{"accessibility":"AUTHENTICATED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm-v2.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F8c6b4f48-b826-4fbb-916d-36ffe20676d4.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Chroniqueur"},"email":"mmoisan@lesoleil.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm-v2.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F2d22abfa-71c4-407b-b6e3-c70f964e34fd.png&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","location":"Québec","name":"Mylène Moisan","source":"Le Soleil","twitter":"mylenemoisan"}],"channel":"Mylène Moisan","chapters":[{"position":0,"text":"

Il lui arrive de mettre les mains dedans.

Il ne s’en plaint pas, mais il constate que les temps ont bien changé. «Avant, si tu m’avais dit que le directeur travaille aux cuisines, à la plonge, à la maintenance, je t’aurais dit qu’il doit y avoir un sérieux problème de gestion. Aujourd’hui, c’est comme ça, on n’a plus vraiment le choix si on veut que ça fonctionne.»

La Résidence du Campanile est une résidence pour personnes âgées (RPA) comptant 109 logements, Michel en est le directeur depuis 2018. S’il est parvenu depuis peu à stabiliser ses différentes équipes, il a vu la pandémie exacerber le problème de pénurie de main-d’œuvre. «Pendant la pandémie, ça arrivait facilement deux ou trois fois par semaine où il fallait que j’aille aider, que je mette le tablier, que j’aille sortir les conteneurs à vidanges. C’est un milieu de vie ici, il faut que les choses se fassent».

Parfois, la comptable allait débarrasser les tables.

Lorsqu’il a pris la direction de la résidence, il ne se doutait pas alors que ses tâches connexes incluraient de couper des patates et des carottes. «On ne peut pas toujours en demander plus, il faut donner un break à nos employés. Il y a quelqu’un récemment qui a eu un problème de dos pendant deux semaines, on a embarqué avec le tablier. Et puis, ce n’est pas mauvais pour un dirigeant de toucher au terrain. Quand je suis derrière les chaudrons, je comprends c’est quoi, la réalité.»

Sa nouvelle réalité, c’est aussi celle des candidats qui se volatilisent. «J’ai fait des entrevues avec au moins 100 personnes, avec qui on s’était entendu sur les conditions de travail et tout, avec qui on s’est laissé en disant “on se voit lundi” et le lundi, la personne ne se présente pas. Ou bien ils restent quelques semaines et on ne les revoit pas.»

Ça, c’est le lot de bien des employeurs.

Michel se questionne également sur ces gens qui répondent à ses offres d’emploi sur JobIllico, qui postulent et qui envoient leur CV, mais qui ne répondent pas quand il les appelle. «Est-ce que ce sont des personnes qui sont sur l’assurance-emploi, qui doivent montrer qu’elles font des démarches alors qu’ils n’en font pas? Est-ce qu’il y a des vérifications qui sont faites auprès des employeurs? S’ils m’appelaient, je leur dirais qu’ils ne répondent pas...»

Mais toujours est-il qu’il doit combler ces postes et ça, les agences de placement l’ont compris. Et, comme Michel n’est pas le seul à chercher désespérément du personnel, elles ont le beau jeu pour faire monter les enchères pour embaucher une infirmière, un préposé, un plongeur ou une personne de maintenance.

Il a sorti de son bureau une chemise en carton jaune, avec à l’intérieur, les tarifs fixés par différentes agences. Pour avoir les services d’une infirmière, une agence demande 68 $ l’heure alors qu’une autre réclame près de 75 $. Pour les infirmières auxiliaires, il faut payer entre 45 $ et 47 $ l’heure alors que pour une préposée aux bénéficiaires, c’est entre 39 $ et 42 $.

Pour qu’un cuisinier ou un plongeur vienne à sa rescousse, Michel doit payer à l’agence 32 $ l’heure, entre 31 $ et 35 $ pour l’entretien ménager et un peu plus de 30 $ pour le service aux tables.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"author":"Michel Bélanger, directeur de la Résidence du Campanile ","position":1,"text":"

On ne peut pas les embaucher pour moins de quatre heures. Ça, ça veut dire que ça va me coûter pour une serveuse à 35 $ de l’heure, 140 $ pour servir 35 personnes. C’est tout mon profit sur la nourriture.

