L’action collective contre les Frères Maristes autorisée

Le palais de justice de Québec

Une autre action collective de grande ampleur contre une congrégation religieuse, celle des Frères Maristes, est autorisée par la Cour supérieure du Québec. Plusieurs dizaines de victimes alléguées veulent être compensées pour de multiples agressions sexuelles subies dans des écoles et collèges, notamment à Québec et dans Charlevoix. 


Dans une décision rendue mardi, le juge Sylvain Lussier accepte d’autoriser le recours à la grandeur du Québec contre les Frères Maristes ainsi que les Oeuvres Rivat, le Fonds Arthur-Caron, la Fondation Mission Maristes et le Fonds Bedford, des entités qui administrent l’argent de la congrégation.

Au 20e siècle, les Frères Maristes étaient présents dans des dizaines d’écoles et d’organismes de loisir dans plusieurs diocèses de la province, notamment ceux de Québec, Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Chicoutimi, Rimouski et Gaspé.

Le recours sera porté par un homme aujourd’hui âgé de 70 ans, identifié comme B., qui allègue avoir été agressé sexuellement pendant 7 ans par le Frère Mariste Athanase Fortin, conseiller en orientation dans plusieurs écoles de Baie-Saint-Paul et Clermont, dans Charlevoix. Fortin, aujourd’hui décédé, est décrit comme un homme très charismatique, estimé des parents et des élèves.

Le Frère Fortin aurait agressé sexuellement B. ainsi que son frère lorsqu’il prétextait leur montrer à conduire sur des petites routes rurales de Baie-St-Paul. Il aurait aussi convoqué B. à plusieurs reprises dans sa chambre, à l’école Baie-St-Paul, pour lui faire supposément passer des tests d’aptitudes. L’adolescent aurait plutôt été forcé à des gestes de masturbation.

Le frère Fortin aurait été confronté à une occasion par le Père directeur de l’école, mais ce dernier n’aurait rien fait pour protéger B.

Le frère Fortin aurait continué à amener des jeunes avec lui en camping à Manic-5 et à l’Expo 67, commettant des agressions sexuelles à répétition, selon le demandeur.

Le Frère Athanase Fortin a fini par être transféré par l’Institut des Frères Maristes dans la région de la Gaspésie où il a continué son travail de conseiller en orientation auprès des jeunes.

B. n’a jamais réussi à aller à l’université et a longtemps combattu une dépendance à l’alcool. Il dit n’avoir jamais confié à sa conjointe et à sa famille avoir été victime d’agressions sexuelles répétées parce qu’il en a encore honte.

B. réclame 950 000$ à titre de dommages. Chaque membre du recours pourra aussi faire une réclamation en cas de condamnation. Le groupe demandera également à la Cour d’imposer des dommages punitifs de 20 millions de dollars.

D’autre victimes

Toujours dans les années 1960, un garçon de Clermont dit aussi avoir été agressé sexuellement par le Frère Mariste Athanase Fortin. Les agressions sexuelles auraient eu lieu plusieurs fois par semaine tout au long de sa sixième année.

Une autre victime dit avoir été agressée sexuellement entre 1953 et 1955 par un Frère Jean qui enseignait à l’école Boudreau de Québec. Le religieux aurait dit à la fillette de 7 ans que sa mère allait perdre son emploi de cuisinière à l’école si elle le dénonçait.

Pour soutenir sa décision d’autoriser le recours, le juge Sylvain Lussier de la Cour supérieure note que les gestes allégués décrits, «malheureusement caractéristiques de plusieurs actions en responsabilité contre les congrégations religieuses, soulèvent plusieurs aspects communs».

Chacune des victimes d’agressions sexuelles «était vulnérable face à l’autorité, au pouvoir et au contrôle du religieux des Frères Maristes de par son statut de «Frère» ou de «Père» qui lui a été conféré par l’Institut, l’élevant au rang de «représentant de Dieu»», écrit le juge.

Plus de 160 millions de $ transférés dans des Fonds

La congrégation des Frères Maristes a voulu faire retirer du recours ses Fonds Arthur-Caron et Bedford. 

Les avocats des victimes soutiennent que la congrégation a transféré plus de 160 millions $ dans ces Fonds afin de se soustraire à son obligation d’indemniser les victimes d’agressions sexuelles.

La congrégation des Frères Maristes affirme que ces Fonds, créés en 1999 et 2004, ne servent qu’ à gérer les avoirs des religieux et n’ont pas de liens de droit avec les victimes alléguées, car ils n’ont pas été impliqués dans des projets éducatifs ou de loisirs auprès des enfants.

Le juge Lussier rejette l’argument des Frères Maristes : les deux Fonds et leurs 160 millions $ resteront comme défendeurs au recours pour le moment. «Les liens factuels et juridiques entre les différentes défenderesses sont trop étroits pour permettre de ne pas autoriser l’action à l’égard de chacune d’elles», estime le juge.

Tous solidaires en cas de condamnation

Aussi, le juge Lussier affirme que si le recours est éventuellement accueilli, les défenderesses pourront être condamnées de manière solidaire. «En l’espèce, ce ne sont pas les seuls frères agresseurs à qui le demandeur reproche leur conduite, mais aux autres membres de la congrégation qui les ont sciemment protégés et mutés et qui ont manoeuvré pour mettre les biens de la congrégation à l’abri de leurs créanciers, engageant ainsi possiblement la responsabilité des autres personnes morales de la congrégation», évalue la Cour.

Pour l’instant, le recours est inscrit dans le district de Saint-Jean-sur-Richelieu, où se trouve le siège social de la congrégation des Frères Maristes. Il n’est pas exclu que les procédures puissent avoir lieu à Québec ou à Montréal.