Le film a été projeté dimanche à Rimouski, dans la ville où il a pris forme, il y a quatre ans. L’événement a réuni plus de 150 personnes dans la Salle Desjardins-Telus, dont plusieurs membres de la famille et des amis d’Adam Pajot Gendron, décédé accidentellement le 5 août 2021, alors que la production du documentaire était avancée. «Adam n’aurait pas voulu qu’on laisse tomber les réalisateurs avec qui il travaillait, murmure Gabrielle Dion, la voix étranglée par l’émotion. Adam me parlait beaucoup de Guillaume. Sa rencontre avec Guillaume a été un coup de coeur pour lui. Il avait une fascination pour lui. Ça a fait écho en moi.»
L’idée de départ
L’idée de départ a surgi un soir d’hiver, alors que Guillaume Duval attendait le traversier sur l’Isle-aux-Coudres. Il a demandé à quelqu’un ce que les gens de l’endroit faisaient, l’hiver. «La patinoire réunit beaucoup de monde», lui a-t-il répondu. Ces paroles ont ainsi réveillé sa mémoire affective et ont répondu à une question qu’il se posait depuis longtemps. «Qu’est-ce que représente la culture québécoise et le fait d’appartenir à un pays? s’est-il interrogé. Comment cela se définit-il?» Il a donc vu, à travers les patinoires, une manière concrète qui lui permettrait d’aller à la rencontre des gens et du pays, l’appartenance à un quartier, à une communauté partout au Québec, au-delà des langues, des religions, des idées politiques.»
Une rencontre déterminante
Guillaume Duval a, en 2018, fait la rencontre du producteur Adam Pajot Gendron, pour qui l’idée de base du documentaire lui plaisait. «Ça a cliqué, se souvient-il. Il avait sa vision du film et moi, j’avais la mienne. À partir de là, le film a suivi son cours.»
L’hiver suivant, le cinéaste est parti à la recherche d’images et de personnages. «Je suis allé où des gens pouvaient m’accueillir parce que je n’avais pas d’argent. Pour me faciliter les choses, Adam me prêtait parfois du matériel et le véhicule de Tortuga. Il m’hébergeait aussi. Ça m’a donné le coup de main qu’il me fallait pour aller en développement. L’hiver d’après, on a pu aller tourner et faire un démo.» Radio-Canada a accepté de télédiffuser une version de 52 minutes du documentaire.
Deux semaines avant son décès, le producteur avait reçu l’aval de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le financement. En apprenant la mort d’Adam Pajot Gendron, le réalisateur s’est donné le temps nécessaire pour absorber le choc. «Puis, quand Gabrielle m’a dit qu’elle avait l’intention que le film se fasse, ça me dépassait un peu.» En même temps, cette nouvelle le rendait heureux. Sachant qu’il avait le financement pour poursuivre son projet et qu’il y avait investi tellement de temps, il n’avait vraiment pas le goût d’abandonner. «Gabrielle a mis les choses en place pour que ça se passe et on est allé de l’avant avec le tournage.»
De Montréal à la Gaspésie, en passant par la Côte-Nord
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Sa quête d’images et d’histoires à raconter l’a conduit de Montréal à Gaspé, en passant par la Côte-Nord. Ses choix se sont arrêtés sur les quartiers Villeray et Rosemont à Montréal, sur Sainte-Anne-des-Monts et Cap-Seize en Haute-Gaspésie ainsi que dans la communauté innue de Pessamit, sur la Côte-Nord. «Je voulais créer un dialogue entre différentes réalités qu’on a au Québec, entre un milieu urbain et un milieu rural, puis incorporer aussi la parole d’une communauté autochtone.»
Les choix de l’artisan du septième art originaire de Saint-Jean-sur-Richelieu ont aussi été faits en fonction de son attachement aux personnages qu’il a rencontrés sur sa route. S’ils peuvent nous sembler singuliers, Guillaume Duval a porté une attention particulière à ce que la représentation de ces personnages ne tombe dans les clichés. «Si on les met dans le contexte de leur vulnérabilité, de leur sens de l’humour, de l’amour qu’ils ont à donner dans leur passion, leurs couleurs particulières deviennent attachantes et non pas caricaturales.»
Celui qui détient une maîtrise en théâtre se défend bien de dire que son film en est un sur le hockey. «Les patinoires sont un prétexte pour faire des portraits humains, pour créer un dialogue entre les régions, pour faire découvrir des communautés, de passer par une tradition, un rituel dans lequel on se reconnaît et qui nous unit pour parler des gens. C’est aussi aller chercher la mémoire affective, le côté sensible que ces lieux représentent pour permettre aux gens de se dévoiler.» Il admet d’ailleurs que la difficulté de la distribution est justement attribuable à l’image de hockey qui vient avec le mot «patinoire».
Si «Les joueurs d’hiver» est le premier long-métrage de Guillaume Duval, il ne sera pas son dernier. «J’ai commencé à mettre sur la table les pièces du puzzle pour un prochain film.»
Le rideau tombe sur Tortuga Films
Avec le film «Les joueurs d’hiver» tombe le rideau sur la maison de production rimouskoise Tortuga Films. «C’est un beau thème pour terminer le travail de Tortuga et d’Adam, croit Gabrielle Dion. Adam était quelqu’un de foncièrement heureux et aimant. Le film cadrait très bien avec lui.»
Néanmoins, la tâche n’a pas été simple pour l’avocate, la boulangère et la maman de jeunes enfants qu’elle est. «Ça a été une école que je n’avais pas envie de faire, pour être honnête. Je ne connaissais rien là-dedans. Je n’ai pas envie d’être productrice dans la vie! Mais, quand on perd quelqu’un qu’on aime aussi subitement, il y a ce désir de donner du sens à ce qui n’en a pas.»
Avec cette projection, où elle a pleuré tout le long, Gabrielle cherchait à rendre hommage à son amoureux disparu trop vite à l’aube de ses 40 ans. «J’avais besoin de faire une boucle pour souligner son parcours et sa vie.»
Pour Guillaume Duval, ce film est en quelque sorte un legs d’Adam. «C’est un élan qu’il m’a donné. Il y a un impact important qui va peut-être changer le cours de ma vie et c’est lui qui m’a donné cette chance. Ce n’est pas vain.»
Parlant de legs, Gabrielle Dion estime que, malgré la tragédie, ses enfants sont privilégiés d’avoir eu un papa qui leur a laissé une œuvre matérielle aussi forte. «C’est riche, ce qu’il laisse. Il y a quelque chose de puissant d’avoir eu un papa artiste.»