Medicago s'affranchit du tabac mais l'avenir reste embrumé

L'Organisation mondiale de la santé avait refusé le printemps dernier d'homologuer le vaccin Covifenz à cause des actions détenues par le fabricant de tabac.

CHRONIQUE / Le principal obstacle à la reconnaissance par l'OMS du vaccin contre la COVID conçu à Québec par Medicago vient d'être levé.


Le cigarettier Philip Morris (Marlboro) a cédé les actions qu'il détenait dans Medicago (21 %) à l'actionnaire principal. 

Le ministre de l'Économie Pierre Fitzgibbon a confirmé à ma collègue Marie-Soleil Brault que l'actionnaire principal Mitsubishi Tanabe est devenu propriétaire à 100 % de la pharmaceutique de Québec. 

L'Organisation Mondiale de la Santé avait refusé le printemps dernier d'homologuer le vaccin Covifenz à cause des actions détenues par le fabricant de tabac. 

Medicago pourrait donc soumettre une nouvelle demande à l'OMS 

En entrevue au Soleil, il y a quelques jours, le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, avait éventé la mèche sur le départ du cigarettier. 

 «C'est déjà officiel», croyait savoir M.Duclos, sans vouloir donner plus de détails. 

M.Fitzgibbon confirme. 

Il précise que le Québec n'est pas impliqué financièrement dans la transaction. Et qu'il n'a pas l'intention de racheter des parts de l'entreprise, comme cela avait été évoqué l'été dernier. 

M.Fitzgibbon a expliqué à ma collègue que le gouvernement a maintenant «des projets et des enjeux avec Medicago».   

«On travaille avec eux sur qu’est-ce qu’on fait avec Medicago, mais ça n’a pas rapport avec la détention d’actionnariat». 

«Le focus que j’ai pour Medicago c’est plus qu’est-ce qu’on fait… C’est quoi le rôle de Medicago dans l’écosystème canadien, c’est ça qui est ma préoccupation». 

La question se pose en effet. L'entreprise n'a pas donné suite à mes questions.   

Même avec un feu vert de l'OMS, il commence à se faire très tard pour mettre en marché un nouveau vaccin contre la COVID. 

D'autant plus que celui de Medicago est moins efficace que ceux des entreprises concurrentes. (71 % pour les 18 à 64 ans avant l'arrivée des variants). 

Au début de la pandémie, le ministre fédéral de la santé et député de Québec, Jean-Yves Duclos, avait mis beaucoup d'espoir dans cette entreprise. 

Medicago allait être la «clé» pour développer et produire au Canada le vaccin contre le coronavirus, se réjouissait-il aux premiers jours du confinement, au printemps 2020. 

Deux ans et demi plus tard, le ministre Duclos confie sa «déception». 

Medicago n'a pas livré ce qui état attendu. 

Son vaccin contre la COVID est «efficace», dit-il, ce qui est source de «fierté». 

Mais «ils ont eu et continuent d'avoir de gros problèmes de production du vaccin».   

«Beaucoup de difficulté à le produire en nombre et en qualité suffisant pour le pays, note-t-il. C'est une déception». 

Difficulté, le mot est faible. 

Au début novembre, Medicago n'avait pas encore réussi à livrer une seule des 76 millions de doses commandées par le gouvernement canadien. 

Les vaccins attendus devaient provenir de l'usine de Medicago à Durham, en Caroline du Nord. 

Mon collègue Olivier Bossé rapportait alors que Medicago s'apprêtait à congédier 162 employés de son usine. La mise à pied prendra effet ce 26 décembre.   

L'enthousiasme initial du ministre Duclos laissait croire que Medicago allait rapidement pouvoir produire à Québec un vaccin COVID. 

On est loin du compte. Pour plusieurs raisons. 

  1. Les retards par rapport aux concurrents dans le développement du vaccin. 
  2. Une efficacité moindre que les concurrents. 
  3. Les problèmes de production aux États-Unis. 
  4. Le refus de l'OMS de reconnaître le vaccin développé avec un marchand de tabac.    
  5. Les multiples retards dans la construction d'une usine de production mise en chantier en 2018 sur la rue d'Estimauville. 

Ce devait être 2022, puis 2023 avec la pandémie, voire 2024. 

Dans le dernier texte que j'ai lu, l'entreprise n'osait même plus évoquer de date pour la mise en service. 

L'usine devra ensuite être «homologuée» selon les critères de «bonnes pratiques» de l'industrie, rappelle l'épidémiologiste Gaston De Serres. Cela impliquera des délais avant de pouvoir commencer à produire des vaccins. 

 *** 

Le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos

Avec deux ans de recul, beaucoup de questions demeurent sur le choix du gouvernement fédéral d'investir 173 M $ dans le candidat-vaccin de Medicago. 

Il y avait bien sûr un sentiment d'urgence. Il fallait faire quelque chose et l'expertise de Medicago était prometteuse.   

Le ministre Duclos affirme que le gouvernement et l'entreprise ignoraient alors les problèmes possibles avec l'OMS.    

«D'après Medicago, c'était une surprise. Ils ne s'attendaient pas à ça. 

De toute évidence, ça s'est passé autrement», constate-t-il.   

«On avait eu l'assurance de Medicago que ce serait pas un enjeu (OMS) répète-t-il. 