","type":"quote","contents":[],"photos":[]},{"position":2,"text":"

Autre chose, un employé d’agence est comme un cheveu sur la soupe. «Quelqu’un qui arrive d’une agence ne connaît pas la place, il ne connaît pas les résidents. C’est la même chose pour les résidents. Ça les insécurise quand ils voient que ce n’est pas la même personne. On aime ça quand il y a une stabilité dans les équipes, mais c’est de plus en plus difficile à atteindre.»

Dans un contexte où le roulement de personnel à certains endroits peut poser problème, la pression financière exercée par les agences peut devenir intenable. On a d’ailleurs fait état ces derniers mois de plusieurs fermetures de RPA, le coût du personnel y est souvent évoqué. «On comprend qu’il y a une part qui doit aller à l’employeur, mais là, ils savent qu’on est mal pris et ils en profitent.»

Et ce ne sont pas les employés qui récoltent la différence. Si les salaires offerts — et parfois même les avantages sociaux — rivalisent avec ce qui est payé dans certaines RPA et dans le réseau public, l’attrait des agences réside plutôt dans la possibilité de déterminer son horaire et de travailler selon ses disponibilités.

Les agences savent que la demande est forte. «Il y en avait avant, mais pas comme maintenant. C’est venu chambarder complètement notre structure.»

Même chose dans le système public, entre autres pour les soins à domicile, où ces agences sont devenues un mal nécessaire, à fort prix, au point où certaines régions ne pourraient pas fonctionner sans elles. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a d’ailleurs promis le 1er mai qu’il se donnait trois ans pour les sortir du réseau.

Bonne chance.

L’industrie des «services d’emplois»

Dans une recherche d’Anne Plourde publiée en janvier 2022 par l’IRIS, on apprend que le recours à la main-d’œuvre indépendante représentait en 2016 environ six millions d’heures et un budget de quelque 300 millions de dollars, alors qu’en 202-2021, ce sont presque 22 millions d’heures qui ont coûté aux contribuables plus d’un milliard.

En janvier aussi, La Presse révélait que certaines agences de placement facturaient jusqu’à 100 $ de l’heure à des CHSLD privés et des RPA pour une infirmière, malgré un arrêté ministériel fixait la limite à 71,87 $ ce qui restait tout de même élevé, sachant que le salaire médian d’une infirmière au Québec est de 37 $ de l’heure.

Spécialiste des politiques de santé, la chercheuse déplore que, «au Québec, à la faveur d’un encadrement juridique pratiquement inexistant, l’industrie des agences de placement a connu, tous secteurs d’activité confondus, une croissance importante depuis le début des années 2000. Avec des revenus d’exploitation qui atteignaient globalement 2,6 milliards $ en 2019 contre 782 millions $ en 2000, l’industrie des “services d’emplois” a plus que triplé durant la période.»

Si Michel peut aller en renfort aux cuisines ou à la plonge, il en est tout autrement pour les postes d’infirmières et de préposés, où des diplômes sont requis. Et bien qu’il ait réussi à pourvoir la plupart des postes de la résidence, il doit encore avoir recours aux agences pour s’occuper de l’infirmerie la fin de semaine. «Ce sont deux personnes, 16 heures chacune, à environ 70 $ l’heure. C’est difficile, on n’a pas des ressources illimitées.»

Michel doit aussi composer avec les normes gouvernementales qui imposent aux résidences pour personnes âgées de plus de 100 logements d’engager «deux personnes 24 heures sur 24 dans l’unité de soins», même si «80 % des résidents n’ont pas besoin de soins et que 20 % ont simplement besoin d’assistance par exemple pour prendre leurs médicaments».

Les seuils sont les mêmes pour une résidence de 200 logements, mais pas pour les RPA qui en comptent moins de 100. «Si on avait 99 logements, on n’aurait pas ce seuil-là. C’est un seuil qui est très demandant, même si on est une résidence pour personnes autonomes et semi-autonomes. Pour nous, non-autonome, c’est de ne pas être capable de se déplacer ou de faire de l’errance.»

