C’est sur le Kintsugi que s’ouvre le livre de Caroline Clouâtre, Derrière ces cicatrices, que j’ai lu, eh oui, mardi. Caroline est photographe, elle voulait faire depuis des années une exposition de portraits de gens qui portent comme elle des cicatrices, pour en faire ressortir de la beauté, pour mettre en lumière la force qu’il faut parfois pour les porter.
Parce qu’il y a une histoire derrière chacune.
C’est précisément pour ça que son projet d’exposition photo est devenu un livre. «J’ai fait un appel à tous pour trouver des personnes qui voulaient participer à l’exposition et je me suis rendu compte que parfois, la cicatrice est toute petite à l’extérieur, mais grande à l’intérieur. C’est comme ça que c’est devenu un livre, ça devenait obligatoire.»
Elle a choisi une vingtaine de personnes prêtes à lui confier leur histoire et surtout à révéler leurs cicatrices devant l’objectif de sa caméra. «C’est courageux de leur part de se dévoiler.»
Elle le fait aussi, c’est d’ailleurs elle qui brise la glace dans le livre, avec une photo prise par son amie et collègue Audrey Mc Mahon, où elle montre son ventre écorché par deux cicatrices, une longue, une plus courte. C’était en 2007, elle avait 23 ans, une péritonite aiguë qui a failli l’emporter, une opération de la dernière chance qui l’a sauvée.
Ses cicatrices lui rappellent chaque jour le privilège d’être vivante. «Au début, me regarder dans le miroir était souffrant... très souffrant, écrit-elle. Voir cette énorme cicatrice traverser presque tout mon ventre... je pleurais. Le temps a passé, apaisant cette blessure mentale. Aujourd’hui, me regarder dans un miroir n’est plus un obstacle à mon bonheur. J’ai appris à accepter ce corps. Je dirais même que je ne vois plus la cicatrice. Je suis plus heureuse que jamais!»
Une cicatrice peut devenir un fil d’Ariane, une ligne de vie.
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C’est ce qui est arrivé à Anne-Marie, une amie de Caroline, qui a failli perdre l’usage d’une jambe, que la chirurgie a laissée avec deux balafres sur les côtés du mollet. Ça lui a pris deux ans avant de faire la paix avec ses cicatrices. «Elle n’a plus aucun malaise ni complexe. Même qu’elle est fière de ses cicatrices. Elles représentent la fierté d’avoir passé cette énorme épreuve. Elle a travaillé fort, s’est battue contre les pronostics pessimistes de la médecine. Tout cela fait partie de la personne qu’elle est aujourd’hui, de son histoire de vie. Elle ne changerait rien.»
Mais une cicatrice, c’est souvent un parcours du combattant.
C’est le cas de Danielle, une main en moins, un visage marqué par une tentative de suicide en 2004. Il lui a fallu des mois avant de se regarder dans un miroir, avant de constater l’ampleur des dégâts. Un jour, à l’institut de réadaptation, elle a eu cette prise de conscience. «Danielle remarqua les autres patients: certains avec un bras amputé, d’autres sans jambes, en fauteuil roulant. Elle réalisa qu’il y avait des gens pas mal plus amochés qu’elle, mais surtout que c’était elle-même qui s’était infligé ses blessures. Elle savait qu’elle n’avait pas d’autre choix que d’avancer.»
Lentement, mais sûrement.
Pas d’autres choix, comme Geneviève, qui a tellement eu peur de perdre sa Romy, née avec une malformation cardiaque, sauvée par une longue chirurgie à l’âge de 10 mois. Romy a aujourd’hui sept ans, la cicatrice dans son dos paraît plus petite, mais pas le drame qu’elle contient. Un mois jour pour jour après l’opération, Roxane, l’amoureuse de Geneviève et l’autre mère de Romy, a été fauchée sur l’autoroute, morte sur le coup.
Une blessure invisible, qui n’est pas encore tout à fait guérie.
Avoir une cicatrice, c’est aussi devoir affronter le regard des autres, les commentaires parfois maladroits, parfois remplis de mépris. Comme cette fois à la piscine de la ville, cette mère qui a refusé que sa fille s’approche de Chantale, dont le corps a été ébouillanté à 19% quand elle avait deux ans, en disant : «elle doit avoir la lèpre».
Ça a pris à Chantale plus de 40 ans à s’accepter.
Si ce livre ne devait servir qu’à une chose, c’est précisément d’être un antidote aux jugements faciles. Les témoignages que partage Caroline sont bouleversants, émouvants, parsemés de réflexions tirées de sa propre expérience, comme un dialogue entre porteurs de cicatrices. J’en suis, je me suis parfois reconnue.
Les photos sont absolument magnifiques.
Diplômée en 2011, Caroline est photographe à temps plein depuis cinq ans. Elle soupçonne que ça l’a aidée à tisser un lien de confiance avec toutes ces personnes qu’elle a rencontrées. «La plupart des gens se livraient spontanément à moi. Je suis habituée à ça comme photographe, les personnes nous font confiance, ils nous racontent plein de choses.»
Mais cette fois, elle est entrée dans leur intimité. «Souvent, les rencontres que je faisais se terminaient avec des pleurs, des pleurs de satisfaction de s’être livrées.»
D’avoir mis un peu de poudre d’or sur leurs cicatrices.
*Le livre publié par les Éditions Enoya n’est pas encore vendu en librairie, mais il est disponible sur commande.