Découvertes scientifiques 2022 | 1663 n’est pas pour demain

L'équipe a passé deux semaines à bord du navire de recherche Coriolis II à l’été 2020 à la recherche de traces d’anciens glissements de terrain sous-marins survenus dans le fleuve.

Le plus gros tremblement de terre dont on ait gardé la mémoire, au Québec, date de 1663. Ça avait «brassé», comme on dit : on croit qu’il aurait atteint une magnitude supérieure à 7, voire proche de 8 selon certaines estimations, ce qui est beaucoup plus que la fameuse secousse de 1988 au Saguenay («seulement» 5,9). Mais à quelle fréquence cela arrive-t-il ? Est-ce qu’on est bientôt «dû» pour un autre gros séisme ?


Il a toujours été très ardu, voire impossible de le savoir parce que pendant longtemps, les seuls indices qu’on avait des tremblements de terre du passé étaient les témoignages historiques — comme celui du père Jérôme Lalemant, par exemple, qui dans les Relations des Jésuites a raconté comment, en cette fin de journée du 5 février 1663, «la terre bondissait, faisant danser les pieux des palissades d’une façon qui ne paraissait pas croyable, si nous ne l’eussions vue en divers endroits».

Or comme les plus vieux documents écrits remontent à l’arrivée des Européens, au XVIe siècle, ils ne permettent pas de savoir si les secousses monstres comme celle de 1663 arrivent à tous les quelques milliers d’années, ou une fois à tous les quelques siècles — auquel cas une nouvelle catastrophe aurait pu nous pendre au bout du nez.

Ça n’est heureusement pas ce qu’a trouvé une équipe de l’UQAR en analysant des sédiments du Saint-Laurent : «Nos résultats montrent que l’événement de 1663 est le tremblement de terre le plus important depuis 2000 ans», dit Guillaume Saint-Onge, chercheur à l’UQAR et co-auteur de l’étude, dont le premier auteur est le doctorant Méril Mérindol. Le chercheur en géomorphologie de l’Université Laval Patrick Lajeunesse, ainsi que deux chercheurs de l’IFREMER, en France (Nabil Sultan et Sébastien Garziglia), ont également cosigné l’article.

Essentiellement, l’équipe a passé deux semaines à bord du navire de recherche Coriolis II à l’été 2020 à la recherche de traces d’anciens glissements de terrain sous-marins survenus dans le fleuve entre Baie Comeau et La Malbaie, afin d’y prélever des carottes de sédiments. L’idée de base était qu’un même séisme peut provoquer plusieurs glissements de terrain simultanément sur une assez grande région. Alors si, en datant les sédiments, l’on parvenait à trouver plusieurs «éboulis sous-marins» anciens survenus à peu près en même temps, cela indiquerait qu’un séisme s’est produit à ce moment-là.

Pour y parvenir, les chercheurs ont «scanné» le fond du fleuve à l’aide d’un sonar précis et de sondes sismiques (qui renseignent sur les couches dont se compose le fond de l’eau) afin de «trouver des cicatrices de glissement de terrain et d’avoir une vue en coupe du fond marin», explique M. Mérindol. L’image ci-dessous illustre quel genre de «cicatrices» un glissement de terrain sous-marin peut laisser derrière lui.

Un exemple de «cicatrice» laissée au fond de l'eau par un glissement de terrain.

«On a prélevé des carottes dans la partie intacte [juste en haut de la «cicatrice», ndlr], puis dans la cicatrice elle-même, puis dans le dépôt qui se forme en bas, au bout du glissement de terrain, explique M. Saint-Onge. (…) On en a identifié une cinquantaine qu’on a réussi à dater et une fois qu’on a fait ça, on a pu voir qu’il y avait des datations qui revenaient. Et c’est vraiment ça, le critère qui permet de dire que c’est un séisme, parce qu’il n’y a pas d’autre raison pour que plusieurs glissements de terrain arrivent en même temps à plus de 200 km de distance.»

Plusieurs datations, comme on s’en doute, étaient regroupées autour de 1663 — ces méthodes viennent avec une marge d’erreur —, mais l’équipe a également vu des signes très clairs des tremblements de terre déjà connus de 1860 et 1870 (magnitude de 6,6 et de 6,1 respectivement), de 1925 (magnitude de 6,2) et de 1988 (magnitude de 5,9). La technique a également permis d’identifier deux autres secousses anciennes jusqu’à maintenant inconnues qui se sont produites au cours des derniers 2000 ans — au-delà de ça, la datation devient trop incertaine. Tous deux sont survenus au Moyen Âge, l’un vers 1145, et l’autre autour de l’an 635.

Notons que des travaux antérieurs avaient identifié des glissements de terrain dans des fond de lacs datant de l’an 1200-1250 (lacs Jacques-Cartier et Saint-Joseph), et de l’an 650 environ dans le lac Témiscouata. Mais comme on en avait trouvé des traces que dans un seul ou très peu d’endroits, il était difficile de les attribuer à un tremblement de terre — après tout, les glissements de terrain arrivent souvent même sans secousse.

Aucun de ces deux séismes, cependant, n’a provoqué autant de glissements de terrain sur une aussi grande superficie que celui de 1663, ce qui indique que celui-ci fut le plus important des deux derniers millénaires.

«C’est la première fois qu’autant de glissements sous-marins sont datés sur l’ensemble de la zone (220 km) de La Malbaie jusqu’à Baie Comeau et c’est la première fois que la synchronicité est démontrée et donc l’origine sismique de ces dépôts. Ces résultats sont importants pour établir l’aléa sismique dans le Saint-Laurent et ils ouvrent la voie pour l’utilisation de cette méthode à des glissements sous-marins encore plus anciens et pas encore datés», dit M. Saint-Onge.

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