Québec passe le million d’habitants et déjoue le «choc démographique»

CHRONIQUE / La grande région de Québec vient discrètement de franchir le seuil symbolique du million d’habitants.


Pour une région que les démographes condamnaient au déclin il y a 20 ans, Québec s’en est bien tirée. Elle a continué à vieillir, mais moins vite qu’on le redoutait.

Fait important passé sous les radars : la cohorte des 0-19 ans est en hausse depuis 20 ans et a battu les prévisions de 2001 par 30 %. Un écart deux fois plus grand que pour l’ensemble de la population (15 %).

Rien de comparable au baby-boom de l’après-guerre. Mais une embellie dans l’image qu’on s’était faite d’une ville dans l’antichambre du CHSLD.

La région de Québec (9 MRC) comptait 1 010 000 habitants en 2022 selon la plus récente estimation de l’Institut de la statistique du Québec.

Le décompte inclut Portneuf, Bellechasse et Lotbinière. Ces MRC me semblent être dans la zone d’influence Québec-Lévis. Leurs citoyens y viennent pour le travail, les études et pour se divertir.

J’aurais pu me limiter à un territoire plus petit. J’ai préféré ratisser plus large pour refléter cette réalité.

Nous voici donc millionnaires!

Un peu plus tard que dans les projections des années 60-70 qui annonçaient ce million pour l’an 2000.

La projection démographique n’est pas une science exacte. Pas faute de méthode ou de rigueur, mais parce que les réalités changent : décisions politiques, programmes publics, crises internationales, pandémies, technologie, nouvelles valeurs, etc.

Les garderies ont mené plus de femmes que prévu sur le marché du travail. Dans les années 2000, l’économie de Québec s’est envolée.

Les fêtes du 400e ont dopé le moral des citoyens, ce qu’on ne pouvait pas prévoir. Cela a coïncidé avec le début d’un mini baby-boom. Voyez comme tout est dans tout.

Il y a 20 ans ces jours-ci, en janvier 2003, Québec a été ébranlée par la parution du rapport Le Choc démographique.

L’Institut de la statistique du Québec y prédisait le déclin de la population de la région Québec à partir de 2019.

Québec continuerait à vieillir, disait le rapport. Probablement plus vite qu’ailleurs à cause de sa faible croissance naturelle (naissances moins les décès) et d’une piètre immigration internationale.

Autre mauvaise nouvelle, la démographie allait plonger Québec dans une pénurie de main-d’œuvre.

Déjà en 2003, des entreprises de nouvelles technologies commençaient à en souffrir, mais nous n’en avions pas encore pris la mesure.

Replaçons-nous dans le contexte.

Québec émergeait d’une période de morosité sociale et économique. Elle pleurait encore ses Nordiques et ses échecs olympiques.

Il flottait sur la ville une odeur de purin (les mots du maire L’Allier).

Les fusions municipales de 2002 et la diversification de l’économie n’avaient pas encore donné de résultats tangibles. Difficile d’imaginer l’avenir en rose dans cette région qui ne savait même plus faire d’enfants.

Le rapport initié par la Commission de la Capitale nationale (CCN) visait deux choses : dresser l’état des lieux et éclairer les décisions politiques.

C’est tout le «modèle québécois» qui est menacé, s’inquiétait alors Force Jeunesse, un groupe de jeunes entrepreneurs présidé par un certain Jean-François Roberge.

Des étudiants pressaient le Parti québécois d’agir pour éviter que les générations futures portent le poids du vieillissement. Sinon, il faudrait couper dans les programmes sociaux et privatiser des services publics.

Lors d’un colloque post-Choc à l’automne 2003, l’éditeur du Soleil, Alain Dubuc, avait parlé d’un «énorme problème démographique». Cela «compromet l’avenir de la ville et sa capacité de poursuivre son essor», percevait-il.

«Il y a un choc démographique. Il faut éviter qu’il devienne un flop démographique».

Vingt ans plus tard, que reste-t-il de ce Choc démographique?

Je suis retourné au rapport et demandé de nouvelles statistiques.

J’en ai retenu cinq indicateurs.

1. Le «déclin» de la population

On le savait, mais les données les plus récentes le confirment : Québec a échappé aux sombres prévisions de déclin du début des années 2000.

La croissance fut modeste. Moins de 1 % par année. Mais le déclin redouté ne s’est pas produit. 

La grande région de Québec compte aujourd’hui 160 000 habitants de plus qu’en 2001. Elle a gagné en moyenne 8000 habitants de plus par année.

Dans un chapitre du Choc démographique, le sociologue Simon Langlois (Université Laval) avait noté en 2003 que le nombre de ménages augmentait beaucoup plus vite que la population.

Ce n’était pas anodin. C’est la «source de la crise actuelle du logement», croyait-il. Vingt ans plus tard, l’analyse tient toujours.

M. Langlois note aujourd’hui la faible croissance de la population active de Québec (20-64 ans). Cela a un impact lourd sur la disponibilité de main-d’œuvre.

Compléter le réseau des garderies pourrait aider. Aménager le temps de travail et les conditions de travail pourrait inciter des citoyens âgés à rester actifs plus longtemps, croit-il.

Mais la solution devra aussi passer par une hausse des «efforts du côté de la productivité».

2. L’âge et le vieillissement

Depuis 20 ans, Québec a continué de vieillir. Moins vite cependant qu’on le redoutait. Le Choc démographique évoquait un âge moyen de 45,4 ans en 2021. Dans les faits, c’est 43,5 ans.