Pendant la visite des lieux, on est passés devant la salle des casse-tête où un homme s’affairait à placer les petites pièces aux bons endroits.

– Bene? a lancé Michel en italien.

– Bene. Sempre bene!

Le monsieur était tout sourire, content de répondre qu’il allait «toujours bien» dans sa langue maternelle. Et, même si ça ne va pas toujours bien pour trouver — et conserver — son précieux personnel, ça n’empêchera pas Michel de partager avec les résidents l’esprit des Fêtes. «Ça fait deux ou trois ans qu’on organise un souper de Noël, on met le piano dans la salle à manger, on fait des grandes tables, il y a des musiciens. On va quand même finir l’année en beauté!»

Et que fera Michel?

Il prendra le micro pour chanter.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]}],"creationDate":"2022-12-16T01:54:59.976Z","externalIds":{},"firstPublicationDate":"2022-12-17T08:00:00.000Z","free":false,"id":"0d2a0557bc27f903568bbeefc3c08eb2","lead":"CHRONIQUE / Michel Bélanger, directeur de la Résidence du Campanile, me fait faire le tour des lieux, il pousse d’un geste assuré la porte des cuisines, marche vers le fond. «Ici, c’est la plonge.»","locales":["fr"],"metadata":{},"modificationDate":"2022-12-17T09:01:58.794Z","publications":[{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"chroniques/mylene-moisan"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lavoixdelest","sectionKey":"chroniques/mylene-moisan"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lenouvelliste","sectionKey":"chroniques/mylene-moisan"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"latribune","sectionKey":"chroniques/mylene-moisan"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"ledroit","sectionKey":"chroniques/mylene-moisan"},{"canonical":false,"organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"capitale-nationale"},{"canonical":false,"editionKey":"site","organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"chroniques"},{"canonical":true,"editionKey":"site","organizationKey":"lesoleil","sectionKey":"chroniques/mylene-moisan"},{"canonical":false,"organizationKey":"lequotidien","sectionKey":"opinions"},{"canonical":false,"organizationKey":"lavoixdelest","sectionKey":"actualites"},{"canonical":false,"organizationKey":"ledroit","sectionKey":"actualites"}],"slug":"2022/12/17/quand-le-directeur-fait-de-la-plonge-0d2a0557bc27f903568bbeefc3c08eb2","tags":["Social Issues"],"templateName":"article_columnist","title":"Quand le directeur fait de la plonge","type":"article","url":"global/contents/0d2a0557bc27f903568bbeefc3c08eb2.json","visual":{"caption":{"fr":"Michel Bélanger, directeur de la Résidence du Campanile."},"contentType":"image","credits":{"fr":"Le Soleil, Erick Labbé "},"position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fee07e3c9-5156-4480-a1b6-12543b904562.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"},"adTargetSectionKeys":["chroniques","chroniques/mylene-moisan"],"canonicalSiteCompositeKey":"lesoleil/site","color":"#7f8fde","displayedSection":{"color":"#7f8fde","id":"18","key":"chroniques/mylene-moisan","name":"Mylène Moisan","position":0,"sectionId":"18","slug":"chroniques/mylene-moisan","url":"site/sections/chroniques/mylene-moisan.json","isRoot":false},"mainVisual":{"caption":"Michel Bélanger, directeur de la Résidence du Campanile.","contentType":"image","credits":"Le Soleil, Erick Labbé ","position":0,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fee07e3c9-5156-4480-a1b6-12543b904562.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},"section":{"color":"#7f8fde","id":"16","key":"chroniques","name":"Chroniques","position":2,"sectionId":"16","slug":"chroniques","url":"site/sections/chroniques.json","isRoot":true},"subSection":{"color":"#7f8fde","id":"18","key":"chroniques/mylene-moisan","name":"Mylène Moisan","position":0,"sectionId":"18","slug":"chroniques/mylene-moisan","url":"site/sections/chroniques/mylene-moisan.json","isRoot":false},"thumbnailVisual":{"url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fee07e3c9-5156-4480-a1b6-12543b904562.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true"}}