ZEC des Anses à Chandler: un premier pas vers une zone protégée

Pierre-Luc Arsenault et Denis Michaud veulent protéger des secteurs qui renferment des dizaines de cédrières de ce type, comptant notamment des thuyas d’un mètre de diamètre, parfois plus.

Un comité élargi demande la prolongation jusqu’en 2025 du moratoire interdisant la coupe forestière dans 60 des 162 kilomètres carrés de la ZEC des Anses, une zone d’exploitation contrôlée située à 15 minutes du centre-ville de Chandler. Ce territoire compte notamment des écosystèmes forestiers exceptionnels et des espèces végétales menacées.


Le moratoire actuel sera échu le 30 avril 2023, ce qui ne laisse pas assez de temps au comité pour réaliser l’ensemble des démarches nécessaires afin que 37% de la ZEC des Anses devienne une zone protégée. Le comité élargi qui pilote le processus compte un nombre croissant de personnes et d’organisations vouées à cette cause.

Le moratoire a été conféré à la fin de l’automne 2021, après un an de démarches d’un organisme, Solidarité Gaspésie-secteur Rocher-Percé, militant pour l’interdiction de coupes à long terme dans plusieurs secteurs de la ZEC des Anses. La présence de nombreux arbres multicentenaires, dont certains thuyas d’un diamètre allant jusqu’à 1,25 mètre, et de plantes rares, dépendant d’un réseau hydrique complexe, motivent cette campagne. 

Le ministère des Forêts avait déterminé en 2020 que sept secteurs concentrés dans une partie de cette ZEC seraient exploités pour en soutirer 30 000 mètres cubes de bois de sciage, un volume représentant 1,5% de la récolte annuelle en Gaspésie.

«On a formé un grand comité, avec deux conseillers et un employé de la Ville de Chandler, un représentant de la MRC du Rocher-Percé et trois membres de Solidarité Gaspésie-secteur Rocher-Percé. La Société nationale des parcs, la SNAP, a embarqué dans le dossier d’aire protégée en nous octroyant 160 000$ pour monter le dossier. L’embauche d’un chargé de projet a enlevé beaucoup de poids de nos épaules. C’était une grosse démarche pour un petit groupe de bénévoles», explique Denis Michaud, un citoyen de Chandler.

Jusqu’à la fin de 2021, cet agent de protection de la faune à la retraite, l’enseignant Pierre-Luc Arsenault et une poignée de sympathisants menaient la démarche de protection de la ZEC des Anses. Depuis l’été 2020, M. Michaud compte une centaine de visites-terrain dans la ZEC et il y a guidé des centaines de personnes pour leur montrer les trésors de ce secteur.

L’opposition de son groupe a d’abord forcé le ministère des Forêts à reporter la coupe prévue en 2021, puis à décréter un moratoire jusqu’au 30 avril 2023. Pendant ce temps, les opposants à cette récolte de matière ligneuse ont recueilli des alliés. Cette opposition est désormais mieux structurée, grâce au chargé de projet s’occupant d’étoffer le dossier.

Pierre-Luc Arsenault, maintenant conseiller à la Ville de Chandler à la suite de l’élection de novembre 2021, assure que l’appui des deux entités municipales a été crucial antérieurement à son engagement politique.

«Depuis la première demande à l’été 2021, suivie par un appui de la MRC, on s’est rendu compte qu’il y avait une bonne collaboration des autorités. C’est ce qui a mis du poids dans les revendications. Ce n’est pas juste quelques citoyens. Ce n’est pas le premier groupe à revendiquer ce type de protection. On a ici une belle démonstration de leadership municipal et de ce que ça peut donner, de la cohésion politique», note M. Arsenault.

Cette cohésion politique s’est manifestée à l’aube de la COP15 de Montréal sur la biodiversité. La Ville de Chandler a adopté sa résolution d’appui pour la prolongation du moratoire en assemblée extraordinaire le 29 novembre. L’appui a été unanime chez les conseillers.

