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Au bout du fil, Sophie Boivin me raconte comment elle en est venue, il y a presque un an, à faire une demande de placement pour Thomas, 14 ans, qui ne parle pas, qui a un âge mental de deux, trois ans, qui est encore aux couches, qui explose pour un oui ou pour un non. «Aucun parent ne veut en arriver à faire un placement», lâche-t-elle en pleurant.

Elle est à bout de forces. «Je vis avec la culpabilité de me dire que je ne suis plus capable. Je suis épuisée depuis longtemps, je suis en arrêt de travail depuis un an, j’ai des idées noires, je suis toujours en hypervigilance, je ne dors plus.»

Mais il n’y a pas de place pour Thomas.

Rien.

Thomas est un cas lourd, il a besoin d’une place dans une résidence à assistance continue (RAC), il n’y en a pas. «Je ne vois pas la journée où ça va aboutir, j’ai l’impression que notre demande n’est pas prise au sérieux. Thomas a besoin d’une équipe pour s’occuper de lui, il a besoin d’un endroit adapté pour lui.»

Elle est allée au bout de ce qu’elle pouvait donner. «L’amour ne suffit plus.»

Les problèmes de Thomas se sont révélés très tôt. «C’est mon deuxième fils et, tout de suite après la naissance, j’ai senti qu’il y avait quelque chose qui ne marchait pas. Il pleurait sans arrêt, il régurgitait, il ne dormait pas. À 11 mois, on a eu le diagnostic d’épilepsie. J’ai été en arrêt de travail pendant trois ans pour m’en occuper. »

Thomas est atteint d’une maladie rare, le «déficit du transporteur en créatine, qui implique plusieurs choses comme un retard global du développement, une déficience intellectuelle moyenne, des troubles graves de comportements, un trouble sévère de la communication et des troubles de la sphère autistique».

La totale.

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Si elle arrivait à avoir le dessus quand il était plus petit, ça devient de plus en plus difficile à mesure qu’il grandit. Voyez, un exemple de son quotidien : «il y a deux semaines, l’école m’a appelée, il avait fait 10 crises d’épilepsie. Il a fallu se mettre à trois pour le faire entrer dans l’auto. Quand on est arrivés à la maison, il a enlevé ses bottes avant de descendre de l’auto et quand il a mis les pieds dans la neige, il a explosé. Il ne voulait pas rentrer, il me tapait, j’ai réussi à le rentrer dans la maison, il m’a agressée, il m’a tiré les cheveux, déchiré mon chandail, a lancé les chaises. Plus je pleurais, plus il me tapait.»

Ça a duré plus d’une demi-heure.

Déjà, Thomas ne peut plus avoir de transport scolaire en raison de ces troubles de comportements, même chose pour le camp d’été l’an prochain, où on a dit à Sophie qu’on ne serait plus en mesure de prendre son gars. «Et j’ai appris qu’il a un pied en dehors de l’école. Il va à l’école Joseph-Paquin depuis neuf ans, c’est une école extraordinaire, mais ça devient très difficile.»

Comme bien des parents d’enfants comme Thomas, Sophie ne compte plus les combats qu’elle a dû mener pour obtenir des services.

Mais, cette fois-ci, elle se heurte à un mur. «Au départ, on nous a dit que le délai serait de trois à cinq ans! J’étais désabusée, dans l’incompréhension. La demande de placement a été faite en janvier par une travailleuse sociale qui n’a jamais rencontré Thomas. On s’est aperçu qu’elle avait fait des erreurs dans le dossier, alors il a fallu faire une autre demande en mars. Quand je l’ai appelée pour avoir des nouvelles, elle m’a dit : “ne m’appelez pas toutes les semaines!”.

Sophie n’a plus eu de nouvelles.

Puis, «une infirmière en pédopsychiatrie a allumé sur l’urgence de la situation et elle a monté le niveau de priorité».

Toujours pas de nouvelles.

En désespoir de cause, Sophie a envoyé un courriel à des gestionnaires pour les aviser qu’elle déposerait une plainte si les choses ne bougeaient pas. «J’ai envoyé le courriel à 15h45 et, à 16h, une gestionnaire me répondait pour me dire qu’il y aurait une rencontre pour établir un plan d’intervention, ce n’était jamais arrivé avant.» On lui a également proposé «une équipe de garde qui pourrait venir à la maison désamorcer les crises. Mais c’est quelque chose qui demande d’y mettre de l’énergie et je n’en ai plus, je suis complètement épuisée.

C’était il y a deux semaines. «Les enfants handicapés, ce sont encore les plus oubliés. Je connais d’autres parents qui ont fait une demande et qui attendent.»

La seule chose qu’on lui dit, c’est de prendre son mal en patience. Mais elle ne peut plus. «On m’a dit qu’il y aurait peut-être une place temporaire en mars, mais c’est dans trois mois. On m’a dit aussi que si je vais au CHUL et que je laisse mon garçon là, ils vont être obligés de lui trouver une place. Il va peut-être faire deux, trois places, mais au moins il y aura une prise en charge. Ça n’a pas de sens, comment est-ce qu’on peut en arriver là, à devoir abandonner son enfant?»

Elle va essayer d’étirer l’élastique jusqu’au 1^er février.

Au Centre intégré universitaire en santé et en services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale, la porte-parole Mélanie Otis plaide que «c’est un dossier complexe» et que la lourdeur du cas complique la tâche de lui trouver une place.

Cela étant dit, elle explique que «les délais pour une admission dans une résidence à assistance continue varient selon l’urgence de la situation, le profil de la personne, le jumelage en fonction des profils des autres usagers de la RAC et la disponibilité. L’objectif est de proposer un milieu de vie soutenant, adapté à la condition de l’usager et dans lequel il pourra se réaliser et évoluer en toute sécurité.»

Mais encore, poursuit-elle par courriel, «lorsque le profil comportemental et physique d’un usager ne permet pas l’hébergement à court terme, des services supplémentaires sont offerts afin de maintenir ses capacités et de soutenir sa famille et ses proches. En plus des services psychosociaux pour l’usager et ses proches, de l’ergothérapie et de la neuropsychologie, des services intensifs de soutien à domicile, du répit additionnel pour l’usager et sa famille et les services d’une équipe mobile d’intervention peuvent être mis en place».

Sophie assure qu’on ne lui a rien proposé de tout ça.

En fait, si, de l’aide lui a été offerte lundi, quelques jours après que j’eus interpellé le CIUSSS sur la manque de places pour des enfants comme Thomas. «On m’a appelée pour me proposer deux heures de soins par jour et aussi du répit pendant les Fêtes. Ils m’ont aussi convoquée à une réunion où tous les milieux seront présents.» Sophie salue d’ailleurs le travail de la «travailleuse sociale pivot, qui est exceptionnelle».

C'est un début.

Onze mois après sa demande.

Par amour pour Thomas, Sophie trouve encore un peu de force de se battre. «Il faut parler du manque criant de services pour les jeunes handicapés intellectuels, des familles souffrent en silence. Il faut que le gouvernement réalise l’urgence d’aider les parents qui sont à bout de souffle. Il faut dénoncer la lourdeur des démarches, le manque de résidences jeunesse.»

Voilà qui est fait.

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