus recrutés de façon aléatoire par téléphone (fixe et cellulaire). Un panel externe a aussi été utilisé.

Les données ont été pondérées pour refléter au mieux les caractéristiques de la population selon l’âge, le sexe, la taille du ménage, la scolarité, le logement (propriétaire/locataire) et le secteur géographique. La marge d’erreur maximale, pour l’ensemble des répondants, est de ± 3,8%, 19 fois sur 20.