Travailler dans «l'odeur de la mort»

Roger Vigneault dirige l’escouade qui intervient lorsqu’il y a eu un crime, un suicide ou une mort naturelle.

MÉTIERS INUSITÉS / «En arrivant sur les lieux du drame, j’ai senti l’odeur de la mort sur le trottoir. J’ai été malade pendant l’intervention. Encore maintenant, je vous en parle et je la sens.» Le Soleil vous présente une série de reportages sur des métiers inusités. Aujourd’hui, nettoyeur de scène de drame.


Roger Vigneault se souvient parfaitement de ses premiers nettoyages. «L'un de mes premiers cas était un décès naturel. Une personne âgée qui avait été retrouvée morte plusieurs jours plus tard. L’odeur était tellement imprégnée qu’ils ont été obligés de détruire la maison», raconte-t-il. 

Il n’oubliera pas non plus son premier crime. «C’était en Beauce, un père qui avait abattu ses enfants. C’était assez intense. C’est atroce l’odeur du sang et une scène de crime, ça parle», confie-t-il. 

Monsieur Vigneault travaille pour Qualinet depuis 20 ans. Il a occupé tous les postes avant de devenir directeur des opérations. Il encadre l’escouade qui intervient lorsqu’il y a eu un crime, un suicide ou une mort naturelle. Leur mission : faire disparaître toute trace de l'évènement tragique. 

«À Québec, on reçoit 2 à 5 appels par semaine. Et pendant le mois de novembre, on peut recevoir jusqu’à huit requêtes par semaine. C’est un mois où il y a généralement plus de crimes et de suicides», explique-t-il. 

Pas pour tout le monde

L’escouade spécialisée de Qualinet est composée d’une équipe de 12 à 14 personnes. «Actuellement, nous avons huit femmes et six hommes, dont deux sont à temps partiel parce qu’ils sont étudiants», indique-t-il.

Des membres de l'escouade nettoyage de scène de drame de Qualinet.

Les personnes embauchées par Qualinet doivent faire preuve d’empathie et de minutie. La discrétion est une qualité obligatoire. Il est interdit de rentrer sur un lieu avec un cellulaire. Chaque salarié signe une entente de confidentialité.

M. Vigneault reçoit de nombreux CV de personnes intéressées à devenir nettoyeur de scène de drame. «Environ 90 % disent qu’ils veulent intégrer l’escouade pendant les entrevues.» 

Mais dès la première heure de formation, il en perd déjà une bonne partie. «Il n’y a pas l’odeur, mais on montre des photos et les aspects de la scène», mentionne-t-il. À la fin de la formation, 60 % ne souhaitent plus opérer sur les lieux d’un drame.

La première fois, les recrues sont accompagnées d’un superviseur. Dans la majorité des cas, les nouveaux vont être malades. Et plus de la moitié ne reviendront jamais sur une intervention. 

«Lors d’un drame familial, on reste marqué par l’odeur. C’est psychologique. Il n’y a plus les corps, mais il peut rester des éléments comme un bout de cervelle ou un œil», relate le directeur.

Même si la situation peut retourner l’estomac, Roger Vigneault conseille de ne pas arriver avec le ventre vide. «Il faut au moins manger un fruit ou une barre tendre. Ça aide pour la respiration».

Hanté par des scènes 

Le travail est difficile, mais nécessaire, estime Roger Vigneault. «Les gens nous voient un peu comme des super héros. Ils nous apprécient. On fait disparaitre une scène d’horreur. Lorsqu’on arrive quelque part avec notre équipement, ça frappe l’imaginaire.»

Les produits pour le nettoyage et la décontamination d'une scène de crime. 

Pour exercer ce métier, «ça prend une carapace», insiste M. Vigneault. «On essaye de ne pas se mettre dans l’histoire et de ne pas chercher à comprendre ce qui s’est passé.»

Malgré son expérience, Roger Vigneault ne s’en cache pas : certaines scènes de crime reviennent le hanter. «Je suis père de quatre enfants et grand-père deux fois. Il y a des choses qu’on peut difficilement oublier.»

«Une autre fois, quand je suis rentrée dans la maison d’une mère assassinée par son fils autiste. J’ai vu le chemin du drame et le parcours de la dame qui essayait de se sauver», se remémore-t-il. 

Parfois, un arrêt de travail est nécessaire pour faire le vide et se récupérer du choc. «Lors d’un drame familial dans deux résidences, l’une de nos employées avait un enfant du même âge. Elle a mis six mois avant de retourner sur une scène de crime.»

Qualinet a mis en place une procédure pour accompagner chaque intervention. Le lendemain, une rencontre d’équipe est organisée où chacun peut parler de ce qu’il a vu et vécu. 

Au fil des années, l'équipement porté par les spécialistes et les produits utilisés ont évolué. Les professionnels ont également plusieurs petits trucs pour limiter l’odeur. «On se met du Vicks en dessous du nez. On a des masques à cartouche, mais ça reste du sang ou des excréments à nettoyer. Il faut éliminer les matériaux qui ont été contaminés.»