«Si on avait su, si Medicago l'avait su, il aurait été dans leur intérêt de le régler dès le départ. Ça aurait évité les retards significatifs que cette structure corporative a causé». 

L'épidémiologiste Gaston De Serres n'en croit rien. 

«Ils (Médicago) ont fait semblant d'être surpris, mais ils étaient conscients qu'il y avait un problème avec l'OMS» a-t-il compris après des entretiens avec des gens chez Medicago. «Ils savaient». 

Quant au fédéral, «s'il ne savait pas, il aurait dû le savoir». L'implication du cigarettier Philip Morris dans Medicago était connue et avait fait l'objet d'annonces publiques en 2013. 

Le Canada a par ailleurs signé en 2003 la Convention-cadre internationale de l'OMS sur le contrôle du tabac. 

Celle-ci stipule que «les parties veillent à protéger ces politiques (de santé publique) contre les intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac». 

Des universitaires et militants anti-tabac ont rappelé cet engagement lorsque le fédéral a annoncé qu'il investissait dans le projet de Medicago à l'automne 2020. 

Réponse de l'Agence de santé publique du Canada citée le printemps dernier par CBC News : Le gouvernement fédéral a étudié la question «avec soin» et jugé que son investissement dans Medicago était «conforme» à ses obligations sur le contrôle du tabac. 

L'explication n'a évidemment pas satisfait tout le monde.   

L'intérêt du cigarettier Philip Morris pour Médicago n'était pas un hasard. La pharmaceutique développe ses vaccins à partir de plantes, dont la Nicotiana benthamiana, une variété proche du tabac. 

Ce lien de parenté ne pose cependant pas de problème pour l'OMS, analyse M.DeSerres. C'est la propriété qui était en cause.   

L'OMS a-t-elle été trop tatillonne avec Médigaco? 

«Ce n'est pas à moi de commenter les considérations de l'OMS. Ce serait prétentieux pour un ministre de la santé qui ne connait pas tout», jette le ministre Duclos. Il convient cependant que le tabac reste «une source de problème majeure en santé publique». 

La vente annoncée des parts du cigarettier dans Medicago permettra de soumettre un nouvelle demande à l'OMS pour faire homologuer le vaccin Covifenz. 

M.Duclos pense aussi que cela «pointe vers le fait que le milieu pharmaceutique est en évolution». 

«Ça a longtemps été un milieu qui se percevait comme étant isolé, comme une forteresse. Ils faisaient leurs affaires … 

Comme beaucoup d'autres milieux d'affaires, ils s'aperçoivent qu'ils ont aussi des responsabilités sociales, environnementales et en matière de gouvernance qui dépassent leur pure contribution économique». 

Voilà pour le vaccin de Medicago. 

Je retiens que le gouvernement fédéral a interprété avec une certaine désinvolture l'entente internationale sur le contrôle du tabac. 

Qu'il a mal évalué le risque à investir dans un vaccin que l'OMS ne pouvait pas en toute logique autoriser. 

Et qu'il a mal évalué la capacité de Medicago à livrer des vaccins fabriqués aux États-Unis en attendant une usine à Québec. Usine pour laquelle l'entreprise ne se risque plus à prédire l'année où elle pourra commencer à produire. 

Ce même gouvernement fédéral est aujourd'hui engagé dans un bras de fer avec les provinces sur une aide additionnelle pour les services de santé. 

Il se montre cette fois très strict sur l'utilisation de «son» argent. Il veut s'assurer avant de payer qu'il y aura des résultats mesurables, expose M.Duclos.    

Tout le monde s'entend sur les résultats à atteindre, perçoit-il. 

Améliorer la médecine familiale, mieux retenir et recruter des travailleurs de la santé, reconnaître les compétences des travailleurs étrangers. 

«Retenir ceux qui sont là, c'est la clé. On ne peut pas laisser les infirmières et préposés quitter en si grand nombre. On ne réussira jamais».     

Il déplore le «manque d'alignement» entre les «chicanes futiles» sur les points d'impôts.  Et ce qu'il appelle le «travail utile» : voir venir les enjeux, fixer des objectifs et s'entendre sur les moyens de mesurer les progrès.   

Il se défend de vouloir «micro-gérer» les systèmes de santé des provinces. Il veut aussi être «très très clair sur le respect des compétences des provinces». 

Il tient cependant à des conditions pour que le fédéral verse des sommes additionnelles aux provinces. Il voudra des réponses à ces questions : 

  1. Combien de gens auront accès plus rapidement à un groupe de médecine familiale? 
  2. Combien de gens de plus est-on capable de retenir ou recruter? 
  3. À quelle vitesse peut-on espérer rattraper les retards de chirurgie et de diagnostic dûs à la COVID-19? 
  4. À quelle vitesse veut-on moderniser le système de santé et mieux partager l'information sur les dossiers des patients? 

Des préoccupations éminemment valables. M.Duclos dit cependant sentir que «les premiers ministres veulent éviter cette discussion». 

Question de principe et de respect des juridictions de chacun, peut-on croire. 

Je pense aussi que la proposition serait plus facilement recevable si elle provenait d'un gouvernement exemplaire en matière d'efficacité et de gestion. Ce n'est pas le cas.