Naïvement, je croyais qu’il y avait déjà des règles strictes qui encadraient le travail des enfants au Québec. Je croyais qu’il fallait avoir au moins 16 ans pour occuper un « vrai » travail. Je suis naïf, mais je ne suis pas aveugle. Comme tout le monde, j’ai remarqué la présence de travailleurs de plus en plus jeunes dans les commerces, et cette présence me heurte et me questionne. Il s’agit certainement d’un effet de la pénurie de main-d’oeuvre, mais quoi d’autre ?
Qu’est-ce qui peut bien pousser un enfant à vouloir travailler ? Le veut-il vraiment ? Je n’ai pas la réponse à ces questions, mais au-delà des enjeux liés à la sécurité, je trouve ce phénomène très préoccupant. Ce n’est pas mêlant : on se croirait presque de retour au 19e siècle et à l’époque du capitalisme sauvage ! Bon, j’exagère un peu, mais n’empêche que je me questionne sérieusement sur les causes et sur les impacts du travail des enfants dans notre société.
Que le patronat ferme les yeux sur ce phénomène et souhaite même le normaliser, je ne suis évidemment pas surpris. Non seulement cela permet-il d’atténuer les effets de la pénurie de main-d’oeuvre, mais il est aussi probable que les enfants constituent pour eux de « bons » travailleurs, c’est-à-dire du cheap labor, et des employés passablement plus dociles que leurs aînés. Mais les parents, dans tout ça ? Comment des parents peuvent-ils accepter que leurs enfants passent autant de temps à travailler plutôt qu’à étudier et à s’amuser ?
Vous l’aurez compris, mon problème avec le travail des enfants n’est pas seulement lié à leur sécurité, mais aussi à la notion même d’enfance. Pourrait-on laisser les enfants être des enfants ? Je ne dis pas qu’un jeune de 14 ans ne peut pas avoir une petite « jobine », mais cela ne devrait pas devenir envahissant. À 14 ans, on devrait utiliser l’essentiel de son temps libre pour s’amuser et décompresser. Travailler et payer des impôts ? Ils auront le temps de faire tout ça plus tard.
Je m’inquiète aussi de l’impact de l’argent sur nos jeunes. Certes, avoir un petit revenu dès le plus jeune âge permet de se responsabiliser et d’acquérir une certaine forme d’autonomie. Mais s’habituer trop vite à avoir autant d’argent peut aussi avoir des effets pernicieux. Sur la persévérance scolaire, d’une part, mais aussi sur le rapport à l’argent lui-même. À moins d’obliger ces jeunes à placer leur argent pour plus tard, je crains que cela ne finisse par en faire d’incontrôlables machines à consommer.
Bref, tout cela nous rappelle l’importance de garder l’oeil ouvert sur les droits des travailleurs et des enfants. La vigilance est effectivement de mise, car même dans un pays « civilisé » comme le nôtre, force est de constater que certains acquis demeurent fragiles. Et puisqu’on ne peut malheureusement pas s’attendre à ce que le marché de l’emploi se régule de lui-même, espérons que le projet de loi du ministre Boulet sera à la hauteur de l’affection et du respect que nous portons, en principe, à nos enfants.
Voeux pour la nouvelle année
L’année 2022 s’achève et j’aimerais profiter de cette occasion pour vous souhaiter une très belle année 2023 ! Mes voeux n’auront évidemment rien d’original, mais je vous souhaite néanmoins, à vous et à vos proches, de conserver — ou de recouvrer — la santé, et de trouver la paix intérieure. Et collectivement, je nous souhaite la force de relever les défis qui nous attendent afin d’oeuvrer pour un monde meilleur, un monde plus juste.
Laissez-moi aussi profiter de cette occasion pour vous remercier, chers lecteurs et chères lectrices, pour votre soutien indéfectible. Après chacune de mes chroniques, vous êtes toujours nombreux à m’écrire pour me partager vos impressions et votre appréciation. Je ne réponds que très rarement, mais sachez que je lis chacun de vos messages avec grand intérêt. Ça fait maintenant plus de 10 ans que j’écris dans Le Quotidien, au point où j’en viens parfois à me demander si je suis toujours pertinent, mais vos bons mots — et vos critiques constructives — me rassurent et me donnent envie de continuer. Au plaisir de vous retrouver en 2023 !
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Sébastien Lévesque enseigne la philosophie au Cégep de Jonquière depuis 15 ans. Celui qui est surtout intéressé par les questions relatives à l’éthique et à l’épistémologie des sciences publie des textes de façon régulière dans Le Quotidien depuis plus de 10 ans. Avec ses chroniques, il cherche notamment à faire la promotion de la pensée rationnelle et critique.