M. Arsenault souligne qu’en 2021, l’ingénieur forestier Normand Villeneuve, à l’emploi de l’État québécois, avait statué que certains secteurs de la ZEC des Anses se qualifient comme «d’écosystèmes forestiers exceptionnels», un statut susceptible de leur valoir une protection permanente.

De meilleurs moyens pour atteindre le but 

Les défenseurs de la ZEC des Anses fonctionnent donc depuis la fin de l’été une somme de 160 800 $ consentie par la Société nationale des parcs. C’est le Conseil régional de l’environnement de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine qui emploie le chargé de projet, Dominic Lemyre.

«On a un travail à faire pour documenter le territoire, pour déterminer comment on va faire sa mise en valeur, et voir à la sensibilisation de la population. On sait que la ZEC des Anses renferme des écosystèmes exceptionnels, des plantes menacées, comme le calypso bulbeux et le cypripède royal, mais la caractérisation du territoire n’est pas terminée. La liste des espèces rares ou menacées n’est pas exhaustive», dit-il.

«Si une espèce est menacée, il n’y aura pas de sentier qui passera là. On ne veut pas nuire à ce qu’on veut protéger. On veut déterminer comment accéder au territoire, où placer des panneaux d’interprétation et continuer à comprendre si d’autres milieux sensibles se trouvent sur la ZEC des Anses. Il faut retourner valider sur le terrain», ajoute M. Lemyre.

Denis Michaud précise que la ZEC des Anses ne renferme pas seulement des thuyas géants. «On y voit aussi des érables, des bouleaux jaunes et des pins très impressionnants. Le secteur ouest, jusqu’au ruisseau Rankin, est riche au niveau géologique. J’ai vu des plantes carnivores, la sarracénie pourpre, une belle fleur, dans ce secteur».

Débalancement des aires protégées au Québec

Dans sa résolution, la Ville de Chandler souligne que le Québec «s’était engagé à protéger 17% de son territoire terrestre en 2020, et que les écosystèmes au sud du 49e parallèle s’y trouvent sous-représentés avec moins de 9% des terres visées par des mesures de protection comparativement à 20% au nord». La Ville rappelle que le Québec «s’est prononcé en faveur de l’atteinte d’une nouvelle cible internationale de protection de 30% des milieux terrestres d’ici 2030 et que le processus d’établissement d’un réseau d’aires protégées se poursuit sur son territoire.»

Elle note de plus qu’une partie du territoire de la ZEC des Anses a déjà été pressentie pour devenir une réserve de biodiversité à la suite d’une analyse de carence réalisée par le ministère de l’Environnement en 2014.

Une partie du territoire de la ZEC des Anses a en outre été identifié comme une Forêt à haute valeur de conservation par la démarche de certification forestière FSC (Forestry Stewardship Council) de la Corporation de gestion de la certification forestière des territoires publics de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine.

L’apport autochtone et la crainte d’exploration minière

Lors des nombreuses visites au cours desquelles il a guidé des groupes intéressés par les écosystèmes exceptionnels de la ZEC des Anses, Denis Michaud a reçu des Mi’gmaq de Gesgapegiag.

«On veut solliciter la collaboration et l’expertise des Premières Nations. On veut intégrer leur savoir. On aimerait beaucoup, beaucoup cette collaboration. Ils ont passé à travers des millénaires sur ce territoire, en le protégeant», dit-il.

M. Michaud s’inquiète d’autre part de la croissance constante des zones pressenties pour l’exploration minière.

«Pratiquement toute la ZEC des Anses est touchée par des claims [concessions] minières. Ça m’inquiète», dit-il.

«Pour le moment, il faut faire comprendre au ministère [des Ressources naturelles et des Forêts] qu’il est nécessaire de caractériser un territoire avant d’autoriser les coupes forestières. Le secteur du ruisseau Clara de la ZEC est une forêt ancienne qui n’avait jamais été bûchée. Elle n’avait pas été caractérisée non plus et elle a quand même été ciblée pour une coupe forestière» déplore-t-il.