La montée des 0-19 ans y fut pour beaucoup.

N’empêche que Québec reste une des villes canadiennes les plus âgées. Seule consolation : d’autres vieillissent plus vite que nous.

Québec était au sixième rang canadien en 2001, derrière Victoria, Kelowna, Trois-Rivières, Peterborough et St.Catharines-Niagara. En 2021, elle a glissé au 8e rang.

Trois-Rivières (45,2 ans) et Saguenay (44,9 ans) occupaient alors les 1er et 2e rangs, un titre dont elles se passeraient sans doute.

Fait important. Le «rapport de dépendance démographique» de Québec a bondi depuis 2001, observe Frédéric Fleury-Payeur, expert à l’Institut de la statistique du Québec.

Le poids des personnes «dépendantes» (0-19 ans et 65 ans et +) sur la population active (20-64 ans) a augmenté. C’était 55 % en 2001; 71,5 % en 2021. Si les projections se concrétisent, ce ratio dépassera 82 % en 2041. Cela fait beaucoup de «dépendants» pour peu de contributeurs.

3. L’étalement urbain

À quel endroit s’établiront les nouveaux ménages? demandait le spécialiste en aménagement Paul Villeneuve (Université Laval) dans le sommaire du Choc démographique.

Iront-ils dans les zones de banlieue, «le domaine des autoroutes»? Ou dans les centres urbains, «le domaine du Métrobus»?

Il voyait dans la période de croissance lente annoncée une occasion de «mettre l’accent sur la qualité de vie et le développement durable, et de retisser le tissu urbain».

On a vu le résultat.

Québec a resserré son «tissu urbain». Mais les ménages, c’est souvent dans les périphéries qu’ils se sont installés. De plus en plus loin d’ailleurs. Les volontés des dernières décennies n’ont pas suffi à freiner l’étalement urbain.

La croissance des 0-19 ans a dépassé les prévisions, disais-je. Ce fut vrai pour chacune des 9 MRC de la région, y compris dans les villes-centres de Québec et Lévis.

C’est cependant dans la périphérie que les écarts avec les prévisions sont les plus marqués : + 87 % dans la Jacques-Cartier, + 78 % sur la Côte-de-Beaupré, + 46 % dans Portneuf et + 42 % dans Lotbinière.

La région de Québec (9 MRC) comptait 1 010 000 habitants en 2022 selon la plus récente estimation de l’Institut de la statistique du Québec.

4. Les migrations régionales

Depuis 2001, la RMR de Québec a toujours affiché un solde migratoire interrégional positif. Cela a permis d’atténuer un peu la faible immigration internationale.

Ce qui a changé, c’est la provenance des migrants régionaux.

En 2001-2002, ils venaient surtout des régions périphériques. Le bilan avec Montréal ou Gatineau était alors négatif.

Ce mouvement s’est inversé. C’est aujourd’hui Montréal qui contribue le plus au solde positif de Québec. Depuis 2007-2008, un gain net de 6300 citoyens qui ont pris la 20 dans la bonne direction.

Depuis la pandémie, le solde migratoire de Québec avec les régions a fondu. Il fut même négatif en 2020-2021 (-1500).

Les chiffres ne disent pas où sont allés ces citoyens. Je risquerais l’hypothèse du télétravail dans une maison avec vue de Charlevoix ou du Bas-du-Fleuve.

«La pandémie change la donne», constate M. Fleury-Payeur, de l’Institut de la statistique.

Mortalités précoces, migrations, immigration, fécondité, etc. L’impact se mesure sur tous les indicateurs. Il n’avait jamais vu événement comparable, aussi «perturbateur». Cela pose un «défi».

Vue aérienne du quartier Lebourgneuf.

5. L’immigration internationale

Les immigrants internationaux boudent-ils Québec? demandait Simon Langlois dans Le Choc démographique.

Parmi les villes canadiennes comparables, c’est Québec qui reçoit et retient le moins d’immigrants internationaux, observait-il.

Le virage de la diversification économique va accentuer le pouvoir d’attraction et de rétention de Québec, croyait alors l’économiste Pierre Mainguy, du Cégep Garneau.

Vingt ans plus tard, le portrait de l’immigration internationale a changé. Mais pas tant que ça.

Au début des années 2000, la Communauté métropolitaine (CMQ) accueillait entre 1400 et 1700 immigrants internationaux par an. Parfois un peu plus, parfois un peu moins.

Le rythme s’est accru à partir de 2009-2010. Il se maintient depuis deux ans autour de 2200 arrivées par an.

Un peu mieux qu’à l’époque du Choc.

Depuis 2021, la CMQ a reçu au total 37 000 immigrants internationaux. Assez pour modifier (un peu) le portrait homogène de Québec. Mais ça reste peu pour une grande région d’un million d’habitants.

Si la tendance se maintient, la région de Québec comptera dans 20 ans 300 000 personnes au-dessus de 65 ans, dont plus de 32 000 au-dessus de 90 ans (4e âge).

Les jeunes du troisième âge seront des retraités en relative bonne santé, perçoit le sociologue Simon Langlois. Ils auront souvent des moyens financiers supérieurs aux générations précédentes.

Mais le groupe du quatrième âge (90 ans et +) pèsera plus lourd dans les services publics (santé, soins personnels, logements adaptés). Québec a survécu au choc annoncé en 2003, mais le sociologue nous prévient : «Il faut dès maintenant préparer les solutions à ce défi démographique.»