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L’histoire de la femme d’affaires est liée à celle de CGI, l’entreprise créée par son père.

Comme elle, Julie Godin est née à Québec; comme elle, Julie Godin a grandi à Montréal. Les deux ont pratiquement le même âge...

M^me Godin avait sept ans lorsqu’elle a quitté la capitale pour la métropole, suivant son père Serge, dont l’entreprise fondée dans un sous-sol de Sainte-Foy, en 1976, prenait de l’expansion.

Pour un temps, elle ne semblait pas destinée à suivre les traces du paternel, lançant sa propre entreprise, Oxygène, qui fait la promotion de la santé et du mieux-être au travail.

Mais la voilà maintenant coprésidente du conseil, vice-présidente exécutive, Planification et développement stratégiques de CGI, une entreprise de services-conseils en technologie. Surtout, elle est déjà désignée pour prendre la tête de la multinationale, un jour.

Entretien avec une femme de 47 ans au parcours fascinant et méconnu, qui s’entraîne tous les matins et trouve le temps de prendre soin de ses quatre enfants, à travers tout le reste.

Q Vous avez fait un baccalauréat en kinésiologie, ce qui est étonnant considérant votre parcours dans le monde des affaires. Qu’est-ce qui vous attirait dans ce domaine?

R J’ai toujours été une passionnée de la santé et du mieux-être. Toujours, toujours, du plus loin que je me souvienne. Alors pour moi, c’était quelque chose de très concret, de voir comment je pouvais faire une différence dans la vie des gens. La kinésiologie a été un choix assez naturel.

J’ai fait mon bac à Sherbrooke, j’ai adoré mon expérience. Et quand je suis revenue, je trouvais que les opportunités d’emplois étaient peu motivantes. C’était dur de voir où on pouvait avoir de l’avancement et faire une grande différence. Assez rapidement, j’ai parti ma petite business (Oxygène Santé Corporative).

Q Est-ce que vous pensiez devenir entrepreneure en faisant votre baccalauréat?

R Ça m’a un peu prise par surprise. Je voyais mon père évoluer, je voyais qu’il était très occupé. Et CGI, ce qu’on fait pour nos clients, ça peut sembler complexe, alors je ne comprenais pas toute l’envergure de ce que CGI pouvait apporter.

Mais quand j’ai fini mon bac et que j’ai parti ma business, j’étais hyper allumée par tous les aspects de l’entreprise, que ce soit le marketing, la gestion des employés, la vente, la livraison de services de qualité…

Q Comment vous êtes-vous finalement retrouvée chez CGI?

R En toute transparence, je pense que Serge m’a regardée évoluer à travers toutes mes expériences personnelles avec Oxygène Santé Corporative. On avait des super discussions, je demandais des conseils sur comment faire évoluer mon entreprise. Puis, trois ans après le lancement d’Oxygène, on a commencé à discuter de façon plus sérieuse d’un potentiel rôle de succession chez CGI.

Ça m’a pris à peu près deux ans pour prendre ma décision, car j’avais ma gang avec Oxygène que j’adorais, j’étais hyper passionnée par ce que je faisais. [...] Au grand dam de Serge, car il aime avoir des réponses rapides (rires). Je n’ai pas été dure à convaincre, mais c’était juste de m’assurer que je prenais la bonne décision.

Deux ans plus tard, on a donc fait le transfert d’Oxygène dans CGI, et c’est là que j’ai commencé à m’occuper des ressources humaines. Vu qu’on est une entreprise de personnes, d’êtres humains, on pensait que, comme première étape, c’était essentiel et stratégique que je maîtrise cet aspect-là.

L’équipe d’Oxygène est donc rentrée à CGI et reste depuis ce jour (2009) le programme de santé en milieu de travail de CGI partout à travers le monde.

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Q Vous êtes donc maintenant désignée comme la successeure officielle de votre père?

R Ça a été hyper transparent. C’est un sujet de conversation qui a été abordé avec le conseil d’administration très rapidement. On a discuté avec eux de la stratégie à adopter, comment on y parviendrait. On croyait beaucoup, et on y croit encore, qu’après avoir pris le rôle des ressources humaines, la suite serait incrémentale. Donc, pas juste de changer de tâche après un an ou deux, mais d’ajouter constamment des rôles et des responsabilités pour voir comment j’allais me débrouiller avec tout ça. Car si le but ultime est de devenir la chair de CGI, il fallait voir comment je pouvais continuer à grandir en occupant des fonctions qui sont très larges.

Q Mais à un moment donné, vous devez bien laisser des tâches de côté si vous souhaitez avoir une vie en dehors du travail…? En avez-vous une, d’ailleurs?

R Oui, Dieu merci! Il y a deux ans, après 10-11 ans à avoir géré les ressources humaines, je m’en suis départie. Sauf que je ne me suis pas départie de tout ce qui est politiques de rémunération, politiques des ressources humaines. Je suis encore beaucoup impliquée.

Et pour répondre à ta sous-question : j’ai quatre enfants (un garçon de 21 ans et trois filles de 18, 14 et 5 ans) et je m’assure d’être la plus présente possible. J’ai mes petites règles, qui changent ici et là. Par exemple, la fin de semaine, c’est très rare que je travaille. À moins d’urgences ou d’événements particuliers. Mais de façon très générale, quand je suis partie du bureau, c’est maman Julie qui arrive. Et je m’assure d’avoir une vie sociale aussi (rires).

Q Vous réussissez donc à garder les deux mondes séparés?

R Oui. Je m’assure, une fois de temps en temps, de prendre un petit recul et de me dire : «OK, est-ce que ça va? Est-ce que je suis assez équilibrée?» De par mon intérêt pour la santé et le mieux-être, je suis constamment à me requestionner pour m’assurer que j’ai les bonnes solutions pour gérer tout ça.

Q Est-ce étourdissant de penser que vous vous préparez à diriger une entreprise de 90 000 employés à travers le monde?

R C’est hyper motivant. C’est très stimulant, mais c’est sûr que ça amène un stress. Mais on a commencé tranquillement, on y va étape par étape. Je pense que la clé, c’est de voir avec qui je travaille, comment bien s’entourer. Et c’est une chose que j’ai bien apprise dans les dernières années : comment s’assurer d’avoir un plan de succession, que les gens dans l’entreprise grandissent.

On a eu une bonne approche. Et ça, pour moi, c’est très rassurant.

Alors, c’est sûr que ça peut être stressant si tu te mets à penser juste à ça. Mais j’ai grandi dans une famille qui a les mêmes valeurs que chez CGI. Alors, faire le bond chez CGI, c’est quelque chose qui était naturel.

Q Comment décrivez-vous vos valeurs comme patronne? Ces valeurs ont-elles changé au fil du temps?

R Je pense qu’on évolue tous. Je suis très inclusive, d’emblée. Je suis quelqu’un qui aime les gens énormément, qui aime les outiller pour qu’ils puissent se développer. Je crois beaucoup à la force de l’équipe. Je suis une gestionnaire qui va enlever les obstacles, qui va s’assurer que les gens qui m’entourent vont être capables de continuer d’évoluer. Ça, je pense que ça n’a pas vraiment changé.

La COVID a par contre fait en sorte qu’on a dû se requestionner sur la façon de créer des relations avec nos membres (employés). Ce qui était le plus gros challenge, c’était avec les nouveaux, au moment où on était tous à distance. Créer ce lien-là est primordial pour moi, car on a un rêve chez CGI de créer un environnement dans lequel on a du plaisir à travailler ensemble. Oui, on va prendre notre job au sérieux, mais on ne se prendra pas trop au sérieux et on aura du fun à le faire, et je pense que ça encourage les gens à s’engager, à s’investir.

Q Le fait que vous soyez la fille du fondateur, du patron, avez-vous l’impression que ça vous a obligée à vous prouver davantage?

R Ce serait utopique de penser que je ne me suis pas mis de pression. Toutes les «filles de» ou les «garçons de» ont à gérer ça. Au début, je mettais les bouchées doubles, triples, quadruples (rires). Mais j’ai compris assez rapidement que je ne connaîtrais pas tout, tout le temps, dans la vie. Et que c’est correct de ne pas toujours avoir les réponses.

L’important, c’est de bien s’entourer, de continuer d’évoluer, de s’assurer d’être bien équipé. De continuer à rencontrer des clients pour bien comprendre et rester pertinent.

Oui, cette pression-là, je me la suis mise. Mais aujourd’hui, je le vis très, très bien. Et j’ai toujours été bien accompagnée chez CGI. Je n’ai jamais senti que je n’étais pas à ma place.

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Q Vous êtes impliquée dans la Fondation Famille Godin, lancée en 2000. Quelle est la mission de cet organisme?

R Essentiellement, on aide les jeunes en bas de 18 ans qui ont des problèmes de santé, de pauvreté ou d’éducation. Que ce soit à travers des écoles ou des organismes à but non lucratif. Dans ce conseil d’administration là, on est deux : Serge et moi. Et il y a deux, trois personnes qui nous aident à gérer la fondation pour s’assurer que les dons font vraiment une différence.

Il y a tellement à faire. Même quand on regarde juste au Québec. Il y a tellement de gens qui ont besoin d’aide. On est constamment à se requestionner sur comment on peut faire une différence dans la vie de ces gens-là. Et comment on peut redonner à la communauté pour s’assurer qu’on soulage un peu certains maux.

Q Quel avenir pour CGI?

R Si tu me permets, je vais t’amener dans 20 ans (rires). Une de mes responsabilités chez CGI, c’est de voir comment on peut assurer la pérennité de l’entreprise. C’est un fleuron québécois, on est fiers de nos racines, c’est parti de Québec. On a 46 ans, alors comment on peut assurer que d’ici 100 ans on sera encore aussi présents au Québec? On va continuer de s’appuyer sur notre fondation, qui est vraiment forte.

À notre conférence des leaders, c’est incroyable et impressionnant de voir comment autant de gens réunis — 1600 personnes de 40 pays différents, 40 cultures différentes de 30 langues différentes — travaillent en cohésion, sous une même culture qui est celle de CGI. Ça, c’est parce qu’on investit tellement de temps à s’assurer que la façon dont on gère nos membres soit similaire partout à travers le monde. Même chose pour nos clients.

Alors mon grand challenge, dans les années à venir, c’est, oui, de continuer à faire croître l’entreprise, mais de le faire sans oublier qui on est.

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