M. Cliche, je vous remercie pour l’attention que vous avez accordée à notre rapport dans Le Soleil du 25 janvier. Les effets de la consommation d’alcool sur la santé des gens est un sujet complexe et méconnu qui mérite d’être discuté.
Dans l’article que vous avez consacré au sujet, certaines informations rapportées sont toutefois incomplètes. D’autres sont erronées. Je souhaite attirer votre attention sur trois points en particulier: 1) les recommandations des autres pays; 2) les maladies retenues et 3) les méta-analyses utilisées.
Les recommandations des autres pays
Vous écrivez «[…] les lignes directrices que le Royaume-Uni a révisées en 2016 et celles publiées par l’Australie en 2020 — travaux que le CCDUS a pourtant pris comme point de départ — recommandent de s’en tenir à deux verres par jour». C’est faux.
Au départ, il faut rappeler qu’au Royaume-Uni, un verre standard équivaut à 8 grammes d’alcool. En Australie et en France, un verre équivaut à 10 grammes d’alcool. Au Canada, un verre standard contient 13,45 grammes d’alcool.
Une fois ces équivalences prises en compte, les faits sont les suivants:
- au Royaume-Uni, on recommande de s’en tenir à 8,3 verres par semaine;
- en France, c’est 7,4 verres par semaine; jamais plus de 1,5 verre par jour;
- en Australie, on recommande 7,4 verres par semaine; jamais plus de 3 verres par jour.
En ce sens, notre limite modérée de 6 verres par semaine et notre recommandation de ne jamais prendre plus de 2 verres par jour sont en tout point comparables aux limites des trois autres pays qui, comme nous, ont utilisé la modélisation mathématique pour produire leurs directives de consommation à faible risque.
Les maladies retenues
Vous répondez à M. Gagnon qu’il a raison de penser «que certains de ces problèmes sont rares et que même si l’alcool en accroît beaucoup le risque, l’effet final sera faible à l’échelle d’une population entière». Vous poursuivez en notant qu’en faisant la somme de tous les risques, «l’effet total devient légèrement négatif dès la 2e consommation par semaine». La réponse est bonne, mais incomplète.
À la question de M. Gagnon, il aurait été juste et probablement plus rassurant de répondre que la modélisation mathématique a tenu compte de la prévalence de chaque maladie. Les maladies les plus prévalentes sont celles qui ont eu le plus de poids sur les résultats des analyses. Par exemple, le cancer du sein, le cancer colorectal et les maladies cardiaques, à cause de leur prévalence élevée, auront plus d’impacts sur les résultats que le cancer du foie. Ceci s’explique parce que même si l’alcool est la cause directe de cette maladie dans une très grande proportion des cas, cette maladie demeure relativement rare au sein de la population.
Un peu plus loin, vous écrivez que le CCDUS «inclut en effet dans ses calculs certains inconvénients de l’alcool sans égard au contexte, comme un risque accru de décéder de la tuberculose, ce qui n’est pas particulièrement pertinent dans un pays comme le Canada». C’est faux.
Tel qu’expliqué ci-dessus, la modélisation a tenu compte de la prévalence et donc du risque de décéder, dans un pays comme le nôtre, de la tuberculose. Je souligne au passage que le fait que la modélisation tienne compte du contexte explique d’ailleurs pourquoi chaque pays doit faire ses propres analyses pour établir ses repères liés à l’alcool.
Les études consultées
Vous reprenez les reproches de Dan Malleck en rapportant que «les auteurs n’ont fondé leurs conclusions que sur 16 «méta-analyses». C’est une conclusion tendancieuse qui néglige de préciser la méthodologie retenue, et donc la raison pour laquelle nous avons dû sélectionner une seule méta-analyse par condition que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établie comme étant causée par l’alcool.
Pour le projet, nous avons répondu à nos questions de recherche au moyen d’une modélisation mathématique. Cette méthode avait déjà été utilisée pour établir les directives de 2011, les directives de l’Australie, du Royaume-Uni et de la France. Depuis 2016, le Joint Action on Reducing Alcohol-Related Harm de l’Union européenne recommande ce type de méthode pour établir les directives sur la consommation d’alcool.
Or, la modélisation exige des fonctions de risque de mortalité lié à l’alcool pour toutes les catégories de maladies ou de blessures attribuables à la consommation d’alcool. Plus précisément, la modélisation exige l’identification d’une et une seule étude systématique par condition. Ainsi, la qualité de la modélisation dépend de la qualité des fonctions de risque, et donc de l’identification, pour chaque condition, de la meilleure méta-analyse produite à ce jour.
Pour faire ce travail d’identification, nous avons utilisé deux outils de renommée internationale: l’outil AMSTAR 2 et l’outil GRADE. Ce sont les outils qui ont été utilisés par les Australiens et qui nous ont été recommandés par l’Agence de Santé publique du Canada qui nous a conseillés tout au long de ce projet. Le fait que nos analyses soient fondées sur 16 méta-analyses n’indique pas un biais de notre part, mais dénote plutôt la rigueur et la qualité de nos choix méthodologiques.
Pour toutes ces raisons, je me permets de vous communiquer mon malaise face à votre verdict qui risque de désorienter la population.