Cette chose, qui se matérialisera le 1er avril, ouvrira la porte à des stratégies financières inédites, et pour le chroniqueur qui gruge l’os des REER et du CELI depuis tant d’années, c’est comme si un gigot d’agneau bien charnu venait d’atterrir dans son assiette.
J’ai réalisé l’ampleur du morceau de viande en lisant le cahier de recherche tout frais concocté par l’universitaire Luc Godbout et la fiscaliste Natalie Hotte pour la Chaire en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Les experts ont produit ce qu’on pourrait appeler un premier document de référence au sujet du CELIAPP. Les professionnels de l’industrie des services financiers se précipiteront là-dessus, ça ne fait de doute. J’y ai appris de nouvelles choses, dont certaines que la clientèle concernée doit connaître sans tarder. Alors, allons-y.
La base du CELIAPP
Le fameux compte a été promis lors de la dernière campagne électorale fédérale. Des versions préliminaires ont déjà été présentées depuis, notamment lors du dernier budget déposé à Ottawa l’année dernière, et les paramètres ont été fixés en décembre dans la loi C-32. De nombreux détails ont changé en cours de route, et ce jusqu’à la dernière minute.
Les grandes lignes sont demeurées les mêmes cependant. L’objectif du CELIAPP est d’aider les acheteurs d’une première maison à amasser leur mise de fonds. Il s’agit d’un énième compte «enregistré», lequel s’ajoute au CELI, au REER, au REEE et compagnie. Le petit nouveau emprunte d’ailleurs des caractéristiques à tous ses grands frères.
Les personnes admissibles pourront y contribuer jusqu’à 8000 $ par année, pour un montant maximal de 40 000 $ pour toute la durée du compte. Les droits inutilisés peuvent être rattrapés, mais pas plus d’une année à la fois, un peu à la manière du REEE. Les sommes peuvent être investies dans les mêmes produits financiers que dans les autres comptes enregistrés, à l’abri de l’impôt: fonds d'investissement, titres boursiers, placements garantis, etc.
Les contributions donneront droit à des déductions fiscales, comme le REER. L’épargnant peut conserver ses déductions afin de les utiliser dans une année ultérieure. Rappelons qu’il est moins avantageux de les appliquer durant les périodes de faibles revenus, quand le taux marginal d’imposition est moins élevé.
Les retraits (capital et rendement), quant à eux, ne seront pas imposables (comme le CELI) s’ils servent à l’achat d’une première habitation. Voilà le principal point à retenir : Ottawa (et Québec) accordent un privilège important aux gens qui achètent une maison en offrant une déduction fiscale aux dépôts au compte sans en imposer les retraits.
À partir du moment où il ouvrira son CELIAPP, l’épargnant aurait 15 ans pour devenir propriétaire, ou à la fin de l’année de son 71e anniversaire. S’il n’utilise pas ces sommes accumulées pour acquérir un logement, il pourra transférer cet argent vers son REER sans affecter ses droits de cotisation à ce dernier, ou encore vers son FERR. À
mon avis, c’est là le deuxième point en importance à garder en tête : le CELIAPP peut servir à accroître l’espace REER.
On pourra garnir le CELIAPP en puisant dans le REER sans impact fiscal, pour un montant maximal de 8000 $ par année (et 40 000 $ au total). Toutefois, ces ponctions du régime enregistré d’épargne-retraite ne donneront pas des droits de cotisations REER équivalents. Autrement dit, dans cette direction, les transferts entre les comptes réduisent la capacité du REER.
Première recommandation : autant que possible, contribuer directement ou depuis un CELI ordinaire au compte dédié à l’achat d’une première maison. Idéalement, l’épargne devrait suivre ce trajet : CELI vers le CELIAPP, puis vers l’immobilier ou le REER.
On pourrait utiliser le CELIAPP qu’une fois dans sa vie. Notez que les plafonds de cotisation ne sont pas indexés (comme le REEE).
Gare à la contamination par le conjoint
Les règles d’admissibilité au nouveau compte sont les mêmes que pour le régime d’accession à la propriété (RAP). Pour ouvrir un CELIAPP, l’épargnant doit être résident canadien et ne doit pas avoir vécu dans une habitation dont lui ou son conjoint était propriétaire «à un moment de la partie de l’année précédant l’ouverture du CÉLIAPP ou à tout moment au cours des quatre années civiles précédentes». Juste le fait d’emménager dans la maison de son amoureux peut nous contaminer et empêcher l’ouverture d’un CELIAPP.
L’élément original qui s’écarte ici du RAP, c’est qu’on doit repasser ce test le jour du retrait, mais à cette étape, vivre dans la propriété de son conjoint ne représente plus un obstacle; le détenteur du CELIAPP pourra vider son compte pour joindre les rangs des propriétaires.
Un conseil s’impose : avant d’aller vivre dans la maison de votre blonde ou de votre chum, songez à ouvrir votre CELIAPP.
On pourra utiliser le CELIAPP et le RAP dans une même transaction
Depuis la première présentation de ce projet, il a toujours été question d’un choix exclusif : en utilisant le CELIAPP pour acheter une maison, on devait faire une croix sur le RAP. C’est comme ça qu’on en est venu à craindre pour l’avenir du RAP, moins avantageux.
Le régime d’accession à la propriété permet de retirer de son REER jusqu’à 35 000 $ en franchise d’impôt en vue d’acquérir sa première habitation (bien qu’on peut y recourir plus d’une fois dans sa vie). En revanche, il faut rembourser cette somme à son REER, au rythme de 1/15 e par année.
Cette obligation n’existe pas avec le CELIAPP qui, grâce aux rendements à l’abri de l’impôt, permet en plus d’accumuler une mise de fonds bien plus intéressante.
Or voilà, un premier acheteur pourra finalement utiliser le contenu de son CELIAPP, plus 35 000 $ de son REER grâce au RAP, pour une même transaction.
Ça change considérablement la perspective! On s’en reparlera assurément d’ici le lancement officiel.
Pour prendre connaissance de tous les détails, vous retrouverez le rapport ici