Il est vrai que «manger de l’écorce» est un comportement que l’on associe plus spontanément au castor qu’à l’écureuil. Après tout, celui-ci ne ronge pas les troncs d’arbres pour les abattre !
Et il est aussi vrai que les écureuils se nourrissent principalement de noix et de graines. Mais leur diète inclut aussi une liste aliments dont la longueur pourrait étonner ceux qui les croient exclusivement granivores : fleurs, bourgeons, jeunes pousses, insectes, champignons, petits fruits, etc.
Les écureuils sont même des «prédateurs de nid» notoires qui mangent volontiers les œufs laissés sans surveillance. Pour tout dire, ils ne crachent pas non plus sur de la viande quand ils en trouvent.
Et oui, il leur arrive d’arracher l’écorce des arbres. Quand ils le font au printemps, on peut supposer qu’ils cherchent à boire la sève qui remonte du sol — ils aiment bien l’eau d’érable, d’ailleurs.
Mais M. Robert m’a envoyé sa question ce mois de janvier, alors il faut présumer que «ses» écureuils s’intéressaient plutôt à la couche de tissus vivants par où passe la sève, juste en dessous de l’écorce. Tant l’écureuil gris de l’Est (de son nom complet) que l’écureuil roux en mangent à l’occasion.
Professeur retraité de biologie à l’UQAM, William Vickery ajoute qu’il est aussi possible que ces animaux aient voulu récolter un peu d’écorce pour la «literie» de leurs propres nids, ou qu’ils aient tout simplement voulu gruger quelque chose, comme les rongeurs le font souvent pour assurer la santé de leurs dents.
En fait, les raisons qui poussent les écureuils à arracher de l’écorce, parfois jusqu’à endommager sévèrement un arbre, ne sont pas encore totalement claires, lisait-on dans une étude en prépublication (donc à considérer avec prudence) dirigée par le chercheur de l’Université de Southampton Christopher P. Nichols, qui a publié plusieurs articles sur cette question.
Pour certaines espèces comme l’écureuil d’Abert (qui vit dans le sud-ouest des États-Unis), il a été établi qu’ils ne mangent de l’écorce qu’en dernier recours en hiver, quand leurs autres sources de nourriture ont été épuisées.
Il semble que ce soit le cas aussi pour l’écureuil roux d’Amérique. Une étude menée en Colombie-Britannique et parue en 1993 dans Ecological Applications a en effet trouvé qu’en laissant régulièrement de bonnes quantités de graines de tournesol dans des peuplements forestiers, les dommages faits aux arbres étaient réduits par un facteur 5.
(Je remercie au passage le prof de l’Université Laval Marc Mazerolle de m’avoir référé cet article, j’aurais eu bien du mal à le trouver sans lui !)
Mais d’autres espèces, notamment l’écureuil gris de l’Est, ont été vues en train d’arracher de l’écorce à des moments de l’année où la nourriture abonde, si bien que le comportement pourrait être motivé, chez elles, par d’autres choses que l’alimentation.
Ravages mystères
L’écorçage peut causer des dégâts importants n’importe où mais, fait intéressant, le problème ne se pose pas avec la même acuité partout dans le monde. C’est sans doute en partie parce que, comme on vient de le voir, les différentes espèces d’écureuil ne s’y adonnent pas toutes également. Mais une même espèce peut provoquer des ravages très inégaux selon l’endroit où elle est.
L’écureuil gris de l’Est, par exemple, est une des espèces qui est connue pour arracher de l’écorce assez souvent. Mais dans son aire de distribution naturelle — soit l’est de l’Amérique du Nord —, tout indique que les dommages restent somme toute modestes.
Ainsi, dans une vieille publication du Service canadien de la faune (1990) sur ce petit rongeur, il n’était nulle part fait mention d’écorce arrachée parmi les «signes» (traces dans la neige, nids de feuilles, etc.) qui trahissent sa présence.
Or en Grande-Bretagne, où l’espèce a été introduite au XIXe siècle, ce même écureuil gris de l’Est arrache tellement d’écorce qu’il est considéré comme une nuisance majeure pour l’industrie forestière. Dans certains endroits, des études ont observé que plus de la moitié des hêtres (une des essences les plus visées) vivants sont «sévèrement endommagés», et c’est sans compter que l’écorçage en a tué un nombre substantiel.
Pas tout à fait le même genre de «signes» de présence qu’ici, mettons...
On ne comprend pas bien pourquoi l’écureuil gris de l’Est fait de tels ravages en Grande-Bretagne — notons qu’il cause aussi pas mal de dégâts en Colombie-Britannique, où il est également une espèce invasive. Hormis l’alimentation, d’autres hypothèses ont été avancées, notamment l’idée qu’après des rencontres belliqueuses avec d’autres écureuils, mordre de l’écorce permettrait de faire passer l’agressivité.
Notons aussi que, d’après un rapport de 2003 de l’European Squirrel Initiative, l’écureuil gris de l’Est compte très peu d’ennemis naturels en Grande-Bretagne, en tout cas beaucoup moins qu’en Amérique du Nord, où il figure sur le menu de beaucoup de rapaces, reptiles et mammifères (renard, coyote, martres et belettes, raton laveur, etc.